Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Au-delà du combat entre « racistes » et « islamo-gauchistes

Depuis la rupture entre Québec Solidaire et le Parti Québécois, il s’étale un vent toxique qui encrasse les bronches de tous ceux et celles qui rêvent de respirer l’air d’un Québec plus juste et indépendant. Les coups de semonce tirés d’une part et d’autre empêchent, pour l’instant, d’y voir clair et d’en tirer les conclusions pragmatiques qu’une situation politique critique impose.

Deux armées rangées

Les congressistes de QS ne se sont pas contenté-e-s, comme nous le savons, du refus d’une alliance électorale avec le PQ. Véritable crachat au visage du vieux parti, l’étiquette du racisme et du néolibéralisme- les « deux bêtes du PQ » pour la congressiste Dalila Awada1- est désormais, pour maints solidaires, inséparables de l’équipe de Jean-François Lisée. Cette tentative de déclassement politique du vieil appareil péquiste n’est pas sans conséquences, et constitue une véritable « gifle à effet boomerang », pour reprendre l’expression de Radio-Canada2. Plusieurs électeurs et électrices ne digèrent pas le refus d’une telle alliance pragmatique et ne pardonne pas à QS de prendre le risque d’un retour au pouvoir des libéraux.
Autre élément crucial, contrairement à l’exécutif solidaire qui préconise une attitude de « refroidissement » des tensions entre forces indépendantistes et qui, de ce fait, tente de relayer le moins possible les attaques dithyrambiques de la part de certains de ses militants, Lisée, lui, fonce, couteau entre les dents, vers la bête rouge : QS constituerait, selon ses dires, un appareil politique sectaire dirigé dans l’ombre par un « politburo » autoritaire de type soviétique3. Cette propagande anti-communiste digne d’une autre époque fait un bout de chemin à travers les médias officiels4. À ce discours s’ajoute toute la cohérence du délire conservateur du moment, selon lequel une extrême gauche antinationale, par la destruction de nos institutions et de notre culture, contribuerait à l’islamisation de l’occident, véritable complot « islamo-gauchiste ». Ainsi, QS serait l’« allié de l’islamisme »5, les propos d’Awada dignes, comme l’affirme Jacques Lanctôt, de l’ordonnance d’un tribunal islamique, une véritable « fatwa ».6

Cette croisade réciproque rend impossible tout jugement raisonnable sur les avantages et inconvénients de la décision politique prise par Québec Solidaire, ni non plus sur ses raisons. En se contentant de voir la situation qu’exclusivement selon le prisme des idéologies en lutte, nous nous écartons de la nature initiale de ce que Québec Solidaire a rompu. L’alliance électorale entre les deux partis était avant tout une collaboration stratégique entre deux partis aux principes divergents. C’est ainsi que la question doit être traitée, et selon cet angle que l’on doit juger de la qualité des deux avenues qui se présentaient à QS. Sans cela, l’hystérie partisane laisse place à une hystérie collective dans laquelle, d’un côté, l’on fait la chasse aux « racistes », et de l’autre, où l’on cible les « communistes » d’un supposé politburo secret et les « islamistes ».

Le refus de la grande alliance nationale

Si l’alliance avortée était strictement stratégique, c’est que l’application de ce procédé contrevient potentiellement à certains principes qui animent le parti. C’est en mettant en relation les bienfaits d’une telle collaboration avec ce qu’il pourrait en coûter sur le plan des principes que l’on peut juger de la véritable valeur de la voie empruntée par QS. À cet égard, les bienfaits d’un tel rapprochement sont indéniables. Le fait que le PQ et QS ne s’affrontent pas au sein de certaines circonscriptions clés aurait bien sûr permis de contourner les effets pervers, sur le plan démocratique, d’un mode électoral uninominal à un tour. À ce titre, une telle alliance aurait fort probablement favorisé l’élection du PQ et permis à QS de gonfler ses rangs. Une fois au pouvoir, un gouvernement péquiste serait redevable à QS. Les solidaires auraient alors eu le rapport de force nécessaire pour s’assurer que le PQ applique les politiques publiques de gauche présentes dans son programme, comme le réinvestissement dans les services publics et le salaire minimum à 15$, et qu’il s’engage à réformer le mode de scrutin, de façon à ce qu’il se rapproche d’un mode proportionnel.

