Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Action sur le pont Jacques-Cartier

Tous devraient constater qu’une redoutable force citoyenne est en émergence. Cette force redéfinit présentement les assises de nos démocraties. Le passage de la démocratie du « scrutin périodique » tenu aux quatre ou cinq ans, vers une démocratie en continu guidée par l’action directe citoyenne au quotidien et les mouvements sociaux serait-il en voie de s’enraciner ?

Toute petite composante d’une très grande lutte mondiale.

Le 9 octobre dernier, trois militants escaladent le pont Jacques Cartier. C’est la congestion monstre sur la rive-sud de Montréal. Les citoyens frustrés se défoulent et les médias à sensation en font leurs « choux gras ». Le fait qu’une manifestation dérange n’est pourtant pas un fait nouveau…Pensons aux manifestations étudiantes de 2012, ou la grande manifestation du 27 septembre qui a neutralisé le Centre-Ville de la métropole du Québec pendant une demi-journée complète, créant aussi sa foule d’inconvénients en milieu hospitalier. En fait ! Qui a souligné ?

Nos médias ont l’indignation sélective. Les chocs météo sont de plus en plus nombreux et affectent directement le cours de la vie de personnes, on en parle sur le fait ; et rien par la suite. Au cours des deux dernières décennies la population a dû passer à travers plusieurs épreuves climatiques : la crise du verglas en Montérégie qui a ébranlé des communautés complètes et qui ae mené le grand-Montréal sur le bord de la crise en 1998. Pensons aux grandes marées dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, le premier grand choc d’érosion côtière de 2010, suivi par sa très préoccupante séquence de tempêtes hivernales sans protection des berges par les glaces. Des aléas naturels qui ont littéralement mis des communautés au bord de la faillite, et qui continu années après années à détruire des rêves de vie. L’importante inondation de la rivière Richelieu en Montérégie en 2011 suivie d’une séquence annuelle d’inondations d’affluents du fleuve qui ruine fois après fois des milliers de résidences de citoyens au désespoir. Nous sommes face à une récurrence d’événements extrêmes qui entraîne des coûts humains, et des drames d’une extrême gravité ; mais trop rapidement oubliés.

Mais loin de s’atténuer ces séquences de catastrophes s’accélèrent en fréquence et s’intensifient. On oublie que les inondations du printemps 2017, d’une catégorie jamais vécu ont touchées 261 municipalités et ont frappées 5371 résidences principales. Mais il y a pire encore ces inondations se répètent aux printemps subséquents soit en 2018 ; et empirent en 2019. Non seulement ça, mais les événements météorologiques se multiplient et se diversifient. On voit les premiers signes d’un corridor de tornades émerger dans la région de Gatineau, et les canicules deviennent des événements récurrents, et de plus en plus intenses et prolongées. Soulignons encore que celle de l’été 2018 été la source de près de 100 mortalités au Québec. Cet été les îles de la Madeleine et les maritimes ont fait face à de puissantes tempêtes tropicales destructrices Les producteurs agricoles du Québec font aussi face à un large éventail d’imprévus, des plantes envahissantes aux nouvelles pestes et moisissures ; des crues et pluies subites aux micro-rafales, tempêtes de grêle et canicules. Bref, plusieurs de nos concitoyens font déjà face aux profondes perturbations du climat.

Comme le souligne l’Union des Municipalités du Québec au sujet de ces perturbations : « Leur bilan est d’une ampleur inédite. Le pire, avec le dérèglement climatique actuel, c’est que ces scénarios catastrophes risquent de se répéter et les coûts sociaux, économiques et environnementaux, d’exploser. »

Utile ou nuisible !

Il y a un petit peu plus de 100 ans, une avancée technologique révolutionnait le monde. Le moteur à combustion devenait accessible aux individus par la voie de l’automobile. Depuis, la fascination du déplacement individuel a moulée nos vies et nos villes au point de devenir maladive. Nous savions pourtant tous que cet appétit pour la route ne pourrait pas se poursuivre à l’infini. Il devait y avoir un jour une limite. C’est le glas pour cette fascination que sonne depuis mai 2018 le mouvement devenu rapidement mondial ; « Extinction Rebellion » !

