Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

Israël : côté obscur de l’armée la plus morale du monde entier

À Gaza, le nombre de morts atteint 36 000 et de blessés 80 000... Depuis deux semaines, environ 900 000 Gazaouis, soumis à d’incessants bombardements et attaques israéliens, quittent Rafah et se dirigent ailleurs à Gaza, cette fois où presque tout a été démoli et où trouver eau, nourriture, et abris s’avère quasi impossible...

Ovide Bastien

Alors que la famine devient chaque jour plus évidente, Israël non seulement restreint l’aide humanitaire qui entre à Gaza, mais ferme carrément celle qui entre de l’Égypte par Rafah et permet à des colons juifs, pour une deuxième fois en quelques jours, d’attaquer et saccager impunément des camions qui transportent de l’aide humanitaire en provenance de la Jordanie...

Le 20 mai le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, annonce qu’il fait la demande de mandats d’arrêt à l’encontre du premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou et de son ministre de la Défense Yoav Gallant pour des crimes de guerre – faim utilisée comme arme de guerre, notamment en privant les Gazaouis d’aide humanitaire, et ciblage intentionnel de civils, extermination – ainsi que de trois dirigeants du Hamas pour les atrocités commises le 7 octobre dernier – extermination, viols, prise d’otages.

Le même jour, le président Joe Biden, principal fournisseur d’armes à Israël, affirme aux étudiants qui, lors d’une cérémonie de graduation, l’accusent de complicité dans un génocide :

«  Je sais que la situation vous brise le cœur, mais elle brise le mien aussi. » Et, commentant la décision de Karim Khan, il affirme, « Il n’y a pas un iota d’équivalence entre Israël et le Hamas. La décision de la CPI est choquante. Nous appuierons toujours Israël d’une main de fer. Il n’y a pas de génocide à Gaza ! »

Le 23 mai, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège annoncent que leur pays va se joindre aux 145 autres pays qui ont déjà reconnu la Palestine comme État. Le lendemain, la Cour internationale de justice, à la suite d’une nouvelle demande provenant de l’Afrique du Sud, ordonne à Israël de mettre immédiatement fin à son offensive militaire à Rafah, à son blocage de l’aide humanitaire à Rafah, et de permettre aux agences de l’ONU d’entrer à Gaza afin de pouvoir y réaliser des enquêtes.

Peu étonnamment, Benjamin Nétanyahou réagit avec colère. Des exemples éhontés d’antisémitisme, affirme-t-il. Des pays et des juges antisémites, qui se comportent comme ceux qui ont facilité l’Holocauste ! Nous avons l’armée la plus morale dans le monde entier ! Rien ni personne ne nous empêchera de nous défendre !

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De toute évidence, Israël se trouve de plus en plus isolée sur la scène internationale. Plus ces gestes concrets la noircissent, plus elle s’affirme pure et innocente et se présente comme LA victime du monde entier, que seul le géant étatsunien protège.
Dans ce qui suit, j’aimerais illustrer à lectrices et lecteurs un côté obscur d’Israël que m’a permis de découvrir la lecture d’un livre qui apparaissait à peine quelques semaines avant l’attaque violente d’Israël par le Hamas le 7 octobre dernier, The Palestine Laboratory : How Israel Exports the Technology of Occupation around the World.

Rédigé par le journaliste juif australien Antony Loewenstein, ce livre montre comment Israël, dont la population dépasse à peine celle du Québec, est devenue, grâce à son appareil de sécurité et de technologies et tactiques sophistiquées développés pour maintenir le contrôle sur la population palestinienne, le dixième plus grand exportateur d’armes au monde ainsi qu’un leader dans l’exportation d’outils de surveillance, de répression et de contrôle. Drones, caméras de surveillance, logiciels comme Pegasus qui espionnent les cellulaires, reconnaissance faciale, systèmes de sécurité aux frontières, armes de contrôle des foules, etc., tous ces outils, affirme Loewenstein, ont été perfectionnés dans le creuset du conflit palestinien et sont désormais commercialisés et vendus aux gouvernements et aux forces de sécurité du monde entier. Que ces gouvernements bafouent systématiquement les droits de la personne, cela importe peu à Israël.

