Un peu trop anxiogène pour être un sujet racoleur, le changement climatique est ressorti des limbes de l’information le 27 septembre. Motif, la sortie du premier volume du 5e rapport du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, mis en place par l’Onu. Ce sont 259 auteurs et 50 superviseurs qui planchent sur les travaux de plus de 600 scientifiques venant de 32 pays. Leur travail de synthèse est titanesque : 2 000 pages de rapport avec 1 250 schémas et graphiques. De ce document, est tiré un résumé d’une trentaine de pages destinés aux « décideurs », les chefs d’État et de gouvernement.
Il y est précisé que le réchauffement moyen depuis un siècle et demi est de 0,85 °C, que les trois dernières décennies sont « probablement » les plus chaudes depuis mille quatre cents ans. Et surtout, que les activités humaines constituent, de manière « extrêmement probable », la cause principale du réchauffement de la planète depuis les années 1950. De quoi faire bondir les « climatosceptiques » : ceux qui contestent le lien entre activités économiques et réchauffement climatique, si tant est, selon eux, que celui-ci soit une réalité.
1- Critiquer le Giec, qui « n’est pas un organisme scientifique »
Leur cible privilégiée : le Giec. « Toute une théorie du complot se développe autour de cette instance », confirme Antonin Pottier, chercheur en économie de l’environnement au Cired [1]. Le Giec « n’est pas un organisme scientifique », « refuse le débat scientifique argumenté » et « dénigre la liberté d’expression de ceux qui ne partagent pas ses idées », prétendent ainsi les auteurs du livre collectif Climat, 15 vérités qui dérangent, en tête de gondole dans plusieurs librairies. D’une pierre deux coups : les travaux scientifiques sur lesquels s’appuient le groupe international sont niés et le Giec serait partial, le débat et la pluralité n’y ayant pas leur place.
Les « opinions » des climatosceptiques n’y sont pas entendues ? « Pour produire sa synthèse, le Giec ne prend comme données de base que les travaux qui sont publiés dans les revues scientifiques. Or, la plupart des travaux des climatosceptiques qui contestent l’existence du réchauffement climatique n’arrivent jamais à publication parce qu’ils ne sont pas sérieux », explique Antonin Pottier, qui a travaillé sur la rhétorique du discours climatosceptique.
Malgré des procédures de relecture renforcées, le Giec est accusé d’entretenir « une habile confusion des registres entre science et politique ». Ce qui n’est bien sûr pas le cas des climatosceptiques ! Une fois le rapport scientifique rédigé – un énorme pavé abscons pour les non-initiés – les membres du Giec s’attellent à la rédaction du fameux « résumé pour les décideurs ». Chaque ligne de ce texte est revue par les délégations gouvernementales. « Certains pays exportateurs de pétrole tentent de contester les preuves apportées au changement climatique mais sont obligés de se ranger aux arguments scientifiques avancés. », relève Antonin Pottier. La recherche du consensus prime. « Le mode de fonctionnement du Giec fait qu’il s’aligne sur le socle commun et accepté par tous les scientifiques. Il y a des hypothèses dans la littérature scientifique qui sont nettement plus alarmantes que ce que le Giec peut dire », souligne le chercheur. Qu’importe, un pseudo « Climategate » est toujours possible [2]. Le travail de sape a porté ses fruits.
2 - Dénigrer toute transition énergétique
Le sérieux et l’impartialité du Giec remis en cause, ce sont les politiques climatiques et de transition énergétique qui n’ont plus lieu d’être. « La totalité des hydrocarbures fossiles de la planète [est] appelée à être utilisée et le carbone qu’ils contiennent à engendrer du CO2, affirme ainsi Christian Gérondeau, polytechnicien et membre de l’Automobile Club Association, dans CO2 : un mythe planétaire (2009). Nos efforts ne serviront à rien sur ce plan puisque ce que nous n’utiliserons pas le sera par les autres ». Sans oublier les effets pervers – « l’autre argument phare » des climatosceptiques selon Antonin Pottier – provoqués par les politiques d’économies d’énergies et de diminution des pollutions liées aux hydrocarbures. « Le pays engage des dépenses injustifiées, il freine sa croissance et, au total, détruit nécessairement des emplois » écrit Christian Gérondeau.
