Tiré de Europe solidaire sans frontière.
Parle d’urgence à mon c…
La COP21, à Paris, avait fixé un cap : « rester bien au-dessous de 2°C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle tout en continuant les efforts pour ne pas dépasser 1,5°C ». Dans le sillage de cette décision, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) avait été chargé de rédiger un rapport spécial sur les 1,5°C. Rendu public en octobre dernier, ce rapport alarmant concluait notamment que l’humanité dispose encore d’une douzaine d’années à peine (c’est un maximum) pour éviter un cataclysme de très grande ampleur, et que des changements importants à tous les niveaux de la société sont indispensables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50% en 2030 et les annuler complètement en 2050.
À Katowice, les États-Unis, soutenus par la Russie, l’Arabie saoudite et le Koweït, ont mené bataille pour empêcher que le cri d’alarme des scientifiques soit pris en compte par les gouvernements du monde. Ils sont parvenus à leurs fins, puisque la COP24 s’est finalement contentée de remercier le GIEC d’avoir clôturé son rapport dans les délais. La déclaration de huit pages adoptée par la conférence ne fait pas une seule fois la moindre allusion à l’urgence absolue mise en évidence par le GIEC. Alors que les plans climat des gouvernements nationaux (« contributions nationalement déterminées » (CND, dans le jargon) mettent en perspective un réchauffement catastrophique de 2,7 à 3,7°C, aucun État n’a pris de mesures pour renforcer ses engagements. On verra plus tard comment combler le fossé entre les paroles de Paris et les actes des gouvernements… si on le comble.
Adieu, responsabilités différenciées
Le dos tourné au diagnostic du GIEC n’est pas la seule cause d’indignation face à cette COP. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (Rio, 1992) stipule que le réchauffement est une « responsabilité commune, mais différenciée ». Il s’agit donc de répartir les efforts en tenant compte du fait que les pays dits « développés » sont les principaux responsables historiques du réchauffement. Cette clause, fondamentale pour les pays du Sud, est, depuis le début des négociations, dans le collimateur des pays riches, particulièrement des États-Unis. Or, sous couvert d’uniformisation des procédures de comptabilisation des émissions, la COP 24 marque une nouvelle étape de son escamotage progressif.
La COP24 a en effet décidé que les émissions de CO2 d’un pays riche - qui pourrait parfaitement cesser tout de suite de brûler du charbon pour produire de l’électricité - sont mises sur le même pied que celles d’un pays pauvre - qui n’a pas les moyens financiers et technologiques de développer des alternatives vertes. Cette équivalence serait certes justifiée si l’aide des pays développés à la transition énergétique des pays du Sud était réelle, substantielle, inconditionnelle et proportionnelle aux responsabilités historiques. Mais ce n’est pas le cas. Les cent milliards par an du « fonds vert pour le climat » promis à partir de 2020 (une somme est très insuffisante pour financer la transition et l’adaptation) restent surtout une promesse sur le papier, et les pays riches font la sourde oreille lorsque les plus pauvres demandent à être indemnisés pour les pertes et les dommages (losses and damages) causés chez eux du fait des typhons plus violents et autres événements météorologiques extrêmes.
Cyniquement, ceux qui, à l’instar de Trump, nient la réalité du changement climatique « anthropique » - alors qu’ils en sont les principaux responsables - n’hésitent pas à prétexter de « l’urgence écologique » pour étouffer l’enjeu de la justice sociale. Justice dans les rapports Nord-Sud, évidemment, mais aussi dans les rapports entre riches et pauvres, au Nord comme au Sud. Le mouvement des Gilets jaunes montre clairement qu’il n’y a pas d’issue à la crise climatique par le biais d’une politique néolibérale qui fait des cadeaux aux riches au nom de la compétitivité, d’une part, et taxe les pauvres au nom de l’écologie, d’autre part. C’est pourtant cette politique hypocrite et injuste que les gouvernements veulent intensifier, au nom du sauvetage du climat. En particulier à travers l’instauration (remise à une COP ultérieure) d’un prix mondial du carbone et d’un nouveau « mécanisme de marché » pour généraliser la marchandisation des écosystèmes, avec droits d’émissions échangeables à la clé.
La croissance ou le climat ? Jésus ou Barabbas ?
