1. La poursuite judiciaire contre les leaders de l’indépendantisme catalan
Vendredi 23 mars, le juge Llarena de l’Audiencia Nacional, a décrété la prison préventive pour cinq politiciens catalans : Jordi Turull, Jordi Rull, Raúl Romeva, Dolors Bassa i Carme Forcadell (tous députés dûment élus aux élections du 21 décembre dernier). Marta Rovira, leader d’ERC, a opté pour s’exiler en Suïsse.
Il faut tenir compte du fait que 700 maires de la Catalonge (sur un total de 900), font face aussi à des poursuites judiciaires pour avoir permis ou facilité la tenue du référendum du 1er octobre dernier.
Et maintenant on cherche aussi à inculper des personnes et groupes qui conforment le réseau En peu de pau (En pied de paix), parce que celui-ci prône la résistance non-violente et la désobéissance civile.
Par ailleurs le juge Llarena vient de réactiver l’euro-ordre par laquelle il réclame l’extradition des exilés : Carles Puigemont, Antoni Comin, Meritxell Serrés en Bélgique et Clara Ponsatí en Écosse (tous des membres du gouvernement catalan). La Bélgique risque de refuser la demande, mais pour l’Écosse on verra bien.
Il faut dire que la Commission européenne des droits humains, qui a été saisie de la situation des prisonniers politiques (elle peut prendre 10 ans pour y répondre…), a pris l’initiative de réclamer à l’État espagnol de respecter les droits politiques de Jordi Sánchez : il avait le droit d’être présent à la séance qui devait l’élire comme Président de la Generalitat, étant donné qu’il était en prison préventive et non pas en accomplissant une peine. Évidemment l’État espagnol a fait la sourde oreille à cette demande.
2. Constitution d’un front démocratique anti-répression
Cela représente franchir une ligne rouge de non-retour, qui a réveillé à nouveau les indépendantistes et démocrates face à cette dérive.
Tout ceci en plus est en train de provoquer la constitution d’un front politique anti-répression qui regroupe les partis politiques ERC, Junts per Catalunya, CUP et CSQP (la marque de Podemos en Catalogne), en plus d’Omnium Cultural et ANC, ainsi que d’autres associations de la société civile.
On verra bien l’utilité réelle d’une telle initiative dans les faits… Mais la réalité est que les gens en ont assez et ne veulent plus rester sans rien faire. La tension monte et il n’est pas exclu que des réponses violentes commencent à se manifester (on dirait que l’État cherche justement cela…).
3. Élection d’un président de la Generalitat et formation du gouvernement.
Parmi tout cela, où en est l’élection du président de la Generalitat et la formation du gouvernement ?
Après des longues négociations, ERC et JxC étaient arrivés à un accord pour élire Puigdemont à nouveau. La menace du Tribunal Constitutionnel de poursuivre le président du Parlement catalan s’il permettait une telle élection, a mis fin à cette possibilité.
Ensuite l’option choisie était celle de Jordi Sánchez, deuxième dans la liste électorale de JxC, mais étant en prison, le Tribunal a réfusé qu’il puisse être présent dans la séance d’élection.
Finalement l’option choisie était celle de Jordi Turull, qui était en liberté sous caution. La séance d’élection s’est tenue vendredi dernier, mais la CUP n’a pas donné son appui (abstention), en disant, avec toute raison, que l’accord entre JxC et ERC no comprenait aucune mesure de construction et de défense de la République proclamé le 27 octobre 2017. Autant JxC et ERC pendant la campagne aux élections du 21 décembre avaient dit et affirmé que cela était une priorité pour eux.
Il reste deux mois pour élire un président et constituer le gouvernement, sinon on s’en va à nouveaux en élections.
Ce qui semble se dessiner c’est un pacte entre ERC, JxC et CSQP (Podemos), pour élire un président de consensus (1), afin de récupérer l’autonomie et laisser la question de l’indépendance en dehors du cadre gouvernemental et institutionnel catalan. Évidemment la CUP ne participera pas à ce pacte, en restant dans l’opposition.
