Le gouvernement prétend que l’accord UE-Canada, le Ceta, est un anti-Tafta et que c’est un "bon accord". C’est plus que discutable puisqu’un très grand nombre des griefs et reproches que la société civile adresse au Tafta sont valables pour le Ceta. C’est en tout cas ce que confirme la lecture du texte consolidé du Ceta, tel que rendu public le 29 février par Chrystia Freeland, la Ministre canadienne du Commerce, et Cecilia Malström, la Commissaire européenne au Commerce, et disponible ici en anglais.
Ce post de blog se limite principalement aux chapitres 22 et 24 du Ceta portant respectivement sur le « Commerce et développement » et sur le « Commerce et l’environnement ». Il s’appuie sur une note de décryptage de ces deux chapitres publiée comme document de travail le 1er mars (voir ici) et sur le travail d’analyse mené par l’Aitec sur l’ensemble du contenu du texte du Ceta (voir ici).
De façon résumée et synthétique, on peut dire trois choses de l’analyse du Ceta au prisme de l’urgence climatique :
Le Ceta éclipse l’impératif climatique - et plus largement les préoccupations environnementales - derrière des objectifs de facilitation du commerce et de compétitivité ;
Au lendemain de la COP21 et en plein processus de ratification de l’Accord de Paris dont l’article 2 vise à contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C, et idéalement de 1,5°C, le Ceta prive le Canada et les Etats-membres de l’UE de la possibilité de recourir à bon nombre d’instruments juridiques et réglementaires pour mener des politiques conformes à ces objectifs ;
Le discours du gouvernement selon lequel le Ceta est "un bon accord" nécessite, pour être tenu, de nier les implications négatives sur le climat et la transition énergétique que porte cet accord entre l’UE et le Canada : au lendemain de la COP21 et en plein processus de ratification de l’Accord de Paris, c’est difficilement acceptable ;
1. Le Ceta ne reconnait pas l’urgence climatique ni l’Accord de Paris
L’accord de Paris, présenté comme l’accord le plus important de ce début de 21ème siècle, n’est nullement mentionné dans le Ceta (et ce alors que le texte du Ceta a été modifié début 2016 sur le chapitre Investissement). Le préambule du Ceta, qui est généralement l’endroit où l’on peut faire référence à des principes généraux ou des textes d’une autre nature juridique, ne fait aucune mention explicite de l’urgence climatique : aucun objectif de réduction d’émission de gaz à effet de serre (GES) ni même d’objectifs généraux visant à décarboniser l’économie, ne sont mentionnés. A aucun moment du texte il n’est prévu ou envisager que le commerce transatlantique puisse être soumis à l’objectif climatique. Seule une référence au « développement durable », auquel la libéralisation du commerce est supposée contribuer, peut laisser penser que les questions écologiques n’ont pas complètement disparu du radar des négociateurs.
2. Droit de l’environnement reconnu mais aucun droit spécifique mentionné
Les négociateurs ont introduit dans les chapitres 22 et 24 une série de formules générales, généreuses et bienveillantes, mais dotées d’une faible portée juridique, tout en gravant dans le marbre des règles donnant la priorité au respect des normes classiques organisant le commerce international. Ainsi, l’article 24.2 « reconnaît que l’environnement est un pilier fondamental du développement durable », tout en précisant l’importance de la « contribution du commerce » à ce même « développement durable ». L’accord mentionne que les Etats peuvent « fixer leurs priorités environnementales et établir leurs niveaux de protection environnementale » (article 24.3), y compris en indiquant qu’il est « inapproprié d’encourager le commerce ou l’investissement en affaiblissant ou en réduisant les niveaux de protection dans le droit de l’environnement » (alinéa 1 de l’article 24.3). Mais le texte précise tout de suite que les Etats « doivent s’assurer » que les procédures visant à faire respecter la législation environnementale « ne sont inutilement complexes ou trop coûteuses ». Aucun texte international statuant sur le droit de l’environnement n’est dûment mentionné. Pas même la déclaration des Nations-Unies sur le Droit des peuples indigènes alors que la forte activité extractive (mine, pétrole, forêt etc) sévissant sur le sol canadien qui touche particulièrement les populations autochtones : alors qu’un dispositif ad hoc sur les matières premières vise à « éviter les barrières non-tarifaires au commerce des matières premières » (chapitre 25), les droits des populations qui vivent les conséquences de cette exploitation ne sont pas reconnus dans le Ceta.
3. L’environnement, un sous-secteur de la libéralisation du commerce
Dans l’article 24.9, intitulé « Commerce favorisant la protection de l’environnement », les signataires de l’accord se déclarent « résolus à faire les efforts pour faciliter et le commerce et l’investissement dans le secteur des biens et services environnementaux, y compris en s’occupant de la réduction des obstacles non tarifaires liés à ces biens et services ». On le voit, dès qu’il s’agit de commerce, les engagements sont précis et ils visent, dans une vision commerciale classique, à réduire les normes et les règles qui sont perçues comme des obstacles au commerce. Ceci au nom de la lutte contre les dérèglements climatiques et la protection de l’environnement. Le Ceta traduit une vision où c’est la libéralisation du commerce et de l’investissement qui est présentée comme la meilleure manière de protéger l’environnement et de lutter efficacement contre le dérèglement climatique. On retrouve ici ce que les économistes libéraux ont appelé "théorie du soutien mutuel" qui consiste à penser que plus de libéralisation permettrait de protéger le climat et l’environnement et, réciproquement, que leur protection nécessiterait d’aller plus loin dans la libéralisation des échanges et de l’investissement. Cette approche, qui est infondée en théorie et invalidée dans les faits, est pourtant la matrice conceptuelle avec laquelle travaillent la Commission européenne, le gouvernement et les institutions internationales.
