Comme c’est souvent le cas au Pakistan, ces militants progressistes ont été jugés par une cour antiterroriste, alors qu’ils n’ont jamais promu d’activités terroristes. Cette très lourde condamnation a soulevé de nombreuses protestations au Pakistan et la Cour d’appel (Appellate Court, une Cour suprême) du Gilgit-Balstestan les a finalement déclaré non coupables pour une accusation qui leur avait valu la perpétuité. En conséquence, six d’entre eux ont été libérés : Alleem Ullah, Irfan Ali, Rashid Minhas, Musa Baig, Sher Khan et Sher Ali.
Ce n’est pas la seule victoire démocratique emportée récemment au Pakistan sur le terrain juridique. Treize syndicalistes du Labour Qaumi Movement (LQM), dans le centre industriel textile de Faisalabad, avaient eux aussi été accusés de « terrorisme » et condamnés à des décennies d’emprisonnement [2]. En avril dernier, la Haute Cour de Lahore a décidé de leur libération. Six d’entre eux ont effectivement été libérés et ont été chaleureusement accueillis par les travailleurs de la ville. Sept sont encore détenus, car la cour n’a pas annulé certaines amendes qu’ils doivent d’abord payer (ce qu’ont pu faire ceux qui ont été libérés).
Au Gilgit-Baltestan, ils sont de même six à avoir été libérés. Mais Baba Jan, Shakrullah Baig, Iftikhar Hussain et Mahar Ali avaient subi une seconde condamnation à perpétuité sur laquelle la Cour d’appel de Gilgit n’a pas encore agi. Ils restent en conséquence détenus.
Bref historique
Baba Jan et ses camarades ont été appelés des détenus du « changement climatique » parce qu’ils ont fait campagne pour les victimes d’un énorme glissement de terrain qui a provoqué la mort de 19 personnes en janvier 2010 et qui a bloqué le cours de la rivière Hunza : un lac artificiel de 23 km2 a été formé, submergeant trois villages. Après de massives mobilisations populaires, le gouvernement a accepté de payer des compensations. Cependant, tout le monde n’a pas bénéficié de ces compensations à hauteur des engagements gouvernementaux, de ce fait des manifestations se sont déroulées lors d’une visite du « chief minister » (Premier ministre de la province). La police a ouvert le feu, tuant un père et son fils, soulevant la colère de la population. Quatre jours durant la ville d’Ali Abad a été occupée, les gens demandant que les officiers de police responsable des faits soient mis en examen. Un immeuble administratif a été incendié.
Baba Jan a été arrêté avec une centaine de personnes. Il a été accusé de sédition et soumis durant trois jours à de sévères tortures. Emprisonné en 2011, il est resté presque deux ans en détention, avant d’être libéré sous caution le 27 juin 2013 après une campagne nationale (et internationale) de soutien massive. Cependant, il a été à nouveau arrêté après que le tribunal antiterroriste l’ait condamné à la perpétuité.
Baba Jan est président du Front progressiste de la Jeunesse au Gilgit-Baltista ; il est membre du comité fédéral du Awami Workers Party, formé en 2012 après la fusion de trois partis de gauche. C’est un militant engagé dans le mouvement social. En détention, il a notamment aidé à réunir les prisonniers chiites et sunnites dans une lutte commune pour exiger le respect du manuel officiel de la prison. Les autorités carcérales ont été forcées de donner du lait frais, de pain et de la viande à tous les prisonniers. Des docteurs ont commencé à venir dans l’hôpital de la prison. Cependant, Baba Jan a payé au prix fort le rôle qu’il a joué en réunissant dans cette lutte deux groupes religieux opposés. Il a été mis en accusation pour incitation à la révolte, y compris au nom de clauses antiterroristes. Cela lui a valu une deuxième condamnation à la perpétuité.
Dans l’arène électorale
Afin d’élargir la campagne de défense, le Comité pour la libération des prisonniers politiques a décidé de présenter Baba Jan comme candidat aux élections générales prévues le 8 juin prochain et d’organiser un rallie massif de Hunza à la prison de Gilgit, le 1er juin. A la surprise du Comité, sa candidature a été officiellement acceptée (dans la circonscription 6 Hunza de l’Assemblée de Gilgit Baltestan). Il sera la première personne dans l’histoire de Gilgit à se présenter aux élections de prison ! L’annonce de cette candidature à soulevé beaucoup d’enthousiasme, en particulier dans la jeunesse. Première conséquence positive : le comportement des autorités carcérales à son égard a pour l’heure changé ; il est traité comme une personnalité importante.
Vingt candidats se présentent dans la même circonscription que Baba Jan, dont ceux de la Ligue musulmane « Nawaz » (au gouvernement), du Parti du Peuple du Pakistan (les Bhutto), le Pakistan Tehreek Insaaf de l’ancien champion de cricket Imran Khan et le Majlis Wahdat Ul Muslimeen, le principal parti politique chiite. Selon des informations reçues du Gilgit-Balistan, Baba Jan est aujourd’hui l’un des favoris dans la jeunesse de sa circonscription.
En acceptant la demande de candidature présentée par Baba Jan, l’Etat a de fait réfuté l’accusation de terrorisme portée contre lui. S’il emportait ce siège, la pression populaire serait forte pour sa libération et celle de ses camarades.
L’urgence du soutien financier
1. Baba Jan et ses quatre camarades sont toujours sous le coup d’une condamnation à la perpétuité. Il est particulièrement important d’aider à la poursuite de la campagne pour la libération de ces « détenus du changement climatique ». La visibilité de leur cas doit être maintenue, ce qui n’est pas si simple, car le Gilgit-Baltistan est une région marginalisée. Le Pakistan fait actuellement face à de nombreux problèmes. Sans une campagne efficace, il est à craindre que d’autres questions prennent toujours le pas dans les médias sur l’injustice dont sont victimes Baba Jan et ses camarades ; et que leur cas disparaisse dans l’arrière-plan.
2. En ce qui concerne la défense légale, certains des meilleurs avocats du Pakistan sont prêts à intégrer l’équipe juridique déjà active sur place. Ils sont d’accord pour ne pas exiger leurs rétributions habituelles. Cependant, ils doivent voyager par avion pour se rendre à Gligit et d’autres coûts doivent être couverts.
3. Tous les militants incarcérés sont de familles d’origine ouvrière. Leurs familles dépendent financièrement d’eux. La plus grande partie de l’argent utilisé pour la défense a été collectée par leurs amis, par des membres des mouvements sociaux, par des personnes politiquement engagées. Une aide financière régulière doit pouvoir être fournie aux familles des détenus les plus démunies, autant de temps qu’il le faudra – et cela y compris afin de contribuer à maintenir haut le moral de ceux qui sont en prison et qui s’inquiètent pour leurs proches.
Nous sommes à une conjoncture cruciale. Après les premiers succès engrangés, il est possible d’obtenir gain de cause. Il est temps pour Baba Jan et ses camarades d’être libérés une fois pour toutes de la prison et des condamnations prononcées par les tribunaux antiterroristes. Nous devons y aider – et y aider maintenant.
Pierre Rousset
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ROUSSET Pierre, ESSF
Notes
[1] Voir les articles antérieurement publiés sur ESSF via le mot-clé JAN Baba.
[2] Voir sur ESSF le mot clé Faisalabad.