« Il existe aujourd’hui en Israël plus de trois cents multinationales et six mille start-ups qui emploient des centaines de milliers de personnes, » rappelle Loewenstein. «  Les ventes sont en plein essor, les exportations de matériel de défense atteignant en 2021 un niveau record de 11,3 milliards de dollars, soit une augmentation de 55 % en deux ans. Les entreprises israéliennes de cybersécurité sont également en plein essor, avec 8,8 milliards de dollars US obtenus dans le cadre de cent transactions en 2021. La même année, les entreprises israéliennes de cybersécurité ont reçu 40 % du financement mondial dans ce secteur. »

Les exemples que donne Loewenstein sont nombreux et fort troublants. En voici quelques-uns.

Afrique du Sud

L’Afrique du Sud représente sans doute le cas le plus spectaculaire. Si Israël a été le plus grand et fidèle allié du régime d’apartheid dans ce pays, ce n’est pas seulement, rappelle Loewenstein, parce que ce dernier achetait beaucoup de ses armes. C’est aussi et surtout, insiste-t-il, en raison de la très forte communauté de pensée qui existait entre les deux. Ici, les Afrikaners se percevaient comme les civilisés, et ne voyaient chez les Noirs que barbarie, méchanceté, et terrorisme. Là, les Israéliens se perçoivent comme les civilisés, et ne voient chez les Palestiniens que barbarie, méchanceté, et terrorisme.

Il est assez révélateur que Nelson Mandela, dans son discours du 4 décembre 1997, affirmait : « Notre liberté ne saura être complète sans celle du peuple palestinien ».
Il est assez révélateur, aussi, que ce soit l’Afrique du Sud qui prenait l’initiative, décembre dernier, d’accuser Israël, auprès de la Cour internationale de justice, de génocide à Gaza.

Chili

J’étais au Chili au moment où la junte militaire renversait le gouvernement de Salvador Allende en septembre 1973. J’ai pu voir de mes yeux, au jour le jour pendant un an, la répression impitoyable – censure, torture, exécution sommaire, camps de concentration - qui s’abattait sur le peuple chilien. La dictature a duré 17 ans, a fait plus de 3 000 victimes, et a torturé plus de 40 000 Chiliens et Chiliennes. De centaines de milliers, afin de fuir la terreur, se sont réfugiés à l’étranger.

Ce n’est qu’aujourd’hui, grâce à Loewenstein, que j’apprends qu’Israël vendait des armes à la dictature. En 1976, le Congrès étatsunien décrétait un embargo sur les armes à destination du Chili. Loewenstein cite un télégramme, provenant de l’ambassade étatsunienne à Santiago le 24 avril 1980, où on reconnait qu’Israël, malgré l’embargo de son grand allié, non seulement continue à vendre des armes à la dictature, mais est même un de ses principaux fournisseurs !

L’Inde

Une communauté de pensée existe, selon Loewenstein, entre l’ethno nationalisme d’Israël et celui du régime de Narendra Modi en Inde, où les Musulmans sont perçus comme des citoyens inférieurs. À la suite d’un accord conclu en 2014 entre Israël et l’Inde, ces deux pays se sont engagés à collaborer en matière de sécurité publique et intérieure. Par la suite, plusieurs officiers, forces spéciales, pilotes et commandos indiens se sont rendus en Israël pour y suivre une formation. Entre 2015 et 2020, le principal marché d’exportation d’armes d’Israël est l’Inde, avec 43 % des ventes totales. Les drones israéliens Heron survolent le Cachemire, tout comme ils survolent les territoires occupés de la Palestine, affirme Loewenstein. Plusieurs militants israéliens des droits de l’homme, notamment Eitay Mack, ont adressé une pétition à la Cour suprême d’Israël en 2020, exigeant qu’Israël cesse de former des policiers indiens qui « aveuglent, assassinent, violent, torturent et font disparaitre des civils dans le Cachemire  ».

Guatemala

Dans les années 1970s et 1980s, Israël a collaboré avec les États-Unis pour fournir un appui militaire, diplomatique et idéologique au régime génocidaire du Guatemala, affirme Loewenstein. Dans un pays où la majorité de la population est indigène, le gouvernement, poursuivant l’objectif intitulé ‘pacification des campagnes’, a construit des ‘villages modèles’ où les populations indigènes furent forcées de vivre. Celles-ci ont lutté contre cette répression, et environ 200 000 personnes, presque tous indigènes, ont été tuées entre 1960 et 1996.

