Édition du 12 novembre 2024

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Grèce

En Grèce, les classes moyennes redoutent de plonger dans un « moyen-âge social »

Une nouvelle fois, Yannis est descendu dans les rues d’Athènes, ce vendredi. Mais l’espoir de ce syndicaliste cinquantenaire est bien mince de voir rejetée la nouvelle cure d’austérité concoctée par la « Troïka » – Union européenne, Banque centrale européenne et FMI – et soumise dimanche 12 février au vote des députés. Fonctionnaire au ministère des finances, Yannis a vu son salaire passer de 1.700 euros net par mois avant les premières mesures d’austérité, il y a presque deux ans, à 1.000 euros aujourd’hui.

(tiré du site de Médiapart)

« Avec ma femme, on a du mal à s’en sortir, car on a trois loyers à notre charge : notre logement à Athènes, et les appartements de nos deux enfants étudiants, l’un en Crète, l’autre sur l’île de Zante. » En Grèce, le choix de l’université dépend du rang obtenu au concours, et non de la ville d’origine des candidats. Donc il arrive souvent que les enfants partent à l’autre bout du pays. Et les rares chambres universitaires proposées par l’Etat sont réservées aux revenus inférieurs à 12.000 euros par an : ce n’était pas le cas de Yannis et sa femme, employée dans une pharmacie, avant la crise.

Pourtant, la situation du couple est fragile : ils ne font pas partie de cette majorité de Grecs de la classe moyenne qui avaient pu, jusqu’à présent, résister cahin-caha à la crise, souvent grâce au fait qu’ils étaient propriétaires de leur logement. « Actuellement, c’est l’équivalent de mon salaire qui passe dans les loyers et les factures, déplore Yannis. Et mes deux enfants doivent faire des petits boulots à côté de leurs études. »

La solidarité familiale, un des piliers de la société grecque, est mise à rude épreuve en ces temps d’austérité, d’autant qu’aux premières mesures gouvernementales s’est ajoutée une profonde récession. L’emploi fond comme neige au soleil : depuis quelques jours, c’est officiel, le petit pays d’à peine 11 millions d’habitants a son million de chômeurs, jeunes en tête. Près de la moitié des moins de 25 ans sont à la recherche d’un emploi.

Vendredi, devant le parlement, Marina faisait partie des manifestants. Fonctionnaire elle aussi, elle se serre la ceinture : « Mon fils a 18 ans, il vient de commencer ses études. Evidemment, il habite à la maison, on ne pourrait pas faire autrement... De toute façon même s’il travaillait, il serait aussi à la maison : comment peut-on être indépendant avec 500 euros par mois ? » Car parmi les nouvelles mesures qui doivent être approuvées par la Vouli, le parlement grec, il y a la diminution de 22 % du salaire minimum – avec un tarif spécial pour les moins de 25 ans : – 32 %. Résultat de l’opération : 512 euros brut par mois pour les jeunes Grecs.

« Le cancer du système politique grec »

Sur les banderoles des manifestations qui se sont poursuivies samedi, on pouvait lire : « Vous n’avez pas été mandatés pour ce Moyen Âge que vous nous préparez ». Et quand on voit la liste des nouvelles mesures contenues dans le projet de loi, on comprend l’inquiétude de la population grecque. Outre la baisse du salaire minimum, qui concerne autant le secteur public que le secteur privé, le nouveau programme d’austérité prévoit une baisse de 15 % des retraites complémentaires et le licenciement de 15.000 fonctionnaires.

Pour rappel, depuis février 2010, on a vu :

  • la suppression des primes et la réduction des 13e et 14e mois dans la fonction publique,
  • la suppression des 13e et 14e mensualités des pensions de retraite,
  • la hausse de 4 points de la TVA,
  • l’abaissement du seuil d’imposition à 5.000 euros par an,
  • la remise en cause des conventions collectives,
  • un vaste programme de privatisation d’entreprises publiques, censé rapporter au départ 50 milliards d’euros à l’Etat en trois ans, objectif ramené depuis à 19 milliards...

« Poussons-les à la faillite avant qu’ils ne nous obligent à faire faillite nous-mêmes », entendait-on dans les manifestations ces derniers jours devant le Parlement. Pour Savas Robolis, directeur scientifique de l’Institut du travail, le centre de recherches des syndicats grecs, le diagnostic est clair : « La population va subir pendant dix ans des sacrifices énormes, mais ces sacrifices ne contribueront même pas à la diminution de la dette d’ici à 2020. Cette politique d’austérité est une impasse absolue pour l’économie grecque. »

Des affrontements et violences policières de plus en plus fréquents.© Reuters
En fait, si l’endettement public diminue, cela sera surtout lié au plan d’effacement de la dette, qui est négocié depuis plusieurs semaines avec les banques et qui doit aussi être validé ce soir par l’assemblée. Il doit permettre en effet l’échange des obligations actuelles par de nouvelles qui auront perdu la moitié de la valeur initiale. Jusqu’à l’année dernière, le volume de la dette grecque n’avait cessé d’augmenter, pour atteindre 161,7 % du PIB : avec cette restructuration, la dette publique devrait atteindre le niveau de 120 % du PIB en 2020.

