Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Après les élections législatives du 23 mars dernier, où en sont les gauches israéliennes ?

Entretien avec Thomas Vescovi, auteur de L’échec d’une utopie, une histoire des gauches en Israël aux éditions La Découverte, et membre de l’AFPS, invité de #LaMidinale.

Tiré de Association France Palestine Solidarité.

Sur les élections législatives du 23 mars 2021

« Benjamin Netanyahou a certes un record de longévité à la tête d’Israël mais il fait face à 3 éléments qui pourraient l’empêcher de revenir au gouvernement avec autant d’hégémonie qu’auparavant :

 Il fait face à une triple inculpation : abus de confiance, malversation et corruption ;

 Il fait face à une contestation politique inédite par son ampleur et sa durée dans l’histoire d’Israël ;

 Il est contesté au sein même de son parti au point que certains de ses anciens ministres ont voulu créer une autre formation pour le concurrencer. »

« Les anti-Netanyahou sont majoritaires aujourd’hui mais ils n’arrivent pas à s’entendre entre eux pour faire une coalition pour diriger Israël parce que cette coalition est trop hétéroclite. De nouveau, Benjamin Netanyahou a réussi à polariser la campagne sur sa personne : chaque meeting ou débat de l’opposition tournaient autour de lui.

Je ne suis pas médecin mais ce que je lis dans les médias, c’est que la vaccination est considérée comme un point positif pour Benjamin Netanyahou.

Il y a une limite [au succès de la vaccination en Israël] : les Palestiniens sont complètement oubliés - sauf les travailleurs palestiniens qui vont travailler en Israël qui, eux, ont eu accès au vaccin. »

Sur la gauche israélienne

« La gauche israélienne a obtenu 13 députés si on cumule les deux partis de gauche sioniste. 13 députés et ça a été la fête chez les travaillistes parce qu’en décembre dernier, ils étaient annoncés comme ne pouvant même pas dépasser le seuil électoral pour entrer à la Knesset. Il y a eu une nouvelle dynamique autour de la nouvelle dirigeante du camp travailliste, Merav Michaeli, élue en janvier à la tête du parti. C’est une figure des mouvements féministes israéliens qui a, à son actif, le fait d’avoir toujours tenu la ligne de ne pas siéger avec Benjamin Netanyahou : il y a un an, le camp travailliste avait choisi de siéger avec le gouvernement Netanyahou dans un gouvernement d’union nationale et elle avait refusé. »

« Le score de mars 2021 reste un des scores les plus faibles de la gauche sioniste en Israël. C’est la quatrième élection en 2 ans mais ces résultats restent très en-deçà des enjeux politiques du moment. Personne ne prétend qu’un candidat du Parti travailliste ou du Meretz, la gauche radicale sioniste israélienne, peut prétendre être Premier ministre : ils peuvent juste être des alliés… guère plus à ce stade. »

Sur le Parti travailliste

« Évidemment que quelqu’un comme Yitzhak Rabin, Ehoud Barak ou d’autres dirigeants de la gauche travailliste en Israël sont difficilement associables aux valeurs de la gauche socialiste, notamment la justice sociale. Sauf que, dans le même temps, dans le Parti travailliste, il y a des militants qui, dans leur quartier ou leur ville, considèrent que leur parti est ancré à gauche.

Dans le camp très hétéroclite de la gauche israélienne, il y a des alliances naturelles : pour la paix ou pour dénoncer la droite. »

Peut-on être de gauche et sioniste ?

« Plusieurs questions peuvent diviser le champ politique israélien : sur la question économique et sociale, si un candidat promet de rallonger le congé parental, de revaloriser les pensions, de donner de nouveaux droits aux salariés, je ne pense pas que l’on pourra dire qu’il est de droite (…). Or c’était en partie le programme du Parti travailliste aux dernières élections. »

« Là où il y a un autre débat, c’est que la deuxième problématique qui tranche le débat politique israélien, c’est la question palestinienne. Il est de bon ton de dire qu’aujourd’hui, ça n’intéresse plus personne et qu’on n’en parle plus… En vérité, ce n’est pas le cas mais il y a un tel consensus sur cette question que ça ne sert à rien d’en parler.

Les travaillistes par exemple ne s’opposent plus frontalement à la colonisation. Même l’idéal d’un Etat palestinien, ils en parlent parce qu’il faut en parler mais ils ne font rien pour. Il n’y a aucune volonté non plus de créer une société mixte avec des droits égaux. »

« Je ne crois pas que Ben Gourion voulait créer un Etat socialiste mais il y a dans ce sionisme de gauche l’idée de récupérer, dans le marxisme et le socialiste, des valeurs d’unité du peuple, et d’opposer, non pas prolétaires à bourgeois ou patrons, mais travailleurs qui vont construire l’Etat aux parasites et aux profiteurs.

