1. Le processus migratoire à l’ère des crises économiques et climatiques
L’afflux des personnes migrantes découle de la domination que les gouvernements du Nord continuent d’imposer aux économies du Sud : inondation des marchés par des stocks d’invendus, destruction de l’agriculture vivrière remplacée par des monocultures industrielles orientées vers l’exportation, imposition de coupures dans les dépenses sociales pour assurer les paiements de la dette contractés par ces pays. Les migrations ne peuvent être réduites à des choix individuels et s’expliquent par le fait que les personnes ne trouvent pas la possibilité de vivre dignement là où elles se trouvent à cause de la détérioration de la situation économique et sociale imposée par la domination impérialiste. [1]
À cette domination économique qui crée les conditions poussant à l’émigration, il faudra ajouter bientôt les bouleversements climatiques. Un flot de réfugié-e-s seront chassés par l’évolution du climat :aggravations des sécheresses, crise agricole et développement de famines, problème d’eau, élévation du niveau de la mer. Ces dévastations provoqueront une pression énorme sur les frontières des pays qu’on peut décrire comme des îlots de prospérité. [2]
À ce niveau, l’attitude la moins réaliste est celle qui refuse de se préparer et de planifier les déplacements qui se préparent.
2. La réponse des classes dominantes des pays avancés : l’immigration choisie pour répondre au besoin du capital.
Le Parti libéral du Québec de Dominique Anglade se fait le porteur le plus clair des demandes des organisations patronales. L’immigration doit d’abord répondre aux besoins des entreprises et permettre de combler la pénurie de main-d’œuvre. La défense du seuil de 70 000 personnes s’écarte des demandes du patronat qui souhaite une hausser de ce seuil à 100 000, mais s’inscrit dans la même logique d’une immigration choisie conforme aux intérêts des grandes entreprises.
Globalement, le gouvernement Legault obéit aux mêmes orientations. Le ministre Simon Jolin-Barrette a déjà annoncé qu’il ne s’en tiendrait pas au seuil de 40 000 personnes et que ce seuil tournera autour de 50 000 personnes afin d’assurer une meilleure intégration aux besoins économiques des entreprises. C’est ainsi qu’on favorise d’une part une immigration très qualifiée et d’autre part une immigration temporaire d’une main-d’œuvre peu qualifiée et surexploitée qui n’ont pas les mêmes droits que les travailleurs-euses natifs. Les travailleurs et travailleuses d’Amérique centrale sont exemplaires de cette migration circulaire : pays d’Amérique centrale- Canada – Pays d’Amérique centrale. [3]
S’il demande le transfert par Ottawa de l’ensemble des pouvoirs en immigration, le premier ministre Legault a déjà souligné qu’il compte imposer un accueil plus parcimonieux des réfugié-e-s et une réduction de l’immigration liée à la recomposition familiale.
Mais au-delà de l’immigration choisie pour répondre aux besoins du capital, les gouvernements du Nord cherchent à s’opposer à la liberté de déplacement et d’installation. Les dirigeants politiques en Amérique du Nord comme en Europe sont en train de dresser des murs physiques ou juridiques autour de leurs territoires croyant pouvoir empêcher les migrations. Legault et les autres dirigeants nationalistes sont à l’avant-garde de la politique sécuritaire face à l’immigration. Ils ont réclamé la fermeture du chemin Roxham. Ils ont dénoncé la porosité de la frontière canadienne. Ils ont affirmé que les réfugié-e-s n’étaient pas de véritables réfugié-e-s. Ils ont participé à la construction dans le public d’une posture d’hostilité envers les étrangers et à faire admettre plus facilement leur blocage aux frontières.
3. Le discours des nationalistes : l’immigration un danger pour la langue française et la cohésion nationale
Depuis des années, le premier ministre Legault tient des discours qui développent la méfiance vis-à-vis de l’immigration. Pas étonnant qu’il entonne durant cette campagne la même chanson. L’immigration non francophone a-t-il affirmé est une menace à la cohésion nationale. [4] Se définissant comme le PM de la majorité francophone, il souligne l’importance, pour lui, de protéger la cohésion de la nation québécoise. L’immigration est un danger pour le Français qui est menacé par le fait que les immigrant-e-s ont tendance à adopter l’anglais. C’est pourquoi, non seulement , il faut s’en tenir à un seuil de 50 000 immigrants par année, mais il faut exiger que 80% de ces derniers parlent français depuis leur arrivée.
Plus, pour François Legault, il y a une façon de vivre chez nous et on veut garder ça comme ça. Ce n’est pas une logique d’inclusion, c’est une volonté d’assimilation. Pourtant, ce que nous sommes aujourd’hui, ce que nous serons demain, est en grande partie liée au processus de métissage culturel que notre ouverture sur le monde nous permet de réaliser. Les valeurs de solidarité, de coopération, de partage, d’égalité sociale et de genre, de démocratie se définissent par leur opposition aux attitudes de cupidité, de thésaurisation, de prédation et d’accaparements de tous les pouvoirs, attitudes qui sont le propre des classes exploiteuses. La formation d’une nouvelle identité nationale passera par un refus clair et précis de laisser définir notre réalité par une oligarchie qui fait ses choux gras de la domination et de la corruption.
Le Parti québécois a enfourché le même cheval, lui aussi, présente l’immigration trop nombreuse comme un danger pour la langue française. Il propose de porter le seuil à 35 000 et un gouvernement péquiste exigerait que la totalité parle français à leur arrivée. Il reproche même à François Legault d’avoir accueilli 120 000 immigrant-e-s qui ne parlent pas français durant son mandat. Il présente la venue des immigrant-e-s comme un facteur aggravant le manque de logements ou de place en garderie. Paul St-Pierre Plamondon peut bien mettre ses gants blancs pour faire ses propositions, il n’en demeure pas moins qu’elles sèment la méfiance vis-à-vis les personnes migrantes et les communautés culturelles. On est loin d’une logique de créolisation et de transformation de la société québécoise.