Nous devons agir maintenant car cette limite est dorénavant atteinte nous relaient les militants. La science est unanime. Nous devons rapidement sortir de la combustion, il en va de la survie de l’espèce humaine sur la planète. Évidemment, pour une majorité c’est l’électrochoc. C’est précisément cet électrochoc qui a fait rager les automobilistes de la rive-sud, de même que des centaines de milliers en Angleterre, en France et dans plusieurs autres régions du monde. Ils furent coincés dans leur « trajet de char quotidien », par des gens qui ont le culot de remettre en question cette habitude profondément ancrée. Ces actions attisent un mélange de culpabilité et de sympathie, stimulent parfois la frustration et la rage ; mais ne laisse personne indifférent. Dans la lutte non violente, on appelle ça ; « faire émerger le conflit ». Forcer une prise de conscience d’un problème sociétal.

Automobilistes en manque d’options

En fait ce que les automobilistes ne réalisaient pas, c’est qu’ils n’étaient pas prisonniers des militants climatiques. Ils étaient en fait prisonniers d’une habitude qu’ils doivent abandonner, et du manque d’option pour le transport et le travail que notre société de l’automobile offre aux citoyens. Le message de la campagne mondiale est simple : nous devons repenser l’organisation du travail, et de notre société. Pas dans cent ans, pas dans dix ans ; mais maintenant, dans les prochains mois ou les prochaines années. Nous prenons immédiatement les moyens du changement, autrement nous en subirons de plus en plus douloureusement les conséquences. Le changement doit advenir et il faut en prendre conscience maintenant !

Heureusement, dans l’histoire de l’humanité, les grands changements sociaux ont tous été imposés par de nouvelles conjonctures techniques, environnementales, économiques ou sociales ; et de puissants mouvements populaires qui ont profondément perturbés l’ordre établis. Nous y sommes !

On a suggéré aux militants de prendre d’autres stratégies, sujettes à interpeller les citoyens réfractaires au changement. On a proposé d’influencer des industriels et gens d’affaire de renom en faveur de la lutte climatique. On aussi suggéré que les militants ne se mettent pas à dos la masse silencieuse, qu’ils ne perturbent pas ; mais inspirent la responsabilité parentale entre autre. Derrière toutes ces suggestions, il y a une pernicieuse prémisse. On présuppose que les gens changeront leurs habitudes suite à la suggestion de personnes qu’elles jugent crédibles, et par la simple éducation au sens des responsabilités et aux options alternatives. Malheureusement ce travail se fait depuis des décennies au Québec via les groupes environnementaux, et ça ne fonctionne de toutes évidences pas !

Politique du statut quo !

On doit comprendre que les systèmes politiques évoluent en fonction de se maintenir, de favoriser le statut quo. Ils sont souvent le résultat d’un compromis entre divers détenteurs de pouvoir social (aristocratie et institutions corporatistes), économique et politique. On vise essentiellement à convaincre une majorité de bénéficiaires du système de le soutenir. La majorité consentante tire avantage du système, et ne cèdera ses minces avantages que sous une certaine contrainte. Pour les militants la question devient la suivante : Quelles forces de contrainte devons-nous appliquer ? Comment mettre ce système et les citoyens pour initier un changement ? Créer les conditions pour une non-coopération active à un système qui les condamne ?

Souvent ces compromis entre les forces du pouvoir omettent les intérêts de groupes plus minoritaires, ou sans voix. Ainsi, malgré les oppositions, tout au long de l’histoire ils réussissent à mettre en place des conditions répondant à leurs intérêts, et asservissant ces sans voix : travail des enfants, esclavage, interdiction du vote des femmes, des mauvaises conditions des travailleurs, jusqu’au droits civiques des noirs bafoués, oppression systémique d’un peuple. Ces conditions font essentiellement l’affaire de ces gens de pouvoir qui en bénéficie. Ils persuadent par la suite des masses consentantes de la nécessité de la chose. Pourquoi changer les choses lorsque nos intérêts sont bien servis ? C’est la base de cette inertie des systèmes politiques.

Action citoyenne et désobéissance

Heureusement les choses changent. Souvent la conjoncture économique ou sociale se transforme, et l’injustice devient une évidence. C’est ce qui se produit présentement avec la large diffusion des connaissances climatiques. C’est dans ces moments où la goutte fait déborder le vase, qu’émerge une prise de conscience rapide et irréversible dans les populations. Un sentiment vague de crise, nourri par des événements (en ce qui nous concerne climatiques) et divers mouvements sociaux qui indique que : « rien ne va plus ». Une indignation émerge et pousse inexorablement les gens à prendre conscience que les choses « doivent changer » ; et à agir.