Quid des effets désastreux d’un réchauffement de quelques degrés ? « On ne créera pas d’emplois dans une planète morte. Et on ne sera pas capable de venir à bout de la pauvreté si on ne règle pas la question environnementale », rappelait Anabella Rosemberg, de la Confédération syndicale internationale, lors de la conférence sur le développement durable « Rio+20 » (juin 2012).
3 - Dénoncer l’écologie, prémisse d’une « société totalitaire »
A la catastrophe que représenterait une transition énergétique à venir, s’ajoute un autre péril qui fait frissonner la nébuleuse climatosceptique : la mise à mal de la liberté et de la démocratie. Qualifiés d’ « anciens rouges » voir de « Khmers verts » par Luc Ferry, les partisans de la lutte contre le changement climatique sont accusés de promouvoir des réformes conduisant tout droit à « une société totalitaire, encadrée par des taxes et des interdictions à gogo » écrit Claude Allègre. Là encore, rien à voir avec la réalité. C’est justement pour contrecarrer ce discours qu’est organisé le 6 octobre prochain le forum Alternatiba, un village des alternatives démontrant « que les solutions existent et qu’elles sont à notre portée, créatrices d’emploi, porteuses d’un monde plus humain, convivial et solidaire ».
4 - Nier la responsabilité humaine dans le réchauffement
« La manière la plus simple de nier les politiques contre les émissions de gaz à effet de serre, c’est de s’attaquer à la racine même de sa justification, c’est à dire à l’origine "humaine" du réchauffement climatique », souligne Antonin Pottier. Le réchauffement climatique n’est pas d’origine humaine, mais solaire ou cyclique, voire volcanique. Et selon le physicien François Gervais, « l’accroissement annuel du taux de CO2 dans l’atmosphère suit l’évolution de la température » (L’innocence du carbone, Albin Michel). Et non l’inverse... Bref, les travaux des 600 scientifiques synthétisés par le Giec seraient nuls et non avenus. Le CO2 n’y est pour rien ! Rien ne sert d’agir contre le changement climatique puisque nous ne sommes ni responsables ni coupables. Fini le sentiment d’angoisse ou d’impuissance face à un phénomène global et intangible ! Nul besoin de transformer en profondeur les modes de vie : un avenir paisible de progrès continuel, de croissance éternelle et de consommation infinie s’ouvrent à nous...
5 - Prendre des libertés avec les faits
Pour étayer leurs thèses, « les climatosceptiques vont jusqu’à falsifier les faits et truquer les références », constate Antonin Pottier. Les journalistes scientifiques Sylvestre Huet et Stéphane Foucart ont notamment dressé la liste des erreurs de chiffres, mais aussi les mensonges, les trucages de courbes de température, les références erronées, et les fautes de raisonnement, accumulés par Claude Allègre dans son livre L’imposture climatique [3]. Si falsifier des données constitue une fraude que le monde scientifique combat vigoureusement, la capacité à susciter de l’audience semble malheureusement suffire pour être invité sur les plateaux de télévision.