Il s’agit là de suppositions, mais qu’est-ce que la joute politique officielle si ce n’est que s’attacher à des paris plausibles ? Bien sûr, ce scénario repose sur un certain alignement de l’électorat. Il suppose également que le PQ collaborerait sérieusement. À cet effet, il est raisonnable d’en douter. En ce qui concerne l’application d’un agenda politique à gauche, le PQ a maintes fois prouvé qu’il prenait, ces dernières années, un virage contraire, indépendamment de ce qu’il exprime en campagne. Le scrutin proportionnel, lui, fut présent dans le programme du PQ durant plusieurs années, mais les pressions du système bipartisan auront eu raison de son rejet, bien qu’il soit présentement réactualisé par Lisée.7 Ce pari se fonde donc sur beaucoup de « si », mais mieux vaut des « si », réalistes, que rien du tout. Et quand bien même le PQ aurait trahi ses engagements, QS aurait eu le beau jeu. Il aurait pu s’inscrire comme l’acteur politique incontournable qui a agi du mieux qu’il pouvait et qui, désormais, constitue la seule véritable alternative à l’idéologie néolibérale.
Le refus de l’alliance électorale freine également le déploiement d’un agenda plus global. Sans alliance avec le PQ, difficile d’imaginer l’élaboration d’une feuille de route commune pour tous les indépendantistes, telle que préconisée par OUI-Québec, qui regroupe le PQ, QS, Option nationale et le Bloc québécois. Bien que les deux enjeux soient en partie conjoints, les militant-e-s de QS les traitent distinctement, de façon à ne pas rentrer dans la gorge des membres du parti l’une ou l’autre des deux avenues. Par soucis de transparence, le Comité de coordination nationale (CCN) du parti a pris la décision contradictoire, par sa non-transparence, de ne pas faire mention, durant le Congrès, de cette entente. Comme nous le savons, ce choix s’est retourné contre QS.8 Quant à la validité d’une telle feuille de route, il est très bien possible d’argumenter que, selon le contexte politique, le PQ- parti qui, depuis un moment, passe son temps à attendre les « conditions favorables » pour un référendum- s’en dissocierait ou en changerait la nature. À cette objection, l’on peut répondre la même chose qu’aux critiques contre l’alliance électorale.

Le pari du mouvement citoyen

La décision prise par QS relève plutôt de la haute considération des principes qui animent le parti. Les avantages de l’alliance ne valent pas, pour les solidaires, ce qu’il leur en coûterait au plan des valeurs politiques. Sans correspondre à la caricature d’un communautarisme sectaire que l’on attribue souvent à QS, ce parti de gauche est fondamentalement humaniste, ce qui le rend hostile à toute entreprise politique qui viserait la stigmatisation d’une minorité sociologique. Or, contrairement à ce qui le définissait jusqu’à maintenant, le PQ a récemment pris la voie d’une xénophobie épisodique à l’égard des musulmans, avec l’épisode de la Charte des valeurs québécoises, véritable wedge politic qui visait, comme stratégie électorale, à diviser la population contre une minorité religieuse qui n’a absolument rien à voir avec l’échec du projet indépendantiste. Avec la course à la chefferie pour succéder à Pierre-Karl Péladeau, le PQ avait l’occasion de tourner la page. Les membres du parti ont plutôt choisi d’élire Lisée, candidat qui a structuré une bonne partie de sa campagne en enchaînant les propos islamophobes, de la suggestion qu’une femme voilée d’une burqa pouvait potentiellement y cacher un ak-479 à l’amalgame entre son rival péquiste Alexandre Cloutier et l’intégriste Adil Charkaoui.10

