Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Agressions sexuelles, radicalisation, intimidation : phénomènes isolés ?

Le 19 octobre dernier, 4 jours après des agressions commises dans une résidence étudiante, se tenait à l’Université Laval une manif pour dénoncer la culture du viol sur le campus, une culture constatée dans plusieurs universités canadiennes où les autorités semblent prendre la chose à la légère. Les recteurs semblent répondre aux agressions comme l’armée canadienne lorsque des femmes sont violées, intimidées ou forcées de démissionner. On se scandalise lorsqu’un candidat à la présidence des États-Unis laisse libre cours à un vocabulaire dégradant, mais peut-être devrait-on regarder autour de nous ? Trois ministres du gouvernement du Québec ont participé à cette manif initiée par un professeur outragé.

Le mercredi 26 octobre, soit onze jours après les agressions, des manifestations se tenaient dans plusieurs villes québécoises pour dénoncer la culture du viol.

L’actualité récente a été généreuse sur des thématiques similaires

En mai 2016, la ministre des Relations internationales annonçait la tenue à Québec d’une conférence de l’Unesco sur l’Internet et la radicalisation des jeunes. L’influence d’Internet dans le processus menant à la violence extrémiste chez les jeunes semble faire consensus chez les gouvernements car le projet vient de l’Unesco.

Rappelons-nous qu’il y a 2 ans, la ministre de la Famille du Québec annonçait un nouveau plan d’action pour contrer l’intimidation « dans le monde réel et dans le monde virtuel ».

Au moment d’écrire ces lignes, le ministre de l’Éducation, du loisir et du Sport poursuit une tournée des régions afin de mobiliser les intervenants pour « enrayer les lacunes dans le processus éducatif des jeunes Québécois. »

Se pourrait-il que la ministre de la Famille de 2014, comme celle des relations internationales et celui de l’éducation de 2016 soient sur le point de traquer des phénomènes issus d’une même intoxication culturelle ? Se pourrait-il que ce qu’on appelle « radicalisation » quand il est question de terrorisme comporte des similarités avec l’intimidation, le harcèlement et le bullying quand on parle de vivre ensemble à l’école ? Y aurait-il des liens à faire avec la culture toxique qui règne sur nos campus ?
Ces phénomènes, étiquetés différemment, ne sont-ils pas tous reliés au processus mental que les chercheurs et les militaires appellent « désensibilisation », et que les psychologues appellent banalisation, ou accoutumance ?

Une culture sous-jacente

Dans les centaines d’école et de collèges du Québec et de France où l’on a préparé des enfants et des adolescents à vouloir et pouvoir réduire le temps consacré aux mondes virtuels numériques, y compris les plus addictifs, (Internet, jeux vidéo, tablettes et smartphones) on a constaté une amélioration rapide du climat d’apprentissage, des relations entre élèves et des conversations familiales. Pour les préparer à la déconnexion, on a demandé aux adolescents de citer les paroles blessantes les plus courantes dans leur univers scolaires. Les humiliations misogynes ont occupé la première marche du podium, loin devant l’homophobie et l’apparence.

À quoi attribuer la diminution de la violence verbale et physique chez les jeunes qui se déconnectent ? Après des années d’expertise, de réflexion et de débats dans des centaines d’écoles où l’on a proposé aux élèves de relever le Défi 10 jours sans écrans, on arrive toujours à la même réponse : la reconnexion avec la réalité entraîne la réhabilitation fulgurante de l’empathie. On obtient ce résultat sans intervention policière, sans durcissement des règles de vie, sans suspension ni exclusion, sans sermons ou menaces de sanctions, sans Ritalin.

Bienfait bizarre …. mais prévisible ?

Peut-être que les bienfaits suite à la déconnexion peuvent sembler banals, éphémères ou superficiels du point de vue d’une autorité ministérielle, mais du point de vue des élèves et de leurs parents, ils sont fantastiques et font une différence énorme entre l’école-infernale ou l’université-périlleuse et l’école-où-l’on-a-hâte-d’arriver-le-matin.

