« L’école n’est pas un fourre-tout ! Bien sûr que, dans l’absolu, les enseignantes et enseignants souhaitent que leurs élèves adoptent de saines habitudes de vie, donc, par exemple, qu’ils se brossent les dents régulièrement afin d’éviter les caries. Les profs souhaitent aussi que leurs élèves aient une bonne vue pour lire, des os solides et des muscles en santé pour bien bouger, qu’ils mangent des repas équilibrés, qu’ils sachent réagir en cas d’urgence, etc. La question n’est pas là. La mission de l’école, et par ricochet des enseignantes et enseignants, est d’instruire, de socialiser et de qualifier. Est-ce l’utilisation la plus optimale et adéquate du temps et de l’expertise des enseignantes et enseignants, notamment en période de pénurie de personnel, que de leur demander de superviser le brossage de dents de leurs élèves ? Poser la question, c’est y répondre ! », déclare Mélanie Hubert, présidente de la FAE.
« Enseigner dans le système d’éducation actuel représente déjà une charge de travail colossale, qui se traduit souvent par une surcharge mentale, sans qu’on en rajoute une couche. Les ressources insuffisantes font déjà en sorte que les enseignantes et enseignants doivent régulièrement combler ce manque pour tenter d’assurer malgré tout le bon fonctionnement des classes et l’épanouissement des élèves. Les enseignantes et enseignants doivent parfois choisir quels élèves pourront être aidés tellement les services sont déficients et on leur demande à partir d’aujourd’hui d’ajouter le brossage de dents à leurs tâches ? Ce n’est pas étonnant de constater qu’il n’y avait aucun enseignante ou enseignant sur le comité de mise en œuvre de ce programme ! Celui-ci est complètement déconnecté de la réalité du terrain », ajoute-t-elle.
Plusieurs éléments dans le document le démontrent. Par exemple, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) suggère de jeter les brosses à dents qui ont été partagées, qui sont entrées en contact l’une avec l’autre ou qui sont tombées par terre. Ou encore, de prévoir deux minutes par brossage de dents par enfant, de distribuer le dentifrice individuellement sur des languettes prédécoupées ou encore de laver chaque semaine l’étui et le capuchon des brosses à dents. « Les personnes responsables de la supervision jetteront sûrement une grande partie des brosses à dents dès la première journée », ironise madame Hubert, « sans compter qu’il faudrait prévoir au moins de 30 à 45 minutes de plus par jour pour cette tâche… au détriment de quelle autre activité pédagogique ? » Par ailleurs, la FAE voit difficilement comment cette supervision de brossage de dents sera véritablement possible en raison des infrastructures sanitaires déficientes de certaines écoles.
L’école publique, celle des moins favorisés
De plus, la FAE constate que ce programme s’adresse aux enfants des services de garde éducatifs à l’enfance reconnus par le ministère de la Famille et aux élèves de niveau primaire des écoles publiques. Il est écrit noir sur blanc dans le document du MSSS que « les inégalités sociales en matière de santé buccodentaire sont réelles et bien documentées. En effet, la carie dentaire se rencontre plus fréquemment chez les groupes moins favorisés sur le plan socioéconomique. Par conséquent, des efforts devront être investis en vue de mettre en place, dans un premier temps, ce programme dans les milieux moins favorisés sur le plan socioéconomique ».
« Ce faisant, le gouvernement admet de façon très claire que les élèves issus de milieux défavorisés sont concentrés dans les écoles publiques, ce que l’on dénonce depuis des années. En excluant les écoles privées de ce programme, le gouvernement reconnaît l’existence d’une école à trois vitesses. Et plutôt que de s’attaquer aux inégalités sociales et à la pauvreté, il choisit encore une fois de mettre un pansement sur le bobo, plutôt que de s’attaquer aux causes réelles du problème. Et tout cela alors que se déroule la Semaine pour l’école publique. C’est désolant », conclut madame Hubert.
L’école québécoise est une des plus inégalitaires au Canada. Ceci est notamment causé par le nombre élevé d’élèves du secondaire fréquentant un établissement privé. L’école à trois vitesses existe au Québec, même l’ONU le reconnaît et s’en inquiète. En 2019-2020, 12 % des élèves québécois fréquentaient l’école privée, dont 20 % au secondaire, alors qu’en Ontario ce chiffre est de seulement 7 %. En plus, l’école privée québécoise, qui sélectionne ses élèves, est la plus financée au Canada. Pour chaque 3 $ que le Québec met dans ses écoles publiques, il met au bas mot plus de 2 $ d’argent public au privé. On sait que l’école privée sert surtout les familles favorisées : 72 % des élèves fréquentant ces établissements proviennent de ces milieux.
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