Édition du 17 décembre 2024

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Économie

Automobile : vers une nouvelle crise

La production d’automobiles dans le monde va baisser en 2019, cette baisse s’accentuant en 2020. Cela interrompt une hausse continue depuis la grande crise de 2008-2009. Pour les principaux constructeurs et équipementiers automobiles mondiaux, dix ans de profits restaurés puis en augmentation viennent de s’arrêter, alors que les dangers des émissions des motorisations essence et diesel sont de plus en plus dénoncés, entraînant la perspective possible d’une interdiction des moteurs thermiques d’ici à une génération.

8 octobre 2019 |tiré du site du NPA
https://npa2009.org/idees/economie/automobile-vers-une-nouvelle-crise
Photo : Usine de fabrication du Model S de Tesla, en Californie. © Steve Jurvetson / Wikimedia Commons.

Après la crise de 2008-2009, la production et les ventes d’automobiles ont rattrapé leurs niveaux d’avant crise en Amérique du Nord, au Japon et en Europe occidentale, pour ne plus augmenter ensuite. En France et en Italie, la chute de la production automobile s’est poursuivie au cours de la dernière décennie. La reprise de la croissance de la production d’automobiles dans le monde n’a donc été due qu’à la Chine. Sur les 24 millions de véhicules produits en plus dans le monde entre 2007 et 2017, 20 millions ont été produits en Chine où la production d’automobiles est passée en dix ans d’environ 9 millions de véhicules à 29 millions de véhicules. Cette production est principalement destinée à son marché intérieur.

La Chine, le « sauveur » de la production automobile mondiale en panne

Cependant, dès 2018, la production d’automobiles a baissé de 4 % et une baisse de 14 % est prévue pour le deuxième semestre de l’année 2019. Les ressorts de cette baisse sont à trouver en premier lieu dans la situation interne chinoise. Toutes les grandes firmes automobiles mondiales produisent et vendent en Chine au travers de sociétés dont le capital est partagé entre elles et des sociétés chinoises, le plus souvent à capitaux de l’État chinois. La Chine est devenue l’une des principales sources de profits pour les grands groupes automobiles mondialisés. Volkswagen est le premier groupe automobile sur le marché chinois et en 2018 : sur un résultat mondial net de 15,8 milliards d’euros, 4,6 milliards proviennent des coentreprises chinoises. General Motors a vendu en 2018 plus de voitures en Chine qu’aux États-Unis, 3 600 000 voitures contre 3 000 000. Cette baisse apparaît alors qu’une politique active au niveau de l’État chinois vise au regroupement et à la restructuration de l’appareil de production. Des surcapacités de production sont classiquement observées comme chaque fois que des investisseurs capitalistes se ruent sur les mêmes eldorados. Ainsi, PSA utilise seulement 26 % de ses capacités de production chinoises, contre 33 % pour Renault et 24 % pour Ford ! Avec comme conséquences des suppressions d’emplois pour les ouvriers chinois à l’exemple de PSA qui a annoncé en août 2019 la suppression en Chine de 4 000 emplois.

