C’est désormais accepté par tous, il est impossible de rembourser dans sa totalité la dette publique de notre pays. L’ampleur du problème impose de toute évidence un débat public de fond, posant la question de la rupture avec la stratégie suivie depuis le début de la crise. De quel droit laisse-t-on les problèmes successifs aux mains d’un petit groupe d’experts autoproclamés, tandis que dans le même temps, les medias désinforment et terrorisent les couches populaires.
Cette approche a été un parfait échec. Le pays est dans une impasse totale et une large participation populaire est nécessaire à la prise des décisions concernant la dette. Dans ce but, le premier pas peut être la constitution d’une Commission internationale d’audit de la dette publique.
La dette publique est énorme et multi-tentaculaire, assortie d’une grande variété des contrats conclus sous des clauses fort différentes. Mais surtout, elle est entourée d’une totale opacité. Selon le peu d’éléments connus, environ les deux tiers de la dette publique grecque sont détenus par des créanciers étrangers, surtout des banques françaises et allemandes. La dette externe consiste presque entièrement en bons, dont 90% ont été émis sous la législation grecque. La dette interne est également détenue par des banques, mais aussi par des caisses de sécurité sociale et d’autres détenteurs de bons. De surcroît, l’Etat doit payer des sommes considérables à des petites et grandes entreprises.
Afin d’affronter la question de la dette, le pays devra décider clairement quel montant il va rembourser et comment. Il devra aussi ne pas accepter aveuglément les diktats de l’Union européenne, qui imposent un coût financier et social exorbitant. Les choix sont très difficiles et les dirigeants grecs ne doivent pas tomber dans la facilité en disant amen aux principes néolibéraux et en sacrifiant leur population. Quelle part de la dette sera finalement remboursée ?
Faut-il faire une différence entre les créanciers grecs et les créanciers étrangers ? Ces questions essentielles ne doivent pas être éludées et être laissées aux mains des « experts » du Ministère des Finances et de la Banque de Grèce. Pour qu’une solution satisfaisante pour le peuple grec voie le jour, il faut la participation démocratique des mouvements sociaux.
La Commission internationale d’audit pourrait jouer le rôle de catalyseur contribuant à la transparence requise. Cette commission internationale, composée d’experts de l’audit des finances publiques, d’économistes, de syndicalistes, de représentants des mouvements sociaux, devra être totalement indépendante des partis politiques. Elle devra s’appuyer sur de nombreuses organisations qui permettront de mobiliser des couches sociales très larges. C’est ainsi que commencera à devenir réalité la participation populaire nécessaire face à la question de la dette.
Cette Commission internationale demandera que soient rendus publics les contrats qu’elle prendra le temps d’étudier pour définir la nature de la dette. La question centrale est alors : quelle part de cette dette est « odieuse » ou « illégale » ? La notion de dette « odieuse » a été introduite dans le droit international par le juriste russe Alexandre Nahum Sack dans les années 1920 afin de qualifier des dettes publiques contraires aux intérêts populaires.
Elle fait grand débat au sein des juristes, mais il faut noter que les Etats-Unis ont tenté d’utiliser cette notion en 2003 pour effacer les dettes du régime de Saddam. Ils ont reculé quand ils ont constaté qu’ils allaient créer un dangereux précédent pour grand nombre d’autres pays. La notion de dette « illégale » est encore plus large et a été utilisée par plusieurs organisations qui essaient d’obtenir une réduction des dettes des pays en voie de développement. Par exemple, elle s’applique à des dettes aux caractéristiques pénales, injustes ou catastrophiques pour l’environnement.
La Commission internationale aura un champ d’action privilégié dans notre pays. Il suffit de penser aux contrats de dette conclus avec la médiation de Goldman Sachs ou destinés à financer l’achat d’armes de guerre pour constater la nécessité d’un audit indépendant. Si elles se révèlent odieuses ou illégales, ces dettes seront alors déclarées nulles et notre pays pourra refuser de les rembourser, tout en demandant des comptes en justice à ceux qui les ont contractées. La transparence obtenue grâce au travail de la Commission internationale permettra à la société de décider elle-même de ce qu’elle fera de cette dette. De par l’histoire de cette dette, il faut bien comprendre que son remboursement ne va pas de soi.
Il y a en la matière la riche expérience de l’Amérique Latine. Tous les pays de la Périphérie ont intérêt à étudier précisément cette question et à lancer simultanément des audits exhaustifs de la dette. Les peuples d’Europe sont appelés a porter un fardeau terrible, pour que soient sauvées les banques qui ont-elles-mêmes provoqué le déclenchement de la crise actuelle aux multiples conséquences. Ils ont le droit absolu de savoir d’où vient cette dette et de décider de leur propre avenir sur cette question. Dans notre pays, il s’agit d’une demande démocratique impérative : que les contrats de la dette soient rendus publics et que soit constituée dès maintenant la Commission internationale d’audit de la dette publique grecque.
* Tribune libre parue dans le quotidien grec Eleftherotypia du 5 décembre 2010