Étonnamment, 75% des parents veulent reprendre le Défi 10 jours sans écrans chaque année.
Quel projet cruel, irréaliste ou rétrograde penseront certains. On s’est demandé, nous aussi, si les jeunes privés de leur smartphone avaient souffert ? Et bien non, c’est plutôt le contraire. Les enseignants ont constaté que la concentration des élèves s’était améliorée et les jeunes ont reconnu avoir été de meilleure humeur, tout cela et quelques autres bienfaits tangibles, sans pilule, ni aide médicale à survivre.

Cultiver l’empathie

Quant au ministre québécois de l’éducation, souhaitons qu’il porte attention aux constats rapportés par le professeur de psychologie sociale Laurent Bègue, directeur du laboratoire inter-universitaire de psychologie de Grenoble. Il a répertorié les plus récentes études sur le sujet.

L’expertise développée dans des pays où les autorités scolaires ont intégré l’enseignement de l’empathie dans le curriculum scolaire mérite une attention particulière, notamment au Danemark où cette pratique a été instaurée il y a 23 ans. L’enseignement de l’empathie à l’école semble avoir fait contrepoids à la diminution de l’empathie constatée chez les enfants exposés de plus en plus précocement aux écrans depuis un quart de siècle.

En 2010, des chercheurs de l’Université du Michigan publiaient les résultats de leur étude auprès de
14 000 collégiens sur une période de 30 ans, soit entre 1979 et 2009. Ils ont comparé leur niveau d’empathie à celui des jeunes de la décennie 1970-1980. Ils concluent que leur niveau serait inférieur de 40% à celui de leurs prédécesseurs. L’étude note que c’est au lendemain de l’an 2000 que la chute a été la plus marquée.

Selon Michele Borba, psychologue spécialisée en éducation parentale, cette diminution de l’empathie aurait été comblée par une hausse du narcissisme. Selon elle, un collégien états-uniens sur trois serait victime de dépression, y compris une forte hausse du nombre de tentatives de suicide chez les filles.

À quoi attribuer la perte d’empathie ?

Les chercheurs Sara Konrath et Edward O’Brien, auteurs de l’étude de l’Université du Michigan , attribuent la chute de l’empathie à une combinaison de 4 facteurs dont ils souhaitent vérifier le poids relatif dans une avenir prochain.
 La hausse du temps-écrans durant cette période serait l’un des facteurs. Le citoyen moyen d’aujourd’hui est 3 fois plus exposé aux médias (non liés à son travail) que celui d’il y a 30 ans. En termes de contenu consommé, le collégien moderne a grandi avec des jeux vidéo et plusieurs études ont confirmé que l’exposition à des divertissements violents désensibilise aux souffrances de son entourage.
 La fréquentation croissante des réseaux sociaux pourrait elle aussi avoir contribué à faire chuter l’empathie. La facilité de se faire des ’amis’ en ligne facilite le désengagement quand le jeune veut décrocher des problèmes d’autrui, un comportement moins possible dans la vie réelle.
 Ajoutons l’atmosphère hyper-compétitive qui accompagne la course à la réussite, telle que présentée dans les émissions de "télé-réalité" et vous obtenez un environnement social qui interdit le ralentissement lorsque leurs pairs ont besoin d’écoute.
 Les collégiens d’aujourd’hui sont tellement inquiets pour eux-mêmes et les risques d’échec qu’ils n’ont plus de temps pour autrui, du moins, c’est la perception qu’ils ont.

Exercice annuel de désintoxication et de reconnexion avec la réalité

Bienvenue au monde de la réalité et de la déconnexion numérique salutaire pendant quelques jours. Pourquoi ne pas s’inspirer de l’exercice annuel d’évacuation des écoles en cas d’incendie ? En dépit de l’absence d’incendie dans nos établissements éducatifs depuis des décennies, l’exerce continue d’avoir lieu et les élèves s’habituent à sortir et à se retrouver au point de rassemblement. C’est devenu une routine pour les jeunes et pour le personnel de l’école, une routine rassurante qui ne pourra que porter fruit le jour venu, un jour que personne ne souhaite.

L’heure est peut-être venue de remettre les écrans de type récréatif, en commençant par les plus toxiques, à leur place, avec les serviteurs et les outils.

Puissent nos autorités scolaires prendre le remède au sérieux.
Jacques Brodeur, Edupax
Québec
jbrodeur@edupax.org

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