En toute cohérence avec la gauche qu’il incarne, QS s’oppose au libéralisme économique qui broie les peuples. C’est également en phase avec ce principe que les congressistes ont rejeté le rapprochement avec le PQ. Personne ici n’affirme que le parti de René Lévesque soit historiquement « néolibéral ». Toutefois, à titre de formation politique aux tendances contradictoires, le PQ, depuis la fin des années 1990, a intégré l’idéologie néolibérale dominante, et tend, malgré certaines résistances de son aile gauche (pensons à la mise en place des CPE) à s’orienter vers la droite économique (et identitaire depuis Marois).

La rupture avec le PQ n’est toutefois pas qu’une question d’intégrité morale. Les solidaires optent pour le pari d’un mouvement citoyen d’envergure qui déstabilise les appareils sclérosés de la politique traditionnelle. Un mouvement d’adhésion à un projet politique commun. Cette tentative de révolution politique serait difficile à concevoir si elle prend pied grâce à l’un des trois grands partis de l’establishment politique québécois. À l’ère de l’irruption populiste issue de la dernière crise économique11, les projets politiques qui s’ancrent au sein de grands mouvements populaires constituent une formule qui fonctionne de plus en plus. Dans le contexte québécois, l’impératif de défense des minorités, dont QS se fait le garant, pourrait, en plus, mener à une situation historique où un parti indépendantiste de gauche grugerait le vote anglophone et allophone normalement associé à la grande famille libérale, autre pari de QS.12 Pour ceux qui voient en ce coup de dés avec l’histoire une entreprise loufoque, il importe de rappeler que le présent circonscrit n’est jamais tout à fait garant du futur, surtout pas dans une période trouble comme celle que nous vivons. Québec Solidaire ouvre les voies du possible.

Par Léandre St-Laurent

1.- Marco Bélair-Cirino. 20 mai 2017. « Les délégués de Québec solidaire refusent de s’allier aux péquistes ». Le Devoir.
2.Hugo Lavallé. 27 mai 2017. « Québec solidaire : une gifle à effet boomerang ». ICI Radio-Canada.
3.Tommy Chouinard. 26 mai 2017. « QS dirigé par un politburo, accuse Lisée ». La Presse.
4.Pensons notamment à la chronique de Michel David : Michel David. 27 mai 2017. « Le politburo ». Le Devoir.
5.André Lamoureux. 29 mai 2017. « Québec solidaire, enclave du gauchisme et allié de l’islamisme ». Le Devoir
6.Jacques Lanctôt. 26 mai 2017. « La diffamation ». Canoë. Vu sur http://fr.canoe.ca/infos/chroniques/jacqueslanctot/archives/2017/05/20170526-131551.html
7. Pour le rapport du PQ à la proportionnelle, voir ce récent rafraichissement : Paul Cliche. 2 mars 2017. « Le scrutin proportionnel et le Parti Québécois ». L’aut’Journal.
8.Radio-Canada. 26 mai 2017. « Le PQ demande à QS de dire la vérité sur l’entente entre les partis souverainistes ». Radio-Canada.
9.Robert Dutrisac. 17 septembre 2016. « Lisée propose une discussion sur l’interdiction de la burqa ». Le Devoir.
10.Louis-Samuel Perron. 16 septembre 2016. « Course à la direction du PQ : Adil Charkaoui appuie Cloutier, affirme Lisée ». La Presse.
11. Afin de saisir le développement de ce phénomène, voir John B. JUDIS, The Populist Explosion : How the Great Recession Transformed American and European Politics, États-Unis, Columbia Global Reports, 2016.
12.Stéphanie Bérubé. 22 mai 2017. « Québec solidaire à la conquête des régions… et des libéraux ». La Presse.

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