Tiré de Courrier international.
De quoi l’inflation est-elle le nom ? Depuis trois ans, les prix n’en finissent plus de s’envoler. Les raisons le plus souvent invoquées par les industriels : la pandémie, les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, la guerre en Ukraine, les pénuries ou encore la flambée du coût de l’énergie. Comme si l’inflation était devenue une fatalité liée à des phénomènes qui nous échappent.
La réalité est pourtant légèrement différente : certains ont bel et bien profité de la conjoncture pour augmenter considérablement leurs marges, révèlent deux enquêtes que nous avons choisi de traduire dans notre dossier cette semaine. Celle de l’hebdomadaire allemand de gauche Stern et celle du bien moins gauchiste site Bloomberg.com.
“À qui profite la hausse ? s’interroge Stern dans un article très documenté. Se pourrait-il que nous nous fassions berner quand nous acceptons sans ciller de payer le nouveau prix affiché sur l’étiquette ?” La réponse du magazine, qui cite de nombreux experts, ne laisse pas beaucoup de place au doute : “Dans le commerce, où personne ne comprend bien comment est fixé le prix d’un yaourt, par exemple, les prix ont bien plus grimpé que ce que justifierait la flambée des coûts. Il en va de même dans le bâtiment et l’agriculture [ainsi que dans la distribution, les transports et l’hôtellerie-restauration]”, explique un économiste à Stern.
À la fin de mars déjà, Fabio Panetta, membre du directoire de la Banque centrale européenne, alertait dans The New York Times :
- “Les coûts de production diminuent, mais les prix de détail sont en hausse et les bénéfices augmentent. Il y a de quoi s’inquiéter […] d’une éventuelle hausse de l’inflation due à la hausse des bénéfices.”
Autrement dit : l’inflation nourrit l’inflation, et devient parfois un business en soi.
Bloomberg.com ne dit pas autre chose. Les entreprises justifient leurs augmentations de prix par la dernière crise en date – que celle-ci ait ou non un effet sur leurs coûts de production –, histoire de gonfler leurs profits. C’est ce qu’on appelle “l’excuseflation”, l’un des nombreux néologismes qui ont fleuri pour désigner des pratiques permettant de camoufler la hausse des prix.
Citée dans les deux articles, Isabella Weber, économiste à l’université du Massachusetts, parle, elle, d’“inflation du vendeur”, qu’elle définit comme “un accord tacite autour de flambées de coûts sectorielles et de goulets d’étranglement coordonnés”. Pour endiguer l’inflation, qu’elle juge “arbitraire”, “Isabella Weber réclame depuis longtemps des contrôles de prix ciblés et soigneusement sélectionnés”, écrit Stern. Elle a été partiellement entendue en Allemagne, où les prix à la consommation sont désormais plafonnés pour l’énergie, se réjouit l’hebdomadaire. Aux États-Unis aussi, souligne Bloomberg.com, “les décideurs politiques [à commencer par le président, Joe Biden,] commencent à s’intéresser à la manière dont le comportement des entreprises peut être un moteur de l’inflation”.
Une prise de conscience indispensable alors que la flambée des prix atteint désormais tous les secteurs : logement, crédit, alimentation, chauffage, essence… Et un dossier qui devrait vous éclairer sur les mécanismes économiques à l’œuvre et les pistes pour tenter d’enrayer une inflation qui n’a finalement rien d’inéluctable.
D’inflation il était aussi beaucoup question dans l’élection turque du dimanche 14 mai. Recep Tayyip Erdogan allait-il payer la crise économique sans fin et les hausses de prix à trois chiffres que connaît le pays ? s’interrogeait la presse étrangère avant le vote. Cela n’a visiblement pas été le cas, même si, pour la première fois, le président turc devra affronter un deuxième tour (en 2014 et 2018, il avait été élu dès le premier tour).
En raison du jeudi de l’Ascension, nous avons dû avancer le bouclage de l’hebdomadaire cette semaine (il paraît mercredi 17 mai). Les résultats et analyses du double scrutin en Turquie (la présidentielle et les législatives) sont donc à retrouver sur notre site. Comme ceux des élections en Thaïlande, qui ont vu une nette victoire des deux formations de l’opposition prodémocratique. Un camouflet pour le gouvernement sortant héritier du coup d’État de 2014 mené par le général Prayuth Chan-ocha.
Claire Carrard
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