photo et article tirés de NPA 29
Après le crime abominable de Eragny, les échos de l’appel à « l’union nationale » de Macron
La décapitation d’un enseignant hier à Eragny, crime abominable, a choqué très largement. D’après les premiers éléments disponibles, l’enseignant aurait été visé par un jeune homme d’origine tchétchène qui aurait appris sur les réseaux qu’il avait montré en classe des caricatures de Mahomet et décidé de l’assassiner.
Cette affaire fait suite à une polémique générée à l’intérieur du Collège du Bois d’Aulne de Conflans-Saint-Honorine, où selon le témoignage de parents d’élèves, le professeur aurait demandé aux élèves musulmans de sortir de son cours pour y montrer deux des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, suscitant l’indignation de parents qui ont relayé leur colère sur les réseaux sociaux, avant que celle-ci ne leur échappe.
Face à ce drame, l’extrême-droite puis le gouvernement n’ont pas tardé à tenter d’instrumenta-liser. Après les multiples déclarations racistes de figures d’extrême-droite, Emmanuel Macron a pris la parole depuis le lieu du meurtre.
Après avoir rendu un hommage hypocrite aux enseignants pour essayer de leur faire oublier le mépris qu’il leur témoigne au quotidien avec le manque de moyen dans les établissements scolaires, la souffrance au travail, et la répression de ceux qui relèvent la tête malgré tout, le Président de la République a appelé à l’union nationale : « Nous ferons bloc, ils ne passeront pas. Ils ne nous diviseront pas. J’appelle l’ensemble de nos compatriotes à faire bloc, à être unis. »
Un appel qui a résonné dans le champ politique bourgeois, puisque Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat expliquait dès le lendemain sur France Info que « Les Républicains des deux rives doivent se tendre la main », tandis que François Hollande appelait à « l’unité » face « à la barbarie et à l’obscurantisme » et que le Parti Socialiste appelait à « une manifestation d’unité de la Nation » derrière les organisations d’enseignants et de parents d’élèves.
Du côté de l’extrême-droite, c’est pour le moment le déchaînement islamophobe contre « les jeunes musulmans » et la condamnation de « l’inconséquence » supposée du gouvernement qui prime. Au « ils ne passeront pas » d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen a ainsi répondu sur Twitter « ils sont déjà là ». Tandis que, sur BFM TV, Jordan Bardella accusait la communauté musulmane de « communautarisme de conquête pour imposer à l’ensemble de la société française leurs interdits », et demandait la démission d’une députée MODEM qui avait évoqué une « erreur » du professeur après le drame. (…)
Face à un crime abominable, aucune concession au gouvernement et à l’« unité nationale » !
Alors que depuis la rentrée, Emmanuel Macron mène une offensive sécuritaire et islamophobe pour tenter de s’ancrer à droite, l’assassinat d’un enseignant apparaît comme une opportunité pour le pouvoir de tenter de se relégitimer y compris vis-à-vis de l’aile gauche de son électorat de 2017.
De fait, Macron compte bien profiter du symbole que constitue cette attaque perpétrée contre un professeur pour tenter de coopter le corps enseignant, alors même que les travailleurs de l’Education Nationale se sont largement opposés aux réformes successives du gouvernement et dénoncent une rentrée dans des conditions sanitaires indignes.
Dans ce cadre, toute concession à l’appel à l’union nationale du gouvernement conduit non seulement à masquer sa responsabilité dans le climat islamophobe actuel – qu’il a instauré et attisé, alimentant les tensions sociales qui mènent à de véritables drames – mais aussi à appuyer la récupération politique du gouvernement et son opération séduction en direction des enseignants. En n’offrant aucune alternative à gauche, la position de Jean-Luc Mélenchon constitue ainsi un véritable cadeau au gouvernement, en plus d’être inadmissible par principe.
De fait, traditionnellement mobilisée par les classes dominantes au lendemain d’événements traumatisants, à l’image des attentats terroristes, l’« union nationale » est un piège. Cette injonction à l’unité vise en effet à profiter des « chocs », de la guerre, d’événements tragiques, pour mettre sous le tapis les oppositions qui traversent et structurent la société.
L’opposition, par exemple, entre les exploités qui subissent la crise, le chômage, la pauvreté, et le patronat, que le gouvernement n’a cessé de gaver à coup de milliards ces derniers mois. Les oppositions racistes et islamophobes également, celles-là même que le gouvernement alimente par sa campagne récente qui attise la haine des musulmans et les tensions sociales, faisant le lit de l’ultra-violence des fanatiques.
Si les dominants ont intérêt à dissimuler ces divisions qu’ils entretiennent à l’ordinaire, répondre à leur injonction conduit nécessairement, pour ceux qui les subissent, à désarmer et à se rendre incapable de mener la lutte résolue qu’appelle au contraire cette situation.
En effet, ce n’est pas l’union nationale avec ce gouvernement raciste, avec la droite et l’extrême-droite, qui permettra d’en finir avec ces actes mais une politique radicalement différente, pour l’éducation, pour l’emploi, le logement, en complète opposition avec ce qui se fait depuis des décennies, ainsi que d’une lutte résolue contre l’exploitation et les oppressions, notamment l’islamophobie, qui font le lit de la violence.
Une lutte que les organisations syndicales du mouvement ouvrier, de l’éducation et de la jeunesse ainsi que la gauche devraient prendre en charge de façon claire, en toute indépendance du gouvernement et des forces qui ne cessent d’attiser la haine pour mieux instrumentaliser et nous diviser en tirant profit avec cynisme d’événements abominables.
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