Le point aveugle dans l’analyse des nationalistes sur la question linguistique, c’est qu’elle n’explique pas les réels fondements de la domination de l’Anglais au Québec et au Canada.
4. Les réels fondements de la précarité du français au Québec.
Si la langue française est la langue de la majorité au Québec, elle reste la langue minoritaire au Canada et sur le reste du continent et elle est au Québec confrontée à l’hégémonie économique, politique et culturelle de l’anglais.
Cette politique hégémonique découle de la politique assimilationniste de l’État canadien qui a marginalisé l’usage du français tout au long de son histoire. De multiples lois ont suspendu le statut légal du français une province après l’autre (Manitoba, Saskatchewan, Ontario). Encore aujourd’hui, le français recule partout au Canada non à cause des immigrant-e-s, mais à cause de statut de langue dominante de l’anglais comme l’anglais des affaires, de l’emploi et des communications.
Au Québec , la langue anglaise reste la langue la plus attractive. Ottawa joue un rôle important à ce niveau. La politique du bilinguisme qui impose au Québec des institutions bilingues conforte ainsi la place subordonnée de la langue française. Cette politique représente un refus de reconnaître le français comme langue nationale du Québec et découle du refus d’une véritable reconnaissance de la réalité nationale du Québec.
Le français n’est pas la langue commune du travail dans les grandes entreprises dont les plus importantes sont pour la plupart gérées en anglais. Les immigrant-e-s comme les natifs francophones, se voient exiger la connaissance de l’anglais pour trouver un emploi ou aspirer à une promotion. La maîtrise de l’anglais est de plus en plus souvent exigée pour avoir accès à un emploi ou pour obtenir une promotion, parfois même dans les institutions de l’État. En somme, la place du français au Québec reflète le statut de minorité nationale du Québec dans le Canada et trouve son fondement dans le contrôle de l’économie par les grandes banques et les grandes entreprises anglophones malgré le développement d’une bourgeoisie québécoise dans les dernières décennies.
De plus le gouvernement du Québec sous la domination des libéraux a favorisé l’usage de l’anglais dans ses rapports avec les minorités culturelles et avec les grandes entreprises. De plus, il a accordé des budgets insuffisants à la francisation des nouveaux arrivants. À ces facteurs, il faut ajouter que le poids de l’anglais au niveau culturel a été renforcé par l’importance des médias sociaux américains et canadiens dans les productions des biens culturels les plus consommés. Tous ces facteurs expliquent pourquoi l’anglais a non seulement conservé, mais renforcé son pouvoir d’attraction auprès de la quasi-totalité des nouveaux arrivants et même auprès de la population francophone elle-même. [5]
La lutte pour l’indépendance est partie prenante de la défense de la langue française. Tant que le Québec restera subordonné à l’État canadien, comme le propose le gouvernement Legault, tant que les grandes entreprises stratégiques resteront en dehors de l’État du Québec, les droits nationaux du Québec et le caractère du français comme langue commune de la société québécoise seront constamment remis en question. La volonté majoritaire de la population de vivre dans un Québec français sera constamment frustrée par les attaques de l’État fédéral et du grand capital anglophone, qui ne renoncera pas à imposer sa domination sur le Québec. C’est pourquoi la défense de la langue française passera par l’indépendance du Québec. Et cette indépendance, ne sera possible que si elle repose sur la reconnaissance de la diversité de la population du Québec et non sur une politique de division qui stigmatise les personnes migrantes et les communautés culturelles comme une menace à la cohésion nationale comme le font les nationalistes étroits de la CAQ et du PQ.
5. Vaincre la dynamique anti-migratoire et assurer l’unité populaire
Toutes les personnes vivant au Québec, toutes celles et tous ceux qui y œuvrent et qui participent à la création de la richesse commune font partie de la société et contribuent à son destin national. Pour assurer une véritable inclusion des personnes migrantes « on ne peut accepter que des personnes se trouvant sur un même territoire, dans un même ordre juridique, soient traitées différemment ou discriminées. Le principe d’égalité des droits implique donc la libre circulation, mais aussi une série d’autres droits, dont notamment : le droit de s’installer durablement, le droit de travail, le droit de recevoir un salaire égal, le droit d’acquérir la nationalité, le droit de vivre en famille, le droit à la citoyenneté, le droit à la sécurité sociale ». [6]La libre circulation, le droit d’installation et l’égalité dans l’accès aux droits sociaux pour les immigré-e-s sont des droits fondamentaux pour l’humanité.
Contrairement à l’approche du nationalisme régressif de Legault et cie, les indépendantistes internationalistes doivent en finir avec le nationalisme étroit. Cela ne sera possible qu’en s’engageant avec détermination aux côtés de ceux et celles qui, en franchissant les frontières, revendiquent le droit de mieux vivre, de fuir les situations de survie auxquelles ils et elles sont acculées. Il savoir accueillir les personnes réfugiées et refuser de limiter l’immigration à la seule utilité économique pour les entreprises capitalistes.
C’est en faisant du Québec une terre capable d’accueil rejetant racisme et la xénophobie que les indépendantistes pourront construire un Québec pluriel et inclusif et un véritable front de l’émancipation sociale et nationale de toutes le composantes de la société québécoise et qu’il pourra aspirer à une indépendance véritable.
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