Les défenseurs de cette option arguumentent qu’il faut récupérer l’autonomie catalane face à l’imposition de l’article 155, tout en travaillant pour la République, mais pour le moment en dehors du cadre institutionnel catalan (Parlement et Generalitat), pour ne pas se faire appliquer à nouveau le 155. De toute évidence cela est une trahison aux promesses faites pendant la campagne électorale du 21 décembre dernier…
On s’achemine, donc, vers une législature de 4 ans dans laquelle on cherchera à reprendre institutionnellement l’autonomie perdue, pendant qu’on cherche à élargir la base indépendantiste via les actions de la société civile, tout en dénonçant la répression espagnole et réclamant la liberté des prisonniers politiques.
4. République catalane à Bruxelles
Quelle sera le rôle de Puigdemont et son Conseil de la République à Bruxelles (s’ils ne sont pas extradés vers l’Espagne…) ?
D’un côté continuer à dénoncer la dérive autoritaire de l’État espagnol tel qu’il le fait présentement.
D’un autre côté rester comme le symbole de ce que les catalans ont voté le 1er octobre 2017 et qu’ils vont récupérer tôt ou tard.
5. Réflexion finale
J’imagine que certains doivent se demander comment c’est possible que l’État espagnol agisse de la sorte. La réponse est assez simple et claire.
Malgré la transition vers un système démocratique, les appareils de l’État sont remplis de fonctionnaires de mentalité franquiste et totalitaire. Cela est à cause du fait qu’en vertu de la loi d’amnistie de 1977 (une sorte de loi de point final), il a été impossible de poursuivre et punir les fonctionnaires franquistes responsables des morts, tortures et autres exactions. Ils sont restés impunis et dans certains cas même promus… Ils ont maintenu la culture franquiste et autoritaire au sein de l’État qui s’est transmise aux nouveaux fonctionnaires. La structure de l’État espagnol est encore pleinement franquiste, indépendamment de qui gouverne.
Par ailleurs le franquisme n’a jamais été condamné clairement par la droite espagnole du PP. Un exemple : pendant le gouvernement du PP, celui-ci a financé grassement avec plusieurs millions d’euros la Fondation Francisco Franco, voué à défendre la mémoire du dictateur…. Pouvons-nous imaginer un gouvernement allemand en train de financer une Fondation Adolf Hitler ou un gouvernement italien en train de financer une Fondation Benito Mussolini ?
Spain is different… comme disaient des panneaux de promotion touristique aux temps de Franco.
PS :
Pendant que j’étais en train de vous envoyer la chronique ci-dessus, la police allemande était en train de retenir et mettre en détention Carles Puigdemont
Carles Puigdemont s’était rendu en Finlande pour rencontrer universitaires et politiciens. Il devait retourner par avion ce dimanche en Belgique. Quand il a appris vendredi que l’euro-ordre de détention contre lui avait était réactivée, il est disparu de la place publique.
On pensait bien qu’il allait se rendre en Belgique (pays de sa résidence et peu enclin à répondre positivement à la demande espagnole), mais pas comment. Il a sauté au Danemark et en auto il est entré en Allemagne ou plus tard les policiers l’ont retenu et pris en détention.
Maintenant la procédure qu’il faut suivre face à la demande espagnole :
– Il devra comparaître face à un juge.
– Le procureur de la Couroune doit argumenter s’il faut ou pas répondre positivement à la demande espagnole.
– Pour considérer que oui, il faut qu’un des délits dont Puigdemont est accusé ait un équivalent dans le code criminel allemand.
– Il y en a un : celui de rébellion, mais seulement s’il est exercé de forme violente.
Si par malheur Puigdemont est livré à la police espagnole, la Catalogne risque de prendre feu : ce sera la goute qui renversera le verre trop plein d’humiliation et mépris et injustice.
À suivre.
(1) J’ose même prédire que le futur président de la Generalitat sera Quim Torra….
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