Édition du 19 novembre 2024

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États-Unis

Deux and après une grève emblèmatique…

Aux Etats-Unis, la présidente du Syndicat des enseignants de Chicago se lance à l’assaut de la Mairie

La candidature probable à la mairie de Chicago de la présidente du syndicat des enseignants, qui a dirigé l’une des grèves les plus importantes de ces dernières années aux USA, contre le démocrate sortant Rahm Emanuel, ancien Secrétaire général de la Maison Blanche et champion de la privatisation du système scolaire, est un événement politique de tout premier plan.

Karen Lewis, la présidente du Syndicat des enseignants de Chicago (CTU), bien qu’elle n’ait pas déposé formellement sa candidature, s’est clairement mise en campagne contre le maire actuel de la ville, Rahm Emanuel. Ancien Secrétaire général de la Maison Blanche, nommé par Obama, celui-ci a gagné le titre de « Maire 1% » pour sa politique au service des grands groupes privés. En septembre 2012, Lewis a dirigé la grève des 30 000 membres du CTU contre les réformes éducatives d’Emanuel aux dépens des profs, des parents et des élèves. Cette grève d’un nouveau type, qui a su gagner la sympathie active de larges secteurs des populations laborieuses, a permis d’arracher une victoire partielle, même si elle n’a pas pu empêcher la fermeture d’un certain nombre d’écoles publiques.

Maintenant, Lewis s’apprête à défier une nouvelle fois Emanuel, cette fois-ci sur le plan politique. La candidature d’une dirigeante syndicale comme elle à la mairie d’une très grande ville est une nouveauté pour la politique contemporaine des USA. Va-t-elle le battre ? Et si oui, qu’est-ce que cela signifiera pour la gauche syndicale qu’elle anime et pour la classe travailleuse de Chicago ?

La campagne a commencé officieusement. L’assemblée des délégué-e-s du CTU, forte de plusieurs centaines de membres, lui apporte son soutien. Elle dispose d’un comité provisoire qui a trouvé des volontaires pour récolter les 12 500 signatures requises. Elle a personnellement avancé 40 000 dollars pour sa propre campagne. La Fédération américaine des enseignants a promis un million de dollar pour la soutenir si elle se lance. Elle a prévu une réunion avec des hommes d’affaire afro-américains et commencé une série de rencontres avec des enseignants, policiers, pompiers, et parents d’élèves.

Depuis 22 ans, Karen Lewis enseigne la chimie au niveau secondaire à l’école publique. Cette Afro-américaine, convertie au judaïsme, s’est dès le début opposée publiquement à la politique d’Emanuel. Elle l’a dénoncé pour avoir fermé des bibliothèques, des postes de police, des cliniques psychiatriques et des écoles. « Si on prive les quartiers déshérités de leurs institutions publiques, qu’est-ce qu’il leur reste ? Cela doit cesser, et ne s’arrêtera pas tant que nous aurons le même leadership autocratique qui n’écoute pas la population, explique Lewis. Nous sommes condamnés à un cercle vicieux mortifère si ces coupes se poursuivent ».

L’élection du maire est non partisane, si bien que Karen Lewis ne sera pas la candidate d’un parti. Elle va cependant s’efforcer de gagner les « libéraux des bords du lac Michigan » ou les « démocrates progressistes », un secteur des classes moyennes, largement organisé par les « Electeurs indépendants d’Illinois – Organisation indépendante de la circonscription (IVI-IPO) ». Elle va aussi tenter de gagner le soutien de l’élite économique afro-américaine de Chicago, historiquement la plus importante du pays. Bien que cette dernière ait connu un certain déclin, elle contrôle encore 50 000 entreprises de la ville. Mais tandis que les grandes sociétés ont accru leur emprise sur la politique US, les classes moyennes libérales et les entrepreneurs noirs ont vu leurs marges de manœuvre se restreindre. La présidente d’un syndicat d’enseignants et ses alliés du monde du travail peuvent-ils fournir une direction à de tels groupes – ou vont-ils perdre leur âme dans une telle coalition ?

A ce stade au moins, les chances de Lewis semblent bonnes. Le 14 août, un sondage de la Chicago Tribune (conservatrice) montrait que si l’élection avait lieu aujourd’hui, Lewis battrait Emanuel par 43% des voix contre 39%, avec 14% d’indécis. Ce dernier disposait alors de 59% de l’électorat blanc, contre seulement 44% actuellement, alors que 60% des électeurs noirs le désapprouvent. Comme Afro-américaine, Lewis peut s’attendre à bénéficier de ce mécontentement des électeurs-trices noirs. Elle sera une candidate noire, la candidate des femmes noires, un formidable potentiel d’organisation au sein des communautés afro-américaines. De nombreux électeurs-trices de toutes origines ethniques y verront l’occasion de rabattre son caquet à l’arrogant Emmanuel.

Quel rapport de forces ?

Tandis que la grève inventive du CTU a permis aux enseignants d’obtenir une victoire partielle et d’inspirer d’autres groupes de profs dans tout le pays, elle a aussi montré qu’aucun syndicat important n’était prêt à suivre cet exemple pour se dresser contre le pouvoir en place. Globalement, les syndicats de Chicago restent totalement liés au Parti démocrate, et il est improbable que nombre d’entre eux rompent les rangs pour soutenir Lewis. Pourtant, même si, comme c’est probable, les dirigeants syndicaux restent fidèles à Emanuel, quelques uns d’entre eux, et sans doute une grande partie de leur base, pourraient voter pour Lewis.

Les principales organisations afro-américaines et latinos de Chicago, bien que nominalement non partisanes et sans but lucratif, sont encore jusqu’ici les piliers de l’establishment démocrate. Il en va de même des organisations féminines et LGBT. Historiquement, tous ces groupes ont toujours craint que le fait de s’organiser ou voter contre le Parti démocrate ne suscite des représailles politiques et financières. Lewis et ses partisan-nes vont être au défi de trouver les méthodes et le programme capables de séparer ces groupes d’une telle machine. Il est certes improbable qu’ils puissent faire bouger les leaders, mais seront-ils en mesure de gagner la base de ces organisations ?

Et dans les quartiers ? Le CTU a créé une Organisation politique indépendante qui, par la suite, a formé une alliance avec nombre de groupes communautaires, créant Les familles travailleuses unies (UWF) comme organisation pour mener campagne sur les problèmes des cités. UWF a engagé une fonctionnaire démocrate, Kristen Crowell, qui avait mené des campagnes de vote dans le Wisconsin voisin. Celle-ci joue aujourd’hui un rôle central dans la mise en forme du message de Lewis. Sa campagne va-t-elle simplement devenir un enjeu pour les progressistes ou va-t-elle proposer un programme, une stratégie de lutte pour la classe travailleuse de Chicago autour de ses besoins d’éducation, de santé, de justice fiscale, de salaire minimum (à 15 dollars de l’heure), de plein emploi ? L’avenir nous le dira, mais il dépend aussi de notre capacité de mobilisation.

* Article à paraître en Suisse dans le prochain numéro de « solidaritéS » (http://www.solidarites.ch/j).

Dan La Botz

L’auteur est un professeur d’université américain et un militant de l’organisation socialiste Solidarity.

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