Édition du 17 décembre 2024

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Bell Canada placote pour sa cause – Analyse critique de l’initiative de Bell en santé mentale

Encore une fois cette année, la compagnie Bell Canada nous propose de mettre la santé mentale à l’avant-plan, en suggérant aux citoyenNEs d’envoyer des textos et d’interagir avec leurs outils promotionnels sur les réseaux sociaux, notamment avec le mot-clic #Bellcause. L’an dernier, MQRP a posé son regard critique sur le phénomène de la philanthropie en santé. Dans le cadre de cette journée, nous voulons décortiquer de nouveau le fonctionnement insidieux de cette réalité à travers l’exemple de cette campagne.

Le triomphalisme des entreprises privées

Tout d’abord, soulignons que l’action de donner ou de faire la promotion de la santé mentale n’est évidemment pas une mauvaise chose en soi. Il est important par contre de souligner l’hypocrisie d’un système qui permet au philanthrocapitalisme de se poser en vecteur essentiel au maintien des services à une population en situation de marginalité et de vulnérabilité.

Financement instable des institutions

En premier lieu, mentionnons que Bell Cause et son fonds communautaire ne sont pas des organismes de bienfaisance enregistrés. Ils ne sont donc pas tenus de partager publiquement leurs états financiers, ce qui rend difficile la reddition de compte pour cette campagne qui génère une quantité importante de publicité gratuite pour Bell Canada. Il est également impossible de savoir quel montant Bell Canada investit en publicité pour promouvoir cette campagne.

Plus important encore, le modèle de financement de la campagne, qui ne permet pas aux organismes communautaires bénéficiaires d’obtenir du financement plus d’une année consécutive, suscite des questionnements majeurs quant à la pérennité du soutien aux organismes. Les organismes communautaires, déjà vulnérables en raison du désinvestissement dans le secteur communautaire par les gouvernements successifs, ne bénéficient donc que d’un soutien ponctuel. Qui plus est, ce soutien vient avec certaines exigences, notamment publicitaires, comme en témoigne cet article :

« Organiser un 5 à 7 avec des membres des médias et de la communauté politique qui sera ensuite couvert sur internet et dans les médias traditionnels, émettre un reçu de charité, créer et diffuser gratuitement du matériel promotionnel, voilà une partie de la liste des « stépettes » qui sont demandées par Bell lorsque l’entreprise émet un chèque à un organisme. »

Avec les redditions de compte exigées en fin d’année, toutes ces activités représentent beaucoup de travail pour des organismes déjà débordés et aux moyens limités. Et il faut recommencer la recherche de financement au bout d’une année ! puisque Bell ne peut les soutenir à long terme… c’est la population qui dépend de ces services qui en souffrira le plus.

Dans notre rapport annuel de 2019, nous notions également que le philanthrocapitalisme joue un rôle dans l’effritement du pouvoir décisionnel démocratique au profit des plus puissants. Par l’entremise de crédits d’impôt, les philanthropes bénéficient du pouvoir de dépenser l’argent public comme bon leur semble, selon leurs intérêts personnels ou corporatifs, et surtout sans que les besoins populationnels orientent leurs actions. Lisez notre rapport complet sur le philanthrocapitalisme ici.

Vision individualiste

Ensuite, mentionnons que la vision des problèmes de santé mentale proposée par Bell Canada est une conception individualiste. La dépression est décrit ici comme étant principalement le problème d’un individu, et non un problème de société. Mais qu’est-ce qui cause les problèmes de santé mentale ? Les théories psychologiques les plus récentes favorisent une approche bio-psycho-sociale, qui prend en compte les différents facteurs sociaux qui influencent la santé mentale (par exemple le revenu, la santé physique, le niveau d’éducation, le travail, etc). Évidemment, il est difficile de tenir compte des facteurs sociaux influençant les problèmes de santé mentale quand la compagnie elle-même participe au système néolibéral existant, qui participe lui-même à un accroissement des inégalités sociales. Lisez-en plus dans cet article.

MQRP exprime aussi son malaise face au positionnement de Bell Canada comme un chef de file en santé mentale, alors que son capital financier s’accroît via la dépendance aux médias sociaux, dont les effets sur la santé mentale des individus sont de plus en plus décriés.

Capital de sympathie

Enfin, la compagnie Bell Canada s’attire un capital de sympathie important avec cette campagne publicitaire. En se positionnant comme un compagnie à l’écoute des problématiques de santé mentale, elle redore l’image de l’industrie. Il faut se rappeler qu’il ne s’agit que d’une image. Il est juste de se demander où était Bell Canada sur la scène publique lorsque les coupures en santé mentale ont été annoncées par le gouvernement libéral, et où était Bell Canada lorsque les organismes ont fait front commun pour dénoncer le manque de financement criant en santé mentale ? Les politiciens aussi peuvent détourner ce capital de sympathie à leur avantage : la photo de François Legault qui envoie un texto publiée aujourd’hui, ne redore-t-elle pas son image ? Concrètement, qu’est-ce que la CAQ a vraiment fait pour la santé mentale depuis son arrivée au pouvoir ? Quel est leur plan ? Il faut penser au delà de l’apparence. Lisez en plus dans cet article.

En conclusion…

Nous vous encourageons donc à ne pas seulement placoter de santé mentale avec Bell pour la cause aujourd’hui. Il faut non seulement parler de santé mentale mais exiger des services publics justes, accessibles et équitables en santé mentale. Il faut demander un réinvestissement public majeur en santé mentale, et prioriser une vision holistique et non individualiste des problèmes de santé mentale.

Lisez d’autres articles intéressants sur le sujet

Campagne « Bell cause pour la cause » : paroles, paroles, paroles, Julian Nguyen, 2 février 2019, La Presse.

http://mi.lapresse.ca/screens/c0d25574-b9c2-4add-8917-9eea04392518__7C___0.html

Quand la publicité prend soin de nous : c’est beau de cause, Raphaël Lapierre, 27 mars 2019, Impact Campus.

http://impactcampus.ca/societe/publicite-prend-soin-de-cest-beau-de-causer/

Quand Bell cause pour la cause, je décroche, Gilles Simard, 24 janvier 2017, L’Autjournal.

http://lautjournal.info/20170124/quand-bell-cause-pour-la-cause-je-decroche

Quand Bell cause pour « sa » cause, Léo-Paul Lauzon, 2 février 2017, Journal de Montréal. https://www.journaldemontreal.com/2017/02/02/quand-bell-cause-pour-sa-cause

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