Je commence sérieusement à être écoeuré d’écrire sur ces consultations bidons. Bidon comme dans « faire semblant ». Bidon comme dans « baril de pétrole ».
Bidon comme dans : on prépare le terrain pour une nouvelle loi qui va lancer l’exploitation des hydrocarbures au Québec, que vous le vouliez ou non.
Parlons-en, alors. Mais dépêchons-nous, parce qu’avec des délais serrés comme ça, elle sera terminée le temps de dire « au secours, mon gouvernement travaille pour l’industrie pétrolière ! »
La consultation est construite sur une prémisse tendancieuse
Une ÉES, ça sert à trouver de l’information sur les impacts (sociaux, économiques, environnementaux) d’un projet. Jusque là, ça va. Mais les ramifications sont denses. Avant de s’empêtrer dans le niveau de détail, de budget et d’échelle, est-ce qu’on peut remonter dans le temps une petite minute ?
En tant que géographe, j’ai eu droit à 45 heures de cours sur les ÉES et, 10 ans plus tard, je reste dubitatif quant à la nature de la chose. Parce que même si on s’intéresse aux conséquences d’un projet, ce qui est louable, on est encore juste en train de le décrire... et c’est tout.
Or, ces fameux projets ne sont jamais amenés par hasard mais bien à cause de motivations économiques. Et ces motivations, que nos précieux « décideurs » sont incapables de justifier, se révèlent parfaitement intégrées dans un système capitaliste basé sur les inégalités sociales et l’extraction des ressources naturelles. C’est business as usual depuis la colonisation de ces « quelques arpents de neige ».
La question est tendancieuse. Le gouvernement a déjà annoncéhttp://www.ledevoir.com/environneme... qu’il était favorable à l’exploitation des hydrocarbures au Québec. On se trouve donc devant une pétition de principe, un raisonnement erroné.
Et si au lieu d’insulter son intelligence, on demandait à la population du Québec comment elle perçoit son avenir énergétique ? Ah, mais j’oubliais, on a déjà fait cet exercice-là, en 2013. Quarante-sept séances, 410 mémoires plus tard et la réponse était « on veut mieux que des énergies fossiles ». Or, les gouvernements, péquiste puis libéral, ont tôt fait de mettre le rapport de 310 pages aux poubelles (https://www.mern.gouv.qc.ca/energie/politique/pdf/Rapport-consultation-energie.pdf). Ils n’aimaient pas la réponse, il faut croire.
La consultation a des délais non raisonnables
Mais revenons à la consultation bidon. La dernière partie des deux ÉES est une consultation publique dévoilée... à trois semaines des premières audiences. Trois semaines pour lire les rapports, les études et produire quelque chose d’intelligible.
Bertrand Schepper de l’IRIS faisait l’inventaire des documents et observait http://www.journaldemontreal.com/20... que même en l’absence de plusieurs études clefs, il fallait lire 53 pages par heure à temps plein pendant les trois semaines pour faire le tour de la littérature avant les audiences.
Est-ce raisonnable ? Pour ces citoyens et citoyennes qui travaillent, qui ont des enfants et des obligations, ça laisse quelle marge de manœuvre ? Certes, on peut toujours aller en consultation avec un gros « non veut dire non » de tatoué dans le front. Autant de colère légitime qui sera balayée par les « décideurs » qui rétorqueront que nous n’étions pas préparés, que nous ne savons rien finalement, et que notre objection, comme nos droits humains, sont parfaitement négligeables.
La consultation n’a aucun pouvoir (vous n’avez aucun pouvoir)
« Mais Bruno, ce que tu es cynique ! Une consultation, c’est quand même une chance de s’exprimer, non ? »
Bien, une consultation publique est à la démocratie ce qu’un tweet de 140 caractères est à la littérature. Entre votre participation et le résultat final, vous n’êtes pas important.
Certes, la logique de l’ÉES est séduisante, même si c’est un raisonnement à l’envers. À défaut de contrôler quoi que ce soit en amont (elle ne choisit pas son mandat), la logique de l’ÉES présume qu’en aval, les décideurs abandonneraient un projet dont les conséquences s’annoncent trop graves.
Alors, même si on gaspille 24 mois sur une question stupide, l’étude pourra nous démontrer à quel point c’était effectivement stupide et, au pire, on aura juste perdu des années de nos vies... parce qu’on a rien de plus pressant à faire-[>http://www.lapresse.ca/environnement/dossiers/changements-climatiques/201501/16/01-4835789-2014-annee-la-plus-chaude-jamais-enregistree.php].
L’ÉES doit rendre un rapport, mais c’est elle qui décide du contenu. Elle dit s’en inspirer, mais n’est pas obligée de tenir compte de vos interventions, même si la totalité penchait du côté des citoyens et citoyennes. Puis, une fois ses recommandations émises (oui, non, sais pas), l’ÉES est terminée, elle ne décide plus de rien. C’est au gouvernement d’avoir le dernier mot, non sans avoir consulté les lobbyistes [http://www.lapresse.ca/actualites/national/201308/16/01-4680400-energie-est-transcanada-augmente-la-pression.php] cachés dans le placard.
Si le gouvernement n’aime pas la conclusion, il n’est pas obligé d’en tenir compte.
Ultimement, une consultation publique est un acte de foi en les « décideurs », une abdication de la capacité d’autodétermination des communautés. Dans la période actuelle de crise de confiance envers les institutions publiques, il reste difficile de croire à la légitimité, l’utilité ou même l’honnêteté d’un tel exercice.
Bref, le bureau des plaintes est par ici, faites la ligne. Ça fait du bien de parler, non ?
La consultation est un exercice de relations publiques
Si la consultation publique est tendancieuse, qu’elle a des délais non raisonnables et n’a finalement aucun pouvoir, à quoi sert-elle ? Quelle est son utilité ? Est-ce qu’on ne cherche pas simplement à maintenir des apparences ?
À défaut d’avoir une réelle prise sur quoi que ce soit, on entretient un spectacle. Comme dans le métro de Montréal où Gaz Métro se peint https://www.infopresse.com/article/... en vert http://rqge.qc.ca/des-groupes-citoy... : « Les énergies fossiles, dans le fond, c’est écolo ! Polluer, c’est sauver l’environnement. Tout va bien ! »
Ou alors ces congrès où toute la classe des affaires, le patronat et les élus s’excitent (http://www.lesaffaires.com/evenements/conferences/acceptabilite-sociale---4e-edition/580073) sur la notion d’acceptabilité sociale, ce « lubrifiant à projet », dévoués à l’idée que contrôler le débat et manipuler l’information est la meilleure façon d’obtenir le consentement des communautés et poursuivre la dépossession du Québec. C’est rentable d’investir dans les façons de neutraliser l’opposition et même des organismes de la société civile s’y prêtent.
Puis vous savez quoi ? Malgré tout ça, j’ai participé à ce show de boucane. Oui. Avec Maude Prud’homme et le Réseau québécois des groupes écologistes, nous leur avons dit notre façon de penser. Voyez pour vous-mêmes.
Bruno Massé est l’auteur du roman M9A. -il ne reste plus que les monstres , disponible dans toutes les librairies indépendantes.