4. Libéralisation du secteur de l’énergie
Le Ceta n’inclut pas de chapitre dédié à l’énergie, à l’opposé de ce que souhaite la Commission européenne pour le Tafta. Dès lors, le commerce des biens énergétiques - et notamment les matières premières fossiles que sont le pétrole, le gaz et le charbon - est libéralisé, au même titre que les autres marchandises via le chapitre "Accès au marché". Puisqu’aucune exception n’est formulée concernant le secteur de l’énergie, les droits de douane restant sur les matières premières énergétiques dans l’UE et le Canada - qui étaient basses - vont être supprimés ouvrant grande la porte à l’importation de pétrole et de gaz venant d’outre-Atlantique. Plus important, l’accord interdit dès lors de revenir sur cette libéralisation et d’introduire des mesures qui pourraient être vues comme des restrictions commerciales. Tel serait le cas par exemple des interdictions d’importation de gaz de schsite récemment évoquées par la Ministre de l’Environnement, Ségolène Royal (voir ce post).
5. Le Ceta a déjà permis des mesures contraires à l’urgence climatique
Fin septembre 2014, la Commission européenne et le Canada ont annoncé avoir finalisé les négociations du Ceta. Quelques jours plus tard, l’Union européenne renonçait à restreindre l’importation du pétrole issu des sables bitumineux. Pour obtenir ce résultat, Stephen Harper, l’ancien Premier ministre canadien, allié aux multinationales du pétrole, a multiplié les pressions diplomatiques auprès des responsables politiques européens pour que la directive européenne sur la qualité des carburants ne discrimine pas négativement le pétrole canadien. Il a gagné : mis au même niveau que le pétrole conventionnel, le pétrole issu des sables bitumineux d’Alberta peut être importé sans qu’il ne lui soit attribué un niveau d’émissions de GES supérieur aux pétroles conventionnels, alors que c’est le cas dans la réalité. Dès lors qu’il s’agit de libéraliser le commerce et l’investissement, les exigences climatiques sont reléguées au second plan. Aucune restriction à l’importation de pétrole issu des sables bitumineux, le plus sale des pétroles à l’échelle internationale, ne sera dès lors rendu possible en raison du Ceta. Le pouvoir discrétionnaire de régulation en matière climatique est donc bien mis à mal par le Ceta, supprimant des leviers d’action essentiels pour des gouvernements désireux d’agir de façon à respecter les engagements pris lors de la COP21.
6. Aucun dispositif contraignant en matière d’environnement ou de développement durable
En matière de commerce et d’investissement, les règles sont contraignantes et dotés de mécanisme de sanction. Par contre, en matière d’environnement, il s’agit de « coopérer » (article 24.12) et il n’y a pas d’éléments contraignants afin de faire progresser la protection de l’environnement, que ce soit à travers cet accord ou dans le cadre d’espaces multilatéraux. Par exemple, si le régime de gouvernance international du climat est évoqué, ce n’est pas pour y mentionner que les Etats doivent y porter des objectifs ambitieux. Non, cette coopération doit prendre la forme « d’échanges techniques, d’échanges d’information et de meilleures pratiques, de projets de recherche, d’études et de conférences » (alinéa 3 de l’article 24.12). Si les « effets pervers du commerce sur le climat » ainsi que la promotion de l’efficacité énergétique et le développement des technologies bas-carbone, sont mentionnés, leur prise en charge est confiée à un engagement de « coopération » sans aucun objectif ou instrument assignés à cette charge. Dit autrement, aucune clause ne protège, de façon explicite et juridiquement efficace, le droit des États et des collectivités publiques à décider de toute mesure politique qui permettra la réalisation des objectifs de développement durable. L’accord ne comporte même pas de clause de « sauvegarde » qui permettrait à l’une des parties ou de ses entités de se soustraire à certains engagements commerciaux au nom de l’impératif écologique ou en cas de crise environnementale majeure.
7. Conclusion
Lors de la conférence environnementale du mois d’avril, François Hollande a déclaré : « La France sera également très vigilante, je le dis dans ce contexte particulier, pour que les négociations internationales futures, les accords commerciaux, ne remettent pas en cause, de manière subreptice, les avancées qui ont été décidées lors de la COP21. Je ne vois pas comment, notre pays, la France, pourrait signer des traités commerciaux si les chapitres relatifs au développement durable ne sont pas contraignants ». Il y a aujourd’hui assez d’éléments caractérisés pour considérer que le Cata remet en cause les engagements pris lors de la COP21 à travers des chapitres relatifs au développement durable qui ne sont ni ambitieux, ni contraignants. Le gouvernement devrait donc stopper le processus de ratification du Ceta.