Par la suite dans les années 1980, le rapport de forces a changé, au détriment du mouvement populaire. Une fois réélu (1981), le PQ a appliqué des politiques néolibérales. Au nom du nécessaire « ménage » des finances publiques, on a fait ce que le 1 % voulait, à savoir reporter le fardeau sur les couches moyennes et populaires. Des syndicats devant les assauts répétés de l’État et des patrons ont reculé, subissant ces coupures dans la santé et l’éducation, par exemple. Des intellectuels, bien intentionnés mais surtout naïfs, affirmaient alors que la lutte des classes, c’était fini, et qu’il fallait se « concerter » avec les autorités. Une grande partie des énergies des mouvements populaires a été alors déviée vers d’interminables « « sommets » dont le but était, plus souvent qu’autrement, de faire endosser les politiques du « déficit zéro » et autres mots de passe qui voulaient dire simplement : austérité et aggravation des écarts.
À moins qu’on se trompe, il n’y a pas eu beaucoup de résultats concrets pour la grande masse des gens.
Au tournant des années 1990 cependant, des mouvements ont commencé à remettre en question cette chanson. Le secteur public a commencé à prendre de la vigueur. Mais le moment de rupture est venu de l’initiative de Françoise David et de la Marche des femmes contre la pauvreté et la violence. Il faut se souvenir que Françoise, malgré l’avis des centrales syndicales, était sortie du « Sommet socio-économique » de 1995 de Lucien Bouchard qui refusait de considérer des revendications tout à fait légitimes comme l’augmentation du salaire minimum, toujours sur le même prétexte d’assainissement des finances publiques.
Cette première mobilisation a débouché sur une autre grande initiative au Sommet des peuples des Amériques (avril 2001). Encore là, des secteurs du mouvement syndical hésitaient à confronter le terrible projet consistant à livrer les 34 pays de l’hémisphère aux mondialiseurs et aux États-Unis. Ils accusaient les opposants, au début dispersés, d’être « gauchistes ». Lors du Sommet des peuples cependant, l’opinion a basculé. La CSN et la CSQ, notamment, ont bien compris, avec les mouvements populaires, les étudiants et les groupes de solidarité internationale, que l’heure n’était pas à s’assoir avec Ottawa et Washington pour négocier les « détails ». Quelques mois plus tard, l’initiative de Québec débouchait sur de nouvelles mobilisations en Amérique du Sud et même aux États-Unis. En 2004, le « grand » projet de la Zone de libre-échange était kaput !
À travers ces expériences, les mouvements populaires ont donné un autre sens au mot « concertation » qui est devenue « convergence » et alliances populaires. Certes, personne n’est en principe contre la négociation. On sait très bien que les « petites victoires » sont importantes, qu’elles impliquent des compromis, des négociations et même parfois, quitte à se boucher le nez, de s’asseoir avec les « dignes » représentants du 1%. Mais faire cela n’implique pas d’oublier qu’au point de départ, il y a des intérêts de classe, il y a des confrontations, il y a des luttes.
En 2003, cette posture militante a encouragé les mouvements à affronter la « réingénierie » de Charest (ce qui est revenu sur la table avec Couillard). Les syndiqués ont bravement défié les forces dites de l’ordre pour bloquer des installations stratégiques. Les mamans et les papas ont affronté l’hiver pour dire non à la démolition des garderies. En 2005, les étudiant-es, sans beaucoup d’appui sinon que symbolique, ont tenu tête, tout en se faisant traiter de « gauchistes » et finalement ils ont gagné. Tout cela a miné le gouvernement qui a peu à peu tassé dans le coin ses « réformes » sauvages jusqu’à temps qu’il pense le moment venu de se réessayer en 2012.
En ce printemps mémorable, ce sont les étudiants et appelons-le par son nom, l’ASSÉ (devenu CLASSE par ses alliances larges) qui ont pris les devants. Ils ont bien fait leur travail, sans excès de langage, en ramenant toujours l’opinion à l’essentiel. Au début, certains syndicats conseillaient en douce aux étudiants de céder. Mais le vent a tourné autrement et finalement, tout le monde s’est rallié. Le mouvement était étudiant, mais la lutte est devenue populaire. La victoire a été partielle, mais cela a quand même été une victoire.