Au sein du sionisme de gauche, on veut créer un Etat pour les Juifs sur des bases de justice sociale entre les Juifs. A partir de là, la question religieuse va être marginalisée mais utilisée par Ben Gourion, uniquement pour unir le peuple. »

« Israël est un Etat qui se fonde sans réelle unité entre les gens. »

« Le vocabulaire socialiste va jouer un rôle : le drapeau, les chants, l’Internationale, le 1er mai… Mais c’est avant tout un folklore. »

« La création d’Israël a été soutenue par l’URSS mais, dès 1948, Ben Gourion saura que son allié sincère et fidèle, ça doit être les États-Unis. »« Il y a une instrumentalisation du vocabulaire de gauche mais l’objectif central, c’est de s’ancrer dans le camp occidental, démocrate et américain. »

« Il y a débat sur “peut-on être sioniste et de gauche ?”. Je ne tranche volontairement pas la question dans le livre parce qu’il y a eu des milliers de personnes qui y ont cru et qui, peut-être encore aujourd’hui, continuent à y croire. »

« Vouloir articuler le sionisme, qui est une démarche nationaliste avant tout, qui défend en priorité une population par rapport aux autres, et en même temps se dire de gauche, vous amène forcément à un dilemme. Dès les années 1920-30, avant même la création d’Israël, il y a des débats entre militants, dans les syndicats, dans les comités politiques : est-ce que l’on est plutôt de gauche et l’on crée de l’organisation sur des bases sociales, de classes, en dépassant les particularismes ou est-ce que l’on est plutôt sioniste et la priorité, c’est de construire l’Etat ? La majorité va plutôt suivre le camp qui va devenir le Parti travailliste : la priorité, c’est de défendre l’Etat pour les Juifs avant tout au détriment des valeurs de gauche. A partir de là, des alliances ont été tissées entre les Travaillistes et des partis plus au centre. La seule variable prise en compte a donc été l’identité juive. »

Sur les identités en Israël

« En Israël, le vote se fait beaucoup sur des identités personnelles que sur un vrai programme et des valeurs. Lorsque l’on est un juif russophone, on va avoir tendance à voter pour des partis russophones.

Le Parti travailliste, de la Gauche unie ou du Meretz ont davantage de soutiens au sein des populations juifs ashkénazes autour de Tel-Aviv quand des Juifs orientaux vont plutôt voter pour des partis religieux. »

Sur la gauche anti-sioniste

« Oui, la gauche anti-sioniste existe. En 1967, quand Israël conquiert les 22% restant de la Palestine historique (Gaza et Cis-Jordanie), on a les premiers appels des retraits des territoires occupés de l’armée israélienne : c’est le camp non- ou anti-sioniste israélien qui considère que l’alliance ne doit pas se faire sur une base communautaire et de particularismes mais sur une base sociale, de classes et avec les opprimés - c’est-à-dire avec les Palestiniens. »

« Progressivement, il va se développer un militantisme qui va s’activer autour d’événements, qui va contraindre la gauche sioniste à écouter ces positions et à essayer de les comprendre (…). C’est cela qui va mener à la naissance du camp de la paix et tout le processus d’Oslo.

Aujourd’hui, en Israël, une avant-garde non-sioniste existe peut-être mais elle est beaucoup moins audible, soutenue par le camp travailliste et très malmenée : Benjamin Netanyahou a fait passer toute une série de lois afin de les criminaliser, et de les pointer du doigt comme traitres à la patrie. »

Sur la diaspora juive

« Il y a des débats passionnants au sein de la jeunesse juive américaine sur l’orientation de l’Etat israélien. Beaucoup d’entre eux ne se reconnaissent pas dans l’état promu par Benjamin Netanyahou. »

« Aujourd’hui, tout le monde se rend compte que les bases socialistes de l’Etat israélien sont oubliées et qu’on se dirige vers un Etat illégal.

On peut parler de fascisation d’Israël dès lors qu’on a une restriction des libertés pour certaines ONG, dès lors qu’en 2018, une loi d’Etat-nation est votée dont l’article 1 dit qu’en Israël, seuls les Juifs ont le droit à l’autodétermination, c’est au moins de l’apartheid.

Le fameux Etat démocratique juif, les Palestiniens des Territoires occupés comme ceux d’Israël ne l’ont quasiment jamais connu : en quoi un Palestinien de Naplouse ou de Gaza sait ce que c’est que l’Etat juif démocratique et libéral ? Pour lui, c’est de la foutaise car il n’a vu que des soldats qui ont opprimé sa famille. »

« Il y a en Israël, une réorientation de la répression : pendant des décennies, étaient réprimés les militants de gauche anti-sioniste parce qu’ils étaient radicaux et aux côtés des Palestiniens, réprimés eux-aussi. Mais aujourd’hui, Israël va encore plus loin : Israël essaie de limiter les libertés y compris de militants qui sont sionistes mais qui disent qu’il y a un vrai problème avec le traitement des Palestiniens dans la mesure où leur armée continue d’oppresser un peuple. »

Sur l’avenir de la gauche israélienne

« Mon constat est le suivant : vu la situation de la gauche sioniste en Israël, il y a l’échec de la croyance que l’on pouvait faire un Etat que pour les Juifs sur des bases sociales et de gauche.
Il a fallu choisir : soit tu es de gauche et tu dépasses le clivage communautaire, soit tu es sioniste et tu défends un Etat pour les Juifs et, dans ces cas-là, c’est au détriment des idées de gauche.

Depuis environ deux ans, des perspectives sont en train de se recréer : il s’agit de considérer qu’au sein du camp palestinien d’Israël - c’est-à-dire 20% de la population -, il y a une vraie dynamique de vouloir rentrer dans le jeu politique.

80% des Palestiniens d’Israël souhaiteraient voir des ministres de leur communauté entrer au gouvernement en Israël.

Si la gauche sioniste souhaite voir un jour arriver au gouvernement des progressistes ou des laïcs, le seul moyen d’y parvenir, c’est non pas de se tourner vers le centre ou la droite parce qu’ils vont s’y perdre mais regarder du côté de ce qu’il se passe du côté des Palestiniens et des non-sionistes. »>>

Voir la vidéo de l’interview sur Youtube.

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