L’un des moyens les plus efficaces utilisés par Israël pour aider le régime guatémaltèque a été l’installation d’un centre d’écoute informatique par la société privée israélienne Tadiran Israel Electronics Industries, poursuit Loewenstein. Devenu opérationnel à la fin de 1979, ce centre contenait les noms d’au moins 80 % de la population et pouvait détecter les changements dans l’utilisation de l’électricité ou de l’eau dans les maisons privées, ce qui permettait de repérer les activités antigouvernementales – par exemple, si une presse d’imprimerie était utilisée. Les médias israéliens rapportaient, précise Loewenstein, que l’objectif de ce centre était de « suivre les mouvements de la guérilla indigène dans la capitale ».

On sait que Ríos Montt, qui a géré le Guatemala de 1982 à 1983, a été condamné en 2013 à 80 ans de prison pour génocide et crimes contre l’humanité. Or, lorsqu’il a pris le pouvoir par un coup d’État le 23 mars 1982, les médias israéliens ont rapporté que des conseillers militaires israéliens avaient participé à ce coup. Et Montt a lui-même déclaré à un journaliste d’ABC, souligne Loewenstein, que si le coup d’État avait été un succès éclatant, c’est « parce que beaucoup de nos soldats avaient été formés par les Israéliens ».

La collaboration d’Israël avec Montt ne se limitait pas, cependant, à n’offrir que conseils et formation à ses militaires, poursuit Loewenstein. Le 6 décembre 1982, Montt commettait, dans le petit village indigène de Dos Erres, un des massacres les plus horribles et notoires de son règne. Environ trois cents personnes furent massacrées avec une brutalité choquante – crânes fracassés à coups de masse et corps jetés dans un puits.

« Toutes les preuves balistiques retrouvées correspondaient à des fragments de balles provenant d’armes à feu et de cosses de fusils Galil, fabriqués en Israël,  » déclarait en 1999, la Commission vérité des Nations unies, après s’être rendue sur place pour exhumer les cadavres.

Colombie

Israël et les États-Unis ont formé et armé des escadrons de la mort en Colombie jusque dans les années 2000, affirme Loewenstein. « Les tristement célèbres fusils Galil de fabrication israélienne, autrefois utilisés dans le génocide guatémaltèque, se sont retrouvés chez des barons de la drogue colombiens à la fin des années 1980. Fabriquées par Israel Military Industries, rachetées par Elbit Systems en 2018, ces armes faisaient partie d’une présence israélienne beaucoup plus importante en Colombie, » poursuit-il. L’ancien trafiquant de drogue Carlos Castaño, qui dirigeait une force paramilitaire d’extrême droite, explique dans son autobiographie rédigée par un écrivain fantôme : «  J’ai appris une quantité infinie de choses en Israël [dans les années 1980], et c’est à ce pays que je dois une partie de mon identité, de mes réalisations humaines et militaires. J’ai copié le concept des forces paramilitaires sur les Israéliens ».

L’ex-président colombien, Juan Manuel Santos a fait l’éloge de la société israélienne qui avait formé ses militaires, poursuit Loewenstein. Dans une émission de télévision israélienne, il déclarait : «  On nous a même accusé d’être les Israélites de l’Amérique latine, ce qui me rend personnellement très fier. » L’émission mentionnait le raid colombien de 2008 en Équateur et l’assassinat du commandant en second des FARC, Paul Reyes.

Il est peu étonnant que le président progressiste de la Colombie, Gustavo Petro, soit un des critiques les plus virulents des actions génocidaires d’Israël à Gaza depuis le 7 octobre dernier. Le 1 mai 2024, il annonçait que son pays coupait tout lien diplomatique avec Israël.

La frontière entre les États-Unis et le Mexique

Les entreprises israéliennes de sécurité et de surveillance jouent un rôle important dans la protection de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Leur activité en Palestine s’avère, à cet égard, un outil précieux de promotion et commercialisation, affirme Loewenstein. La sécurisation de la frontière de 3 000 kilomètres bénéficie d’un grand soutien de la Maison Blanche, peu importe que celle-ci soit contrôlée par un Démocrate ou un Républicain. Et pour militariser cette frontière, on se sert fondamentalement de la technologie israélienne. L’objectif est de combiner la technologie de surveillance, l’infrastructure frontalière, les unités tactiques et le système de tours intégrées pour empêcher et dissuader les migrants d’entrer dans le pays et de traverser le désert mortel.
C’est l’objectif déclaré. Cependant, une telle militarisation de la frontière ne peut qu’aboutir à des morts, et en grand nombre, affirme Loewenstein. En constitue une preuve éloquente le fait que, depuis les années 1990, on ait retrouvé sept mille cadavres à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

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