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Centrafrique : Human Rights Watch s'alarme des violences anti-musulmanes

Alors que la nouvelle présidente a prêté serment, des lynchages et des pillages contre les musulmans se poursuivent. « Si la violence continue, il pourrait n’y avoir bientôt plus de musulmans en Centrafrique », avertit Human Rights Watch.

23 janvier 2014 | mediapart.fr

« Ils nous ont dit qu’ils ne voulaient plus voir de musulmans dans le quartier ! Ils veulent nous chasser ! » raconte au téléphone, avec une détresse palpable dans la voix, Amadou, un chauffeur de taxi de Bangui. « Ils », ce sont les milices « anti-balakas » qui, après quelques semaines de calme relatif, ont repris leurs exactions contre les musulmans dans la capitale centrafricaine, mais aussi dans les principales villes du pays. Alors que la nouvelle présidente du pays, Catherine Samba Panza, a prêté serment jeudi après-midi en présence du ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius, les violences semblent s’intensifier d’après plusieurs correspondants joints sur place.

Encouragées par le départ de Michel Djotodia, l’ancien chef d’État arrivé au pouvoir en mars 2013, et le reflux de ses troupes de la Séléka, les milices « anti-balakas » ont semble-t-il décidé d’en découdre. Peter Bouckaert, le directeur des interventions d’urgences de l’ONG Human Rights Watch, décrit par téléphone des scènes de « furie et de pillages » dans différents quartiers de Bangui, mais aussi dans le reste du pays, face à des troupes françaises de l’opération Sangaris et africaines de la Mission internationale d’assistance à la Centrafrique (Misca), impuissantes à endiguer les assassinats. « La population qui a souffert pendant dix mois sous le joug de la Séléka a entrepris de se venger sur les citoyens musulmans ordinaires. Nous avons assisté à plusieurs scènes de lynchage à coups de machettes. Des prisonniers ont été extraits de leur cellule pour être abattus. » Au total, une dizaine de personnes au moins auraient été tuées à Bangui mercredi 22 janvier.

La rancœur après plusieurs mois de tensions accumulées et d’exactions de la part des Sélékas à l’encontre de populations civiles, majoritairement chrétiennes, est également alimentée par l’opportunité du pillage ordinaire. « Dans un pays où les biens d’une personne tiennent souvent dans un sac en plastique, l’occasion d’aller voler des toitures en métal ou des objets de consommation courante dans une maison voisine, alimente ces violences », témoigne un humanitaire sur place. « Ce qui se passe est un mélange de couvercle qui saute de la marmite et de larcins, alimentés par l’envie, contre une communauté affaiblie, celle des musulmans. »

Même s’il est très difficile de recueillir des informations sur le reste de la Centrafrique, il semble que le même processus soit à l’œuvre. À chaque fois, le schéma est le même : les forces de la Séléka, qui contrôlaient tant bien que mal les différentes villes du pays à coup d’intimidation et de rançonnement des populations, plient bagage maintenant qu’elles savent qu’elles ont perdu la bataille ; les milices d’auto-défense « anti-balakas », qui se sont formées dans la brousse depuis l’été dernier, rentrent dans les villes et s’en prennent aux citoyens musulmans (entre un tiers et un cinquième de la population centrafricaine) par mesure de vengeance indistincte.

À Bouar, par exemple, les soldats de la Séléka, qui occupaient l’immense camp militaire construit autrefois par les Français, ont déserté et se sont dirigés vers la frontière camerounaise toute proche. Là, un accrochage a eu lieu avec des soldats camerounais et le commandant de la Séléka, le général Suleiman (dont nous avions parlé ici), a été abattu. À Boali, l’évêque est lui-même allé voir les habitants musulmans de la ville pour leur proposer de se réfugier autour de l’église de la ville, une fois que les Sélékas ont levé le camp. Il y aurait aujourd’hui 700 musulmans dans un campement de fortune autour du lieu saint, qui craignent pour leur vie et ont le sentiment qu’ils vont devoir quitter le pays, selon le récit d’un humanitaire qui s’est rendu là-bas.

Plusieurs dizaines de milliers de Centrafricains musulmans auraient déjà fui le pays, cherchant refuge dans les nations voisines, dans ce qui commence à ressembler à une purification ethnico-religieuse de fait. « Si la violence actuelle continue, il est possible qu’il n’y ait bientôt plus de musulmans en Centrafrique », avance Peter Bouckaert, d’Human Rights Watch.

Face à cette reprise de la violence, il apparaît évident que le nombre de soldats français et africains déployés en Centrafrique est insuffisant. « Le nombre de soldats actuel ne suffit même pas à remettre de l’ordre à Bangui », a jugé la nouvelle présidente, dans un entretien 3 au Parisien. « Il n’y a pas assez de soldats en Centrafrique. » Il y a à l’heure actuelle 1 600 soldats français (un chiffre officiel minoré selon deux sources) et de 4 à 5 000 soldats de plusieurs nations africaines. Pour autant, même si le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian estime avoir « sous-estimé l’état de haine et l’esprit revanchard, l’esprit de représailles », il n’entend pas envoyer de renforts 3.

La mission des soldats étrangers présents est pourtant particulièrement difficile. « La violence se déroule à l’intérieur de quartiers qui sont malaisés d’accès », raconte un témoin qui a assisté à des scènes de lynchage mercredi 22 janvier. « Les soldats de Sangaris ont beau confisquer des centaines de machettes, il en reste des milliers cachées. Hier, j’ai vu les soldats Rwandais de la Misca assister impuissants aux pillages d’un quartier périphérique. Ils ne pouvaient que regarder. » « Les anti-balakas ont profité de l’intervention française pour prendre leur revanche », raconte Peter Bouckaert, qui en est à sa troisième mission sur place depuis novembre. « Cela place les soldats français dans une situation délicate, car les anti-balakas s’en servent comme d’un bouclier contre les Sélékas », qui sont plus armés et plus faciles à identifier.

Le pays n’est pas encore à feu et à sang, mais la tension, très vive depuis de mois, n’est pas retombée avec la nomination d’un nouveau chef d’État. Jusqu’ici, le pire n’est pas arrivé en Centrafrique mais rien ne garantit que cela ne se produira pas.

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