Des usines recommencent à fermer aux États Unis

Le changement de situation en Chine a donc des conséquences sur toute l’industrie automobile mondialisée et les signes d’une baisse mondiale de la production ne se limitent pas à Chine. Depuis déjà plusieurs mois, les États-Unis connaissent de nouvelles fermetures d’usines et suppressions d’emplois, et s’attendent en 2019 à une baisse des ventes. La concurrence entre firmes s’y aiguise. Elle est d’autant plus exacerbée que de nouveaux protagonistes – européen et japonais - construisent des usines dans les États du Sud, là où il n’y a pas de droit syndical. Tandis que de nouvelles firmes cherchent à pénétrer le secteur de la construction automobile : Google, Apple, Uber, tous rôdent autour de cette activité avec leurs investissements dans les domaines de la voiture électrique et autonome. Et il n’est pas sûr qu’ils se contentent du rôle de sous-traitants de luxe « high tech ».Les banques et fonds d’investissements en profitent pour mettre la pression sur les firmes automobiles classiques pour qu’elles innovent et « crachent » encore plus de profit. La PDG de General Motors a compris la leçon en annonçant en décembre 2018, la suppression de 15 % de ses effectifs salariés en Amérique du Nord, soit 14 000 postes de travail, dont 6 000 directement employés dans la production. Trois grandes usines de montage sont ainsi menacées de fermeture. Ces annonces de fermetures sont parmi les facteurs à l’origine de la grève, d’ores et déjà historique, qui a démarré chez General Motors le 15 septembre 20191. Lorsque les plans patronaux rencontrent une résistance, les rapports de force que l’on pouvait croire stabilisés en défaveur des ouvriers peuvent changer rapidement et offrir de nouvelles perspectives. C’est l’un des enjeux de cette grève qui devrait rencontrer le soutien du mouvement ouvrier dans le monde entier.

La crise arrive aussi en Europe

Dans cette situation où les firmes automobiles nord-américaines sont en difficultés sur leur territoire d’origine, Ford et GM se retirent de l’Europe. General Motors a vendu en 2017 sa filiale européenne Opel Vauxhall à PSA. Et Ford organise son repli. On sait comment Ford a renié ses engagements en empochant de multiples subventions avant de fermer l’usine de Blanquefort. Mais c’est en réalité à l’échelle de l’Europe qu’elle a mis en place un plan de restructuration avec, d’ici à fin 2020, la suppression de 12 000 emplois dont, en plus des 850 de Blanquefort, 5 400 en Allemagne et 1 700 au Royaume-Uni et la fermeture de six usines. En Europe, les ventes totales sont attendues en baisse de 1 % pour l’année 2019. Les baisses de production sont d’une autre ampleur. En Allemagne, la production était en août 2019 en recul de 11 % par rapport à l’année précédente, en conséquence d’une baisse de 14 % des exportations. En France, la baisse de la production attendue en 2020 est de 11 %, soit 200 000 voitures, en raison principalement de nouveaux transferts de la production des modèles les plus vendus de Renault et de PSA vers d’autres pays.

Le diesel en première ligne

L’une des particularités des restructurations en Europe est la crise qui frappe les motorisations diesel car c’est le continent où elles sont, et de loin, le plus diffusées. La nocivité des moteurs diesel était connue et documentée depuis longtemps. Mais c’est le scandale de la triche Volkswagen, révélé aux États-Unis en 2015, qui a déclenché le recul irréversible des ventes de moteurs diesel. Un scandale qui a coûté à Volkswagen un total de près de 30 milliards d’euros selon une évaluation de mai 2019 alors que d’autres indemnisations peuvent encore survenir. Depuis quatre ans, des firmes accompagnent la fin d’activité des usines spécialisées dans cette technique sans rien prévoir pour les travailleurs. C’est le cas de l’usine Bosch à Rodez, l’un des principaux équipementiers automobiles mondiaux qui investit pour de nouvelles techniques ailleurs en Europe, mais pas dans cette préfecture enclavée en Aveyron. Patronat et pouvoirs publics baladent les ouvriers depuis déjà plusieurs années sans aucune solution. Un exemple de l’incapacité du marché capitaliste et de l’impuissance des gouvernements à prévoir une quelconque transition « écologique ». Un mauvais exemple à retenir ! Ce qui se passe pour le diesel va encore s’amplifier avec les changements qui s’annoncent pour toutes les motorisations thermiques – essence et diesel.

Vers la fin des moteurs thermiques ?