Pour la population, l’incompréhension devant les nouvelles mesures est totale. Ainsi Vanguélis, employé du casino de Loutraki, une petite ville au sud d’Athènes, est venu manifester dans la capitale pour ces trois jours de mobilisation sociale. « Quand on s’attaque aux salaires du secteur privé, ce n’est pas pour diminuer les dépenses de l’Etat ou augmenter ses recettes fiscales. Cela va servir aux employeurs pour s’en mettre plus dans les poches. »

De fait, les entreprises n’ont pas attendu les futures mesures pour faire baisser les salaires ou pour réduire le volume horaire de travail. Les salaires ont baissé de 15 % en moyenne depuis deux ans, tous secteurs confondus, d’après la Banque de Grèce. Certaines entreprises sont même tellement endettées que leurs salariés ne touchent plus un centime depuis plusieurs mois. C’est le cas dans le secteur des médias notamment. Vanguélis : « C’est simple, faites un calcul. J’ai deux enfants. Pour une bouteille de lait, des yaourts et du pain, il me faut 10 euros chaque matin. Ce qui signifie 300 euros par mois. De l’autre côté nous avons un loyer de 400 euros. Et je gagne seulement 1000 euros par mois... »

Autre témoignage, autre histoire ordinaire de la Grèce d’aujourd’hui. Pantélis est un ancien militaire, retraité depuis peu. Sa pension s’élève à 1.000 euros mensuels – après avoir subi 40 % de baisse. Mais il a un emprunt sur le dos, avec sa femme. Chacun des deux devra payer encore 360 euros, chaque mois, pendant quinze ans. « Il faut que l’on renverse ce cancer que sont le gouvernement et le système politique grecs », dit-il.

Vendredi, à la fin de la manifestation, il s’est adressé aux forces de l’ordre, omniprésentes à chaque rassemblement. Il leur a dit, sur le ton de la provocation : « L’ennemi, ce sont les 300 qui sont là, à l’intérieur du parlement et qui sont censés nous représenter... Ce n’est pas nous, le peuple ! » Les MAT (forces anti-émeutes) lui ont demandé d’approcher, il s’est exécuté... Quelques minutes plus tard, il était par terre, plié en quatre sous les coups de pieds. Les violences policières et les débordements systématiques sont tels que de plus en plus de monde hésite à descendre dans la rue.

Un appauvrissement massif

Restent les plus engagés, militants et syndicalistes, qui veulent y croire encore, et continuent d’appeler « tous les Grecs, dans la rue ». Personne en tout cas ne croit que le nouveau programme d’austérité, décidé en échange d’un nouveau prêt de 130 milliards d’euros, va permettre d’écarter définitivement le risque de faillite de l’Etat et celui de sortie de la zone euro...

La menace brandie par les dirigeants comme une épée de Damoclès tous les trois ou quatre mois depuis deux ans, la dramatisation tous azimuts entretenue par les médias du pays, les Grecs n’y croient plus. D’autant que les sommes prêtées ne permettent pas vraiment au pays de souffler, elles servent à rembourser les vieux emprunts : cette fois-ci, il s’agit de payer 14,5 milliards d’euros d’obligations qui arrivent à échéance le 20 mars prochain. Le cycle infernal semble ne jamais s’arrêter...

Or pendant que les instances internationales décident du sort de la Grèce, la population, elle, s’appauvrit. Dans la capitale, les associations d’aide aux démunis estiment à 25.000 le nombre de SDF, parmi lesquels les Grecs sont en nette augmentation, alors que les sans-logis étaient jusqu’alors essentiellement des immigrés sans papiers.

Cet appauvrissement est noté par l’antenne de Médecins du Monde en Grèce. Selon son directeur, Nikitas Kanakis, désormais environ le tiers des personnes qui fréquentent le centre sont des patients grecs, alors qu’ils étaient seulement 6 ou 7 %, pour une écrasante majorité d’immigrés, il y a encore un an : ces gens-là n’ont plus l’argent pour payer le ticket modérateur de 5 euros à l’hôpital public. De son côté, l’Eglise orthodoxe, palliatif d’un Etat qui n’a jamais développé de structures sociales d’accueil, a augmenté le nombre de repas gratuits qu’elle distribue chaque jour. Dans certains quartiers, les habitants eux-mêmes se mobilisent pour organiser des soupes populaires.

Après trois décennies de croissance, de crédits faciles et de culte de la consommation, les classes moyennes grecques sont comme frappées par la foudre. Un déclassement massif est en train de se produire qui menace maintenant tout le pays d’un véritable effondrement social.

Amélie Poinssot

Amélie Poinssot

Après des années de correspondances en Pologne puis en Grèce, expérience qui l’a amenée à travailler pour des médias aussi divers que La Croix, RFI, l’AFP... et Mediapart, elle rejoint la rédaction de Mediapart en février 2014.

https://www.mediapart.fr/biographie/amelie-poinssot

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