On a vu les suffragettes au moment où les femmes n’était considérées que comme de simples objets, revendiquer et gagner le droit de vote en perturbant l’ordre établis. Malgré l’indignation généralisée et le contexte de guerre, les femmes se sont attaquées au « sacro-saint » scrutins. Elles ont fait de la prison sous les ires du pouvoir, et de son bon peuple hurlant à la trahison. Mais à force de courage, de persistance et de détermination, elles ont gagnées cette concession du droit de vote. Les noirs et les mouvements religieux se sont soulevés et ont mis fin à l’esclavagisme. Ce mode de travail rentabilisait pourtant les États du textile américain. Malgré la répression féroce et souvent les meurtres sauvages perpétrés par les organisations extrémistes, le soulèvement s’est poursuivi. La longue lutte a contraint les puissants propriétaires à réorganiser le cœur de ces économies, et mettre fin aux pratiques esclavagistes. Pour terminer ; à l’ère de l’industrialisation, de vastes mouvements syndicaux ont obtenus le droit de grève en perturbant systématiquement les milieux de travail. Ces actions de perturbation ont aussi eue des conséquences multiples sur la population, entraînant même parfois des relocalisations et fermetures d’usines. Notons qu’avant le droit de grève, ces actions étaient considérées comme une forme de désobéissance civile.

Ces changements se sont tous produits non sans faire de nombreuses visites dans les cachots, souvent sous les applaudissements de masses de citoyens conformistes. Il y a toujours cette majorité silencieuse qui s’indigne de toute perturbation de son quotidien. Elle craint souvent tout changement, et coopère au maintien du pouvoir jugé le plus avantageux en place. Plusieurs automobilistes sont dus pour une profonde introspection, et ce genre d’action directe vise à la provoquer.

Dans le passé, beaucoup de grèves, beaucoup de manifestations, beaucoup d’obstructions ; et souvent le refus de coopérer massif d’une composante importante des citoyens ont « perturbés l’ordre social », neutralisé des coups d’État et renversé des dictatures. Ces mouvances ont forcées, ou contraint les tenants de l’ « ordre établis » à reconsidérer l’équilibre des forces ; et imposées le changement. Pour précipiter le changement, il faut agir et la résultante immédiate est inévitablement une forme de perturbation de l’ « ordre des choses ». Toute négation de ces faits relève de la pure naïveté politique.

Climat : Une lutte sociale mondiale.

C’est dans un tel contexte que l’on devrait considérer et analyser les actions qui propulsent actuellement la lutte globale pour la stabilité du climat. Nous sommes face à l’émergence d’une force sociale mondiale. La science indique sans ambiguïté que le système économique actuel nous mène tout droit vers la catastrophe. Certains ont mis peu de temps à comprendre, pour d’autres ce sera plus long. L’image forte, celle qui porte actuellement le mouvement est celle de la « terre étuve ». Une terre qui risque de tous nous cuire à la vapeur par le réchauffement dû à l’effet de serre. Essayez de travailler près d’une grande fenêtre, lorsque la ventilation de la pièce est mauvaise. Vous comprendrez rapidement le principe du réchauffement induit par les rayons solaires trappés par le verre. Pour créer des conditions de changement, l’éducation fait un bout de chemin, certaines formes de contraintes agiront aussi. Mais en bout de ligne ce seront les impératifs conjoncturels du climat qui précipiteront les changements. Et si on ne travaille pas le terrain, ce sera plus long et les conséquences en seront d’autant plus douloureuses.

Cette menace de bouleversement irréversible du climat est maintenant imminente ; les signes précurseurs se multiplient. Mais peu de nos dirigeants agissent, toujours aveuglés par les bénéfices qu’ils tirent du statut quo. On nie, on évite le sujet, on fait semblant d’agir et se disant que ça passera, ou on fait le minimum afin d’assurer le maintien des bénéfices immédiats. On parle pourtant de l’absolue nécessité d’une révolution en profondeur ici. Couper de moitié la combustion dans les 10 prochaines années et l’éliminer complètement d’ici 2050. Dans une société où tout a été construit autour de l’automobile, la pilule ne passera pas facilement. L’immobilisme du système n’est comme on l’a dit, rien de neuf ! La campagne électorale fédérale qui se termine en est une bien triste illustration. C’est présentement une véritable lutte sociale à long terme qui se met en place.

Trois militant.e.s sur un pont

Donc nos trois militants de la lutte contre les gaz à effet de serre ont grimpé le Pont Jacques Cartier, et forcé sa fermeture. Des centaines de milliers, voire des millions de personnes sont restés prises dans la congestion. Le geste a entraîné un véritable délire médiatique : terrorisme militant, anarchisme idéologique, dictature du climat… Tous les qualificatifs étaient bons pour dénoncer les personnes et l’action !. Est-ce surprenant ?