À l’issue de cette COP, les commentaires de la plupart des observateurs/trices oscillent entre l’image du verre à moitié plein et celle du verre à moitié vide. On déplore la lenteur dans la mise en œuvre du « bon accord » de Paris. Mais cette lenteur ne découle pas uniquement de la mauvaise présidence polonaise de la COP, de sa soumission aux intérêts charbonniers (la COP24 était sponsorisée par le plus gros exploitant européen de houillères), ou de la crise que le méchant Trump a ouverte dans le « modèle » multilatéral de gestion des relations internationales… Plus fondamentalement, elle renvoie à l’impossibilité de résoudre l’équation climatique sans rompre avec la logique productiviste du capitalisme. Du coup, elle invite à réexaminer le non-dit de la COP21, pour voir le côté obscur du « bon accord » de Paris…
Sauver le climat implique d’arrêter la croissance. Il faut, pour le dire simplement, produire moins et partager plus, ce dont le capitalisme est rigoureusement incapable. Il y a, en d’autres termes, un antagonisme profond entre la solution de la crise climatique, d’une part, et la logique capitaliste d’accumulation, d’autre part. Depuis un quart de siècle, les COP ne font rien d’autre que tourner autour de ce dilemme : la croissance ou le climat ? Jésus ou Barabbas ? L’accord de Paris a donné l’impression qu’une solution était trouvée, mais ce n’était qu’une déclaration d’intentions, un tour de passe-passe. Car, en coulisse, le « bon accord » était sous-tendu par un projet capitaliste dingue et criminel : le « dépassement temporaire » du seuil de dangerosité du réchauffement. Barrabbas est libre, le Christ est sacrifié, Pilate s’en lave les mains.
Un scénario d’apprentis sorciers
L’idée est la suivante : la barre des 1,5°C sera franchie en 2030-2040 (croissance pour le profit oblige !), mais des « technologies à émissions négatives » et la géoingénierie permettront de refroidir le climat dans la seconde moitié du siècle. Dormez en paix, bonnes gens, tout est sous contrôle… Implicite dans l’accord de Paris, ce scénario est désormais tout à fait explicite dans les publications scientifiques qui servent de base aux négociateurs climatiques - y compris dans les travaux du GIEC.
Ce projet de « dépassement temporaire » est digne d’apprentis sorciers, pour au moins deux raisons : 1°) les technologies en question sont hypothétiques, voire dangereuses (écologiquement ET socialement), et 2°) des catastrophes irréversibles - par exemple, une dislocation de calottes glaciaires entraînant une hausse de plusieurs mètres du niveau des océans ! - pourraient se produire pendant l’intervalle. Mais les apprentis sorciers ont l’oreille des « élites » car leur « solution » semble permettre de repousser le dilemme de la croissance à plus tard. Du coup, elle laisse aux multinationales fossiles et aux banques qui les financent le temps nécessaire à la rentabilisation de leurs énormes investissements dans le charbon, le pétrole, le gaz. De facto, l’alliance des fossiles et de la finance dicte ainsi le rythme et les formes de la transition énergétique.
Totalement dévoués aux impératifs du profit, de la compétitivité (entre entreprises, mais aussi entre États protecteurs de « leurs » entreprises) les négociateurs ne demandent qu’à croire que le Dieu de la Technologie viendra à la rescousse de leur économie de marché et de son corollaire : la croissance infinie. D’où leur indifférence à la catastrophe en cours et leur enthousiasme, voire leur sincérité, à (tenter de nous faire) croire qu’ils ont conclu un « accord historique » - un de plus. Pendant la catastrophe, la comédie continue.
Justice sociale, justice climatique : un même combat
Après cette COP24, une chose devrait être claire comme de l’eau de roche : il n’y a rien, strictement rien à attendre des gouvernements, des Nations Unies, du « dialogue de Talanoa », de la « High Ambition Coalition », etc. Il faut abandonner radicalement toute illusion sur la possibilité de convaincre tous ces responsables du chaos, quels qu’ils soient, de l’avantage qu’ils auraient à « prendre le leadership » pour « rehausser les ambitions » en pilotant une « transition juste » vers un « développement soutenable », etc., etc. Ils n’en ont rien à cirer, point. Tout ce bla-bla, toute cette mise en scène ont un seul but : endormir les peuples, neutraliser leur réflexion, paralyser leurs organisations. C’est la stratégie de l’araignée. Collaborer, c’est se jeter soi-même dans la toile.
En Belgique, l’impasse de la stratégie de collaboration des grandes associations environnementales (et des directions syndicales qui les soutiennent) est apparue en pleine lumière. En effet, au lendemain de l’énorme manifestation climat début décembre (75.000 personnes à Bruxelles), la « Coalition climat » et le « Climate express » ont prié le gouvernement de droite de ne pas tomber, tandis que Greenpeace suppliait le roi de convaincre la classe politique de l’urgence climatique. Sans succès, évidemment. N’est-il pas évident que cette voie est sans issue ? Lorsque tous les recours terrestres auront été épuisés, il ne restera plus qu’à implorer une intervention divine…
Cette impasse est en tout point similaire à celle dans laquelle les directions syndicales se sont enfoncées, fin 2014, en arrêtant leur plan d’action « pour donner une chance à la concertation ». On sait ce qu’il en est advenu : le gouvernement de droite a repris de l’assurance et démantelé l’une après l’autre de nombreuses conquêtes sociales.
Que ce soit en matière sociale ou en matière environnementale, la conclusion est claire : le seul langage que les dirigeants comprennent est celui de la force. Il faut donc construire un rapport de forces et, pour cela, il n’y a qu’un moyen : unir les luttes pour la justice climatique et pour la justice sociale dans une perspective anticapitaliste.
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