Source : Le blogue de l’auteur
Avec la ratification de l’Union européenne ce mardi 4 octobre, l’Accord de Paris va mécaniquement entrer en vigueur trente jours plus tard, à l’occasion de la COP22 à Marrakech (7 -18 nov). Une entrée en vigueur des plus symboliques car les dispositions prévues par l’Accord ne portent que sur la période post-2020. Gageons que cet haletant Téléthon d’une ratification voulue rapide, habilement orchestré par l’ONU et la présidence française de la COP21, et savamment entretenu par les ratifications prévues et planifiées de la Chine, des Etats-Unis et de l’Inde, donnera aux Etats le temps et la volonté nécessaires pour ne pas lézarder sur le chemin d’une politique climatique qui se doit d’être nécessairement ambitieuse.
C’est là que le bât blesse pour l’instant : à l’occasion de la COP21, les Etats ont enregistré auprès de l’ONU leurs propositions de politiques climatiques pour les années post-2020. L’ONU a fait le calcul : un record d’émissions mondiales pourrait être battu chaque année d’ici à 2030 pour atteindre 55 gigatonnes d’équivalent C02 en 2025 et 56,2 Gt éq. CO2 en 2030 (courbe jaune du graphique). Soit 18 % et 37% d’émissions en trop par rapport à ce qu’exige une trajectoire 2°C (courbe bleue) et bien plus encore par rapport à une trajectoire de 1,5°C (courbe verte). Autrement dit, les Etats envisagent de consommer 53 % du budget carbone dont nous disposons d’ici à 2025 et 74% d’ici à 2030.
Les Etats violent l’article 2 de l’Accord de Paris
Résultat : avec de tels engagements, le réchauffement climatique devrait être largement supérieur à 3°C, en contradiction flagrante avec l’article 2 de l’Accord de Paris qui prévoit que les Etats agissent pour contenir le réchauffement en deçà de 2°C, ou même, idéalement, en deçà de 1,5°C. Disons-le autrement : avant même que l’Accord de Paris n’entre en vigueur, les Etats violent les (maigres) engagements qu’il contient. Le décalage entre ce qui devrait être fait, et ce que les Etats s’engagent à faire est immense. Il est urgent et nécessaire que les Etats revoient à la hausse l’ambition de leurs politiques climatiques, au risque de voir l’emballement climatique s’accélérer (le graphique est une courbe moyenne sur les 12 derniers mois réalisée par James Hansen).
« Pour résoudre la crise climatique (…), les bons sentiments, les déclarations d’intention ne suffiront pas, nous sommes au bord d’un point de rupture » avait déclaré François Hollande en ouverture de la COP 21, souhaitant que la conférence de Paris pose les jalons d’une « révolution climatique ». Il est temps de s’y mettre. A ce stade, malheureusement, ni la communauté et les institutions internationales, ni l’Union européenne, ni les gouvernements nationaux – et en particulier le gouvernement français – pas plus que la majorité des collectivités territoriales ne sont à la hauteur des enjeux.
Voici quelques idées et propositions (liste non exhaustive) :
Au niveau international
sans attendre l’échéance de 2024 telle que prévue par l’Accord de Paris, les Etats doivent revoir à la hausse leurs engagements de réduction d’émission de gaz à effet de serre, afin de conserver une chance raisonnable de rester en deçà des 2°C de réchauffement ; comme l’Accord de Paris ne comporte aucun mécanisme permettant de contraindre les Etats (ou les multinationales) à agir ainsi, c’est à la société civile de les obliger à respecter l’article 2 de l’Accord de Paris, comme je l’explique dans cette interview ; c’est une lourde responsabilité ;
– être sérieux et sincère devant cette exigence de ne pas aller au delà des 2°C de réchauffement climatique implique de planifier et d’organiser une transition énergétique qui permette de se désintoxiquer des énergies fossiles et d’en programmer la sortie ; les études et données disponibles le montrent avec précision ; nous pouvons en tirer trois implications majeures : 1) introduire des formes d’interdiction, moratoire et restrictions aux projets d’exploration et de mise en exploitation de nouveaux gisements, 2) supprimer tous les soutiens directs et indirects dont bénéficient le complexe industriel fossile (5400 milliards de dollars selon le FMI) ; 3) planifier et organiser un désinvestissement massif dans le secteur tout en mettant en œuvre une transition énergétique qui assure des emplois au moins équivalents ; disons-le autrement : chaque euro supplémentaire investi dans le secteur des énergies fossiles est une atteinte manifeste à l’article 2 de l’Accord de Paris !