Cette action issue de la mouvance mondiale citoyenne « Extinction Rebellion », n’est pourtant qu’un geste parmi tant d’autres de cette campagne mondiale. Depuis des décennies, plus de trente ans au Québec, des organismes tentent de conscientiser la population et les dirigeants sur la menace du réchauffement planétaire avec des succès bien limités. Sur la scène politique mondiale aucune des ententes internationale successives n’a porté fruit, toutes les cibles imposant des limites aux GES ont été manquées.

Les mouvances mondiales citoyennes ont débutées il y a un peu plus d’un an, avec le cri d’alarme des experts scientifiques du climat de l’ONU. Cet appel a été relayé à maintes reprises par son Secrétaire Général ; et les citoyens ont simplement pris « la balle au bond ». Le constat est simple, on ne peut plus fermer les yeux, il pourrait déjà être trop tard !

Émergence d’un mouvement québécois, dans un contexte de lutte mondiale :
Au Québec lors de la mobilisation en opposition au projet Énergie-Est ; les groupes citoyens, les organismes environnementaux et les organisations syndicales se sont regroupés en une large coalition. Le Front commun pour une transition énergétique est né. Suite à l’alerte climat, un groupe citoyen appelé « La Planète s’invite au parlement » a lancé avec succès des appels à de grandes manifestations, juste avant la campagne électorale au Québec. Lors de cette période électorale provinciale, la population a suivie. Via le « Pacte pour la transition » une initiative pour inspirer les citoyens à poser des gestes personnels concrets, les gens ont répondus « Présent ». Le Pacte a recueilli plus de 250 000 signatures au Québec seulement.

Entre temps, en arrière-plan, une campagne citoyenne de reconnaissance de l’Urgence Climatique a débuté. La campagne a mobilisé des milliers de citoyen dans toutes les régions du Québec. Dans leurs régions, ils ont fait pression pour réclamer l’adoption de résolution et d’actions sur le climat, surtout auprès des municipalités. Sous l’impulsion de comités citoyens, plus de 450 municipalités québécoises ont bougées, et signées des Déclarations d’Urgence Climatique.

La mobilisation sur le terrain a été reprise par les organisations étudiantes qui se sont organisées sous la bannière « La Planète s’invite à l’Université ». Puis en collaboration avec le mouvement « Pour le futur » des écoles secondaires inspirés par Greta Thunberg ; de très grandes manifestations ont été organisées et se sont tenues de multiples petites actions de grèves les vendredis au Québec. Toutes ces manifestations ont perturbées le trafic, et la quiétude des tenants du statut quo. Mais on en a très peu parlé.

Ce qui caractérise ce mouvement c’est son étendue, et la diversité croissante de ses adhérents en provenance de tous les milieux : sociaux, économiques, académiques, militants, politiques et autres. Ces multiples actions ont perturbées la quiétude, le trafic, ont mobilisé des ressources policières et ont même complètement paralysé le centre-ville de Montréal. A ce jour, elles n’ont permis de matérialiser que bien peu de changements malgré l’Urgence de la crise climatique de plus en plus largement reconnue ! Les municipalités semblent agir plus sérieusement.

Extinction Rébellion, une couleur dans le spectre des actions

L’action du groupe « Extinction Rebellion » n’est qu’un élément dans ce vaste continuum d’actions qui perturbent et perturberont encore. L’essentielle des approches de mobilisation vise à resserrer et élargir les rangs des personnes préoccupées. Ce sont les effets les plus probants des manifestations plus traditionnelles. Leur médiatisation maintien la préoccupation pour les enjeux dans l’espace publique. Lors d’une manifestation de 150 000, ou de 500 000 personnes, chacun des participants reçoit le message qu’il n’est pas seul ! Un catalyseur indispensable pour la poursuite de la lutte sur le terrain !

Ce qui importe surtout, c’est le travail de préparation de ces événements de masses. Tout le travail de sensibilisation et d’éducation qui mène les gens à vouloir passer à l’action ! La manifestation terminé, l’impact se fait encore sentir par cette masses de personnes qui retourneront dans leur milieu de vie et partageront leur préoccupation ; et pousseront le dirigeants locaux à agir. La grande manifestation n’est qu’une parenthèse visant à cristalliser la lutte !

Par contre les grandes actions de masses demandent du temps. Le travail d’information et de mobilisation est important, mais il est long et requière beaucoup d’énergie et d’engagement. Les petites actions de sensibilisation et d’éducation sont efficaces ; mais leur portée est limitée dans une optique de maintien de l’état de mobilisation des citoyens. Sans une petite touche de mystère et de sensation, elles ont un écho limité. C’est à ce moment que doit entrer en jeu l’action non-violente, l’action directe citoyenne, incluant la désobéissance civile.