La fin des moteurs thermiques est annoncée en Europe pour une génération, d’ici à 20 ou 30 ans. On peut mettre en doute les affirmations à un horizon aussi éloigné. Mais la conception, qui prend environ cinq ans, et la durée pendant laquelle un même moteur est fabriqué, une dizaine d’années, relèvent du temps long. Déjà Daimler – le groupe qui fabrique les voitures de luxe Mercedes – annonce qu’il cesse tout travail de recherche et développement concernant de nouveaux moteurs thermiques. Du point de vue de la transition écologique, ce passage à la voiture électrique est une forme de « green washing ». Si on prend en compte tout le cycle de fabrication puis de vie d’un véhicule, de l’extraction des matériaux nécessaires aux batteries à la fabrication puis à l’usage des voitures en circulation et enfin au traitement des déchets, voitures thermiques et électriques se valent en termes d’émissions de CO2 – un peu plus, un peu moins. Incontestablement, plus pour les voitures électriques lorsque l’énergie est fournie par des centrales au pétrole ou au charbon. Une partie de la production des émissions polluantes est seulement déplacée hors des grands lieux de circulation automobile. Cela n’a aucun impact pour le climat ! En revanche les changements sont bien concrets pour l’appareil de production et la force de travail. La voiture électrique est moins compliquée à fabriquer, il y a moins de pièces mécaniques mobiles, ni boite de vitesse, ni embrayage. Dans une chaîne de valeur transformée, outre les fabricants de batterie, les équipementiers et fournisseurs joueront un rôle encore accru. Par exemple, le centre de recherches de Renault à Lardy dans l’Essonne est ainsi privé d’investissements alors qu’il devrait être au premier chef impliqué dans ces nouvelles techniques. Alors que des gains de productivité sont de plus en plus difficiles à obtenir – même avec une exploitation accrue des salariés, un passage au véhicule électrique peut être un moyen de les trouver. Mais cela n’interviendrait que plus tard car les ventes sont encore très restreintes, et les investissements nécessaires très importants.Aujourd’hui il n’est pas certain que ces plans puissent complètement s’appliquer. Les « maîtres du monde » et les rois du marketing ne sont pas sûrs de trouver des clients prêts, même avec les primes gouvernementales incluses, à acheter une voiture plus chère et à l’autonomie limitée en grandeur réelle à moins de 300 km. Et, au moment où des lignes de chemins de fer ferment, le versement des primes de plusieurs milliers d’euros à quelques privilégiés acheteurs de véhicules électriques sera de moins en moins acceptée. Aujourd’hui, en France les transports sont responsables de 29 % des émissions de gaz à effet de serre. C’est, de loin le secteur le plus polluant, devant l’agriculture (17 %) et l’industrie manufacturière (11 %). À l’intérieur du secteur, les voitures particulières (54 %) et les poids lourds (21 %) émettent la grande majorité du CO2. Pire les émissions de CO2 des voitures individuelles ne baissent pas car le nombre des voitures en circulation augmente malgré la stabilisation du nombre de voitures neuves vendues.

Faire converger les nouvelles lignes de résistance

La baisse de la production mondiale qui s’annonce, combinée avec les nouveaux investissements requis pour les nouveaux produits automobiles, va intensifier les processus de restructuration. Ceux-ci s’accompagnent toujours de suppressions d’emplois. Le rachat des filiales européennes de General Motors par PSA a entraîné la suppression de 8 000 emplois, le quart des effectifs chez Opel. Les grandes manœuvres autour de Renault, Nissan et Fiat vont connaître de nouveaux rebondissements. Pour préparer ces affrontements le patronat intensifie dès maintenant la chasse aux militants combatifs et la répression syndicale. L’essor du mouvement pour le climat met directement en cause l’industrie automobile, c’est à dire l’un des secteurs les plus puissants et des plus destructeurs de l’économie capitaliste. Au travers des mutations en cours, l’objectif principal de l’industrie capitaliste de l’automobile est de préserver la voiture individuelle aux conditions de production les plus profitables. Dans de nombreux pays du monde, la mise en cause de l’industrie automobile, fauteur de dégâts pour la planète, se renforce, et posera nécessairement la question de l’expropriation des actuels propriétaires actionnaires. De nouvelles lignes de résistance surgissent. L’heure est à des convergences à inventer entre travailleurs/ses de l’automobile et le mouvement social pour le climat.

Jean-Claude Vessilier

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