– Au nom du climat, il est urgent de rénover les règles du commerce mondial – voir cette tribune publiée dans Le Monde ;
– Imposer de véritables mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à l’aviation, tout en refusant les mécanismes de compensation que veulent mettre en œuvre les industriels du secteur (voir cet article publié sur Basta)
Au niveau européen
la Commission européenne et le Conseil européen doivent revenir sur leur décision du mois de mars 2016 refusant de donner plus d’ambition à son paquet énergie climat ; a minima, l’UE doit se fixer 30% de réductions d’émissions en 2020 et au moins 55% en 2030 par rapport aux niveaux d’émission de 1990 ; plus de détails ici ; La France doit oeuvrer en ce sens, en droite ligne de l’engagement prix par François Hollande en clôture de la COP21 qui promettait de « réviser au plus tard en 2020 les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre » ;
– la Commission européenne (notamment à travers le plan Juncker), la BEI, la BERD doivent immédiatement cesser leurs investissements dans des infrastructures liées aux énergies fossiles, que ce soit des infrastructures gazières ou des infrastructures de transports carbonés (voir ici et ici) ;
– la révision à venir des directives sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables doit être l’occasion d’opérer une profonde transition énergétique qui s’appuie sur une sortie progressive, programmée et planifiée des énergies fossiles ; c’est en cumulant des objectifs ambitieux de réduction d’émissions de gaz à effet de serre mais aussi de développement d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, que l’Union européenne peut clairement poser les bases d’une transition énergétique ambitieuse (voir ici et ici)
– l’UE et ses Etats-membres doivent mettre fin aux négociations et à la signature d’accords commerciaux qui sont incompatibles avec la lutte contre les dérèglements climatiques : c’est le cas du CETA (voir ici), du TAFTA (voir ici et ici) mais également des règles édictées dans le cadre de l’OMC (voir cet article publié sur Basta) : il faut donc rénover l’ensemble de ce corpus de règles commerciales et d’investissement pour les faire entrer au XXIème siècle et faire en sorte que la lutte contre le dérèglement climatique ne soit plus accessoire ;
Au niveau français
– le minimum de cohérence nécessite de ne pas construire de nouveaux aéroports comme à Notre-Dame des landes (lire pourquoi c’est un projet climaticide), de nouvelles autoroutes comme entre Lyon et Saint-Etienne (voir cette tribune collective, et plus généralement de grands projets inutiles en tout genre qui sont contraires à l’impératif climatique : EuropaCity, le CenterParcs de Roybon, etc
– les scénarios de transition énergétique permettant de décarboner complètement le secteur électrique (scénario ADEME), et très fortement l’ensemble de l’économie française (scénario Negawatt) existent ; il serait souhaitable qu’ils guident les politiques publiques nationales et locales ;
– a minima également, les objectifs de réduction de 30% de la consommation d’énergies fossiles en 2030 par rapport à 2012, de réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à 2012 et de baisser à 50% la part du nucléaire à l’horizon 2025 doivent être suivis à la lettre ; ce qui n’est pas le cas du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie récemment publié ;
– plutôt que d’accorder de nouveaux permis d’exploration d’hydrocarbures, le gouvernement français devrait rejeter l’ensemble des permis en cours de demande et annuler les permis existants (notamment ceux sur le gaz de couche dans le Nord et l’Est de la France) afin de devenir un des premiers pays au monde qui soit libre de prospection pétrolière et gazière (voir ici et ici) ;
– une lutte déterminée contre l’évasion fiscale devrait conduire le gouvernement à récupérer les financements nécessaires aux politiques de sobriété et d’efficacité énergétiques (voir ici et ici) ;
Etc.