Plus tard, quand le PQ a été élu à l’automne 2012, le bon vieux discours de la concertation a été sorti des garde-robes. Le PQ, à sa manière habituelle, parlait des deux coins de la bouche. Certains militants étaient presque contents d’entendre cela après une décennie de confrontations, mais en réalité, rien n’était changé. Pauline Marois a cherché à s’en tirer, mais amadouer les mouvements populaires tout en courtisant l’électorat de droite était en fin de compte une mission impossible. Sa défaite et l’arrivée au pouvoir du PLQ sur des bases frauduleuses ont fait mal et aujourd’hui, les enjeux sont grands.
Venons-en donc justement à maintenant.
Il n’y a pas vraiment beaucoup de monde à part quelques irréductibles de la « concertation » qui pensent encore qu’on peut discuter honnêtement avec un gouvernement qui est somme toute l’émanation de l’Institut économique de Montréal. Ce sont des gens déterminés à ramener la société québécoise avant la révolution tranquille, ce qui implique de détruire les capacités de résistance des mouvements populaires. Derrière la « réorganisation » du secteur de la santé, c’est la désyndicalisation et la privatisation qui sont les enjeux fondamentaux. Le démantèlement du secteur de l’éducation a pour but de recréer ce qui existait avant 1960, une éducation pour la petite minorité (7% des enfants terminaient le cours secondaire) et des voies dérivées pour les autres, sous la gouverne des entreprises. Les autres acquis sociaux, dont une certaine universalisation de l’accès aux services, les CPE, les congés de parentaux, le développement des régions, oubliez cela. Quant aux camarades du secteur privé, même s’ils ne sont pas directement la cible, ils vont aussi y passer, si le bulldozer néolibéral continue sa marche : législation contre les grèves (comme à Air Canada et au CN), attaques en règle contre la formule Rand, alignement par le bas des salaires et des conditions de travail (le « modèle » Wal-Mart), etc.
Excusez-nous, c’est la lutte des classes, mais à un moment de cette lutte où le 1% pense que son heure est arrivée …
Il est donc normal que, pour la plupart des militant-es, il faut revenir à la mobilisation. Il n’y a pas de raccourci et il faudra donc se tenir debout et dire non. Cette mobilisation, contrairement à certains adeptes d’une pensée magique, ne se fera pas en un jour. Ce n’est pas en s’excitant, encore moins en traitant de « traîtres » tous ceux et celles qui ne veulent pas déclarer la « grève générale illimitée » demain matin, qu’on avancera. Il faudra accumuler des forces, comme on le voit dans des régions avec des alliances inédites entre syndicats, groupes populaires et tout ce qui est en honnête dans la société. En même temps, il faut faire la bataille des idées, comme nos camarades de l’IRIS et des organisations comme le FRAPRU, la FFQ et bien d’autres. À cette bataille des idées participent également des intellectuels, des artistes, des journalistes, des scientifiques qui démolissent les mensonges des tartuffes des médias-poubelles. Enfin, on peut également compter sur les camarades parlementaires de QS et même, de temps en temps, sur quelques autres élus qui préfèrent sauver leur honneur plutôt que de s’enfoncer dans la médiocrité du débat d’une pseudo démocratie qui fait état de système politique au Québec.
C’est un travail de fourmi, souvent invisible, lent, patient, ancré, qui repose sur l’effort à la base, dans les régions, dans les quartiers, dans les lieux de travail, dans les services publics, à l’école.
Par ailleurs, la négociation avec Couillard, ça viendra au bon moment, quand le mouvement populaire aura modifié le rapport de forces. Quand ce dialogue sera amorcé, il sera bon de se souvenir des résistances passées, mais aussi et surtout ce que l’on constate dans la détermination et de l’organisation à la base, qui démontre à chaque jour de la semaine que rien n’est gagné autrement que par la force de nos mouvements et de leurs capacités de se mettre ensemble.
La vraie concertation, c’est en fin de compte cela, c’est la convergence des mouvements populaires.