6 - Semer le doute dans les médias de masse
Bien que des erreurs aient été pointées dès la parution de son ouvrage, Claude Allègre s’est vu ouvrir sans réserve les arènes des médias de masse. « Le problème est que l’on met sur un plan d’égalité une opinion qui ne repose sur rien d’objectif et une position scientifique étayée par des recherches, remarque Antonin Pottier. De fait, on légitime le discours climatosceptique et on fait croire à l’existence d’un débat scientifique ». Pas facile sur un plateau télé pour le scientifique prisonnier de la complexité de son sujet, de faire le poids face à un orateur habile à caricaturer et à simplifier. « Le climatosceptique prétend alors révéler une vérité cachée. En réalité, il ne fait que recycler dans le débat public des arguments réfutés par la communauté scientifique depuis dix ou quinze ans. »
Mais qui sont ces pseudo dissidents d’une pensée dominante totalitaire ? Ce sont avant tout des scientifiques non spécialistes des disciplines qu’ils critiquent. On trouve ainsi des polytechniciens comme Christian Gérondeau, des géochimistes tels que Claude Allègre, des géophysiciens à l’instar de Vincent Courtillot, des animateurs météo comme Laurent Cabrol, mais aussi beaucoup de géologues. « Aux Etats-Unis ou en France, la plupart des scientifiques qui disent s’opposer aux thèses du Giec ne sont pas généralement des climatologues », confirme le chercheur Cired.
Leur point commun ? L’attachement à une certaine idée du progrès. « Le réchauffement climatique ébranle la croyance au progrès en montrant ses contreparties négatives. » Les climatosceptiques assurent au contraire que la technologie, associée au libre marché, offrira toujours les moyens techniques d’aller au-delà des limites existantes. Exit l’épuisement des ressources, la multiplication des pollutions, la finitude de notre monde.
7 - Entretenir l’opacité sur les financements
En France, le « climatoscepticisme » est plutôt le fait d’individus médiatisés mais isolés. Il existe en revanche aux États-unis un système de réseau de financements. « C’est une nébuleuse de groupes de think tank très proches du parti républicain qui sont à l’origine de la plupart des ouvrages ou rapports d’experts autoproclamés qui contestent l’existence du réchauffement climatique », rappelle Antonin Pottier. Ces think tank bénéficient des largesses de groupes industriels et de milliardaires qui spéculent sur l’avenir de la planète. Pour autant, relativisent les auteurs du livre Les marchands de doute [4], il n’y a pas de complot conscient. On assisterait plutôt à une forme de convergence idéologique entre les grands groupes industriels et certains scientifiques. Leurs actions et leurs choix seraient en fait façonnés par un « fondamentalisme de marché ».
Que faire face à ces marchands de doutes ? L’historien François Jarrige préconise « une meilleure connaissance du fonctionnement du travail scientifique et un meilleur contrôle de sa diffusion dans le champ politique et dans l’opinion » [5]. Mieux prendre en compte la position à partir de laquelle les experts parlent et savoir qui les financent. Si 13 % des Français doutent aujourd’hui de la réalité même du changement climatique, ils seraient 61 % à considérer que ce changement est une réalité et qu’il est dû aux activités humaines [6]. Restent ceux qui doutent de leur responsabilité. La sortie du nouveau rapport du Giec est une piqûre de rappel toujours plus alarmante.
Notes
[1] Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement
[2] En novembre 2009, des hackers divulguent la correspondance privée de plusieurs climatologues, dont certains collaborent à l’élaboration des rapports du Giec. Ces pirates perçoivent dans ces échanges la preuve des manipulations de données. Nature, une revue scientifique de référence, estime cette affaire « risible » : « rien dans ces mails ne remet en cause le fait scientifique que le réchauffement est réel ». En vain, le « climategate » embrase la blogosphère.
[3] On trouvera de nombreux exemples sur le blog de Sylvestre Huet, journaliste à Libération, et dans son livre L’imposteur, c’est lui : réponse à Claude Allègre (Stock, 2010). Voir aussi l’article de Stéphane Foucart, « Le cent-fautes de Claude Allègre », et notre entretien sur Basta !.
[4] Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Les Marchands de doutes, Le Pommier, 2012.
[5] Lire l’article de François Jarrige, « Semer le doute, entretenir la confusion, la stratégie paysante des "climatosceptiques" », Revue des Livres n°9, janv-fév. 2013.
[6] Source : baromètre d’opinion sur l’énergie et le climat réalisé par le Commissariat général au développement durable en août 2013.