La préparation et la conduite d’actions directes non-violente doit se positionner au coeur d’une lutte de longue haleine comme celle du climat. Nous devons reconnaître que nous ne savons pas ce qui fera bouger le système politique. Les conjonctures climatiques extrêmes, une très vaste mobilisation populaire ou une profonde transformation des perspectives de la population ; comme ce fut le cas de l’ « Urgence Climatique » ? Qui sait ce qui précipitera le changement ? Par contre nous savons que les choses devront bouger, et que le maintien de l’état d’alerte des citoyens fera en sorte d’accélérer ces changements. Cette réalité impose donc aux militants de maintenir la pression et d’organiser de multiples actions qui seront visibles dans le temps. Un dosage doit se faire en réduisant le nombre de très grandes mobilisations qui demandent énormément de ressources, et une augmentation de petites actions percutantes. Les pires ennemis sont l’indifférence et l’essoufflement.

Extinction Rébellion, une formule gagnante

Le succès mondial de l’approche Extinction Rébellion est impressionnant. Les militants ont eu la judicieuse idée de ne se limiter qu’à relayer le discours scientifique. De surcroit, ils ont affirmés haut et fort le caractère « non-violent » du mouvement et des actions à conduire. L’organisation mise sur une stratégie de communication exceptionnelle arrimant le design graphique, l’humour et des actions scénarisées qui frappent l’imaginaire. La campagne issue de l’Angleterre inspire et elle est difficile à dénigrer par les gouvernements car elle met tout en œuvre pour limiter les violences, et exposer les répressions. Elle est devenue une importante source d’espoir face à la plus que désespérante réalité climatique de notre planète. Elle est l’antidote parfait pour contrer l’éco-anxiété ambiante !

L’idée de base est de lancer des appels à l’action directe citoyenne à intervalles réguliers. Puis, selon la conjoncture des grands événements climatiques, de fournir des consignes d’actions claires, du contenu informatif basé sur la science et du matériel promotionnel générique. La campagne mondiale est au service des militants, et laisse les comités citoyens locaux libres de choisir le moment, le type d’actions et le message spécifique qu’ils véhiculeront. On est dans une campagne mondialisée, qui repose sur la mobilisation de chacune des communautés. On a une campagne qui inspire à l’action, transmet des valeurs et une méthode ; mais laisse chacun agir chez lui !

Avec l’approche Extinction Rébellion, on se retrouve à certains moments avec des séquences de petites actions directes simples conduites par de petits comités citoyens dans un nombre croissant de pays. Ces actions sont visibles, créatives et souvent théâtrales ce qui en accroît d’autant l’impact ! Nous passons de la scénarisation d’une immense « Arche de Noé » ancrée en plein carrefour de Londres, à de multiples actions d’essaimage routier sur de nombreuses routes de Paris ; puis on passe à des Die-in spectaculaire dans des musés, à la neutralisation complète d’usines ou de Centres commerciaux. Bref ! De petits groupes de citoyens passent directement à l’action afin de garder en vie dans l’esprit de tous la nécessité d’agir maintenant sur les enjeux climatiques.

Les actions sont donc simples, spectaculaires et relativement faciles à organiser pour les militants. De plus elles s’inscrivent dans une mouvance mondiale.

Et la désobéissance civile…

Enfreindre la loi n’est qu’une des options offertes aux militants. Le fait d’accepter de confronter l’État dans l’arène légale donne un véritable poids politique aux actions du mouvement. Une action est annoncée. Elle sera donc non-violente ; de plus en plus de dirigeants et de forces de l’ordre le savent ! Mais, est-ce que ce sera une désobéissance civile ? Ainsi les gestes et actions du mouvement attirent inévitablement l’attention et compliquent la tâche des autorités, surtout celle des forces policières. Procéder à l’arrestation d’un petit commando lors d’une action spectaculaire, ça se fait bien. Mais arrêter des individus déterminés par centaines, ce n’est pas une mince affaire. A Londres, on a décidé d’interdire les actions directes de « Extinction Rebellion ».

La désobéissance civile vise donc directement l’État, les politiciens, ceux qui érigent et adoptent les lois. Le message est simple aussi. Si vos lois empêchent les citoyens de faire vivre la démocratie, nous avons le devoir de les enfreindre. La désobéissance civique, ou civilisée, a plusieurs avantages. Outre celui de dramatiser la totalