C’est assez incroyable de voir la différence que peuvent faire deux semaines. Il y a à peine 10 jours, des responsables gouvernementaux et des membres de la coalition au pouvoir en Grèce discutaient ouvertement des possibilités d’un futur gouvernement avec le parti ouvertement néo-nazi de l’Aube Dorée. C’est alors qu’un groupe de voyous de l’Aube dorée a assassiné sans vergogne le rappeur antifasciste Pavlos Fyssas - et soudain tout a semblé changer.
Tandis que des dizaines de milliers de manifestants antifascistes descendaient dans les rues, des responsables gouvernementaux et des médias grand public ont pour la première fois ouvertement dénoncé ce parti comme étant une « organisation criminelle ». Des enquêtes ont été lancées, des officiers de police suspendus et l’Aube Dorée s’est effondrée dans les sondages.
Une répression et des questions
Aujourd’hui, la répression soudaine de l’Etat contre les extrémistes violents a pris un tour spectaculaire avec l’arrestation du leader incontesté du parti, Nikolaos Michaloliakos, par l’Unité nationale de Lutte contre le Terrorisme. Trois autres députés, ainsi qu’un dirigeant du parti pour la banlieue athénienne de Nikaia et 12 autres membres du parti ont également été arrêtés, tandis que de nouveaux mandats d’arrêt ont été émis pour plusieurs députés et membres du parti. Une bonne indication de la détermination du gouvernement à enfin balayer la base institutionnelle du mouvement néo-nazi est donnée par le fait que la répression actuelle se marque, pour la première fois depuis la chute de la junte militaire en 1974, par l’arrestation de députés, sans compter le chef officiel d’un parti.
Malheureusement, la répression institutionnelle et les accusations d’actions criminelles se sont fait attendre longtemps, car le gouvernement (avec la bénédiction de l’Europe) a toléré volontiers la prolifération de la violence néo-nazie contre les immigrés et les gauchistes pendant des années. Il y a donc de bonnes raisons de rester profondément sceptique sur les intentions réelles du gouvernement et sur les implications plus larges des arrestations pour l’avenir de la lutte antifasciste.
L’arrestation de ses dirigeants pourrait sans aucun doute paralyser l’organisation hiérarchique de l’Aube Dorée et paralyser temporairement les actions officiels du parti, mais elle ne supprimera pas la pénétration du fascisme dans le tissu même de l’État et de la société grecque. Plus important encore, un très grand nombre de policiers grecs et les principaux éléments des forces armées du pays continuent à soutenir et à adhérer à l’idéologie violente et ouvertement raciste de l’Aube Dorée.
Ce fait a été souligné lorsque, il y a quelques jours, un groupe de réservistes des forces spéciales a publiquement demandé au gouvernement de démissionner et a appelé ouvertement à un coup d’Etat militaire si celui-ci refusait de le faire. Comme l’Aube Dorée revendique le soutien de près de 60% des forces de police du pays, et comme la plupart de ses députés et de ses voyous ont jusqu’ici échappé à l’emprisonnement grâce aux penchants à droite du système judiciaire, il est également difficile de savoir à quel point la répression juridique sera vraiment efficace. Les charges actuelles peuvent mettre en route la criminalisation du parti mais on ignore jusqu’où les institutions étatiques sont vraiment désireuses et capables d’aller dans leurs efforts pour éradiquer le spectre du néo-fascisme.
Ces limites institutionnelles sont aggravées par le fait que l’Aube Dorée a toujours été soutenue par une section puissante de l’élite capitaliste oligarchique de la Grèce, dont les intérêts financiers ont été parfaitement servis par le discours anti-immigrés de l’Aube Dorée et par ses attaques violentes contre les militants anarchistes et communistes. Il y a quelque temps déjà, les enquêtes menées par la Section en charge des Crimes Financiers ont révélé que l’Aube Dorée est financée par un groupe de riches hommes d’affaires, d’armateurs et de prêtres orthodoxes (ceux-ci sont parmi les plus riches propriétaires terriens en Grèce). Ce sont les mêmes personnes qui contrôlent le gouvernement et les médias grecs et les mêmes aussi qui sont susceptibles de tirer les ficelles derrière les actions "sacrificielles" menées actuellement contre l’Aube Dorée.
Changement de stratégie
Alors pourquoi ces élites des affaires et de la politique ont-elles mis soudain tout leur poids dans la balance contre le parti néo-nazi sur lequel ils avaient précédemment fermé les yeux ou même qu’ils avaient activement soutenu ? Fondamentalement, l’élite grecque n’a toujours eu que deux options diamétralement opposées pour rester au pouvoir : soit essayer de coopter l’Aube Dorée en cajolant sa direction dans le cadre de la « politique traditionnelle », ou réprimer ce parti dans une tentative de récupérer ses électeurs. L’assassinat de sang-froid de Pavlos - qui semble avoir été ordonné par le chef du parti lui-même - et la puissante réaction populaire qu’il a déclenché ont rendu tout simplement intenable la première position. Et donc l’élite a imprimé un tournant à 180 degrés à sa stratégie et abandonné le groupe néo-nazi qui avait été précédemment si bénéfique pour ses intérêts.
Pour cette raison, il reste essentiel de se rappeler que l’Aube Dorée est loin d’être la seule expression du fascisme agitant aujourd’hui la société grecque. Comme je l’ai soutenu dans un précédent article, les partis "centristes" (la Nouvelle Démocratie sur la droite et le PASOK sur la gauche - NdT) ont fixé les paramètres politiques des politiques fascistes pendant des décennies, et de nombreux ministres, anciens et actuels, ont ouvertement exprimé leur soutien à la cause fasciste. Lors d’une interview rugueuse lors de l’émission Hardtalk hier à la BBC, le ministre de la santé Adonis Georgidadis a été confronté à des questions difficiles au sujet de son propre passé politique en tant que membre du parti ultra-nationaliste LAOS , dont le chef est largement connu pour sa rage antisémite et ses tirades contre les immigrés. L’ancien ministre PASOK de la Santé Andreas Loverdos a une fois fait référence à l’Aube Dorée comme le "premier mouvement authentique né après la dictature".
En ce sens, nous ne devons pas oublier que, pas plus tard qu’il y a deux semaines, l’élite politique et l’ensemble du spectre des médias contrôlés par les grands groupes économiques flirtaient encore ouvertement avec l’idée d’une future coalition gouvernementale impliquant une Aube Dorée " plus sérieuse ". Plus tôt cette année, Panagiotis Psomiadis, une figure de proue de la Nouvelle Démocratie (le parti conservateur dominant la coalition gouvernementale - NdT), s’est ouvertement exclamé que " La Nouvelle Démocratie et l’Aube Dorée sont des partis frères." Et cette semaine, Nikos Dendias - le ministre de l’Ordre public qui a affirmé avoir été " consterné " par l’assassinat néo-nazi de Pavlos Fyssas - a ordonné à la police anti-émeute de réprimer violemment une manifestation essentiellement pacifique de 50.000 manifestants antifascistes, empêchant la marche d’atteindre le siège de l’Aube Dorée et protégeant ainsi ce parti d’une expression légitime de l’indignation populaire.
Enfin, nous ne devons pas oublier les leçons de l’histoire du nazisme en Allemagne. Adolf Hitler a également été arrêté par les représentants de la République de Weimar en 1924, avant d’être nommé chancelier par cette même élite politique en 1933. Hitler a utilisé son temps en prison pour organiser son mouvement et dicter le premier volume de Mein Kampf. Tandis que l’Etat capitaliste s’effondrait autour des murs de sa cellule, les pogroms nazis continuaient alors même que la direction officielle du parti était emprisonnée. Si la Grèce veut éviter un scénario similaire, il faudra beaucoup plus que la seule arrestation de dirigeants de l’Aube Dorée. Pour vaincre réellement cette maladie, le fascisme doit être combattu à ses racines mêmes, dans l’Etat capitaliste qui l’a engendré.
Publié le 28 septembre sur le site roarmag.com
Traductions françaises pour avanti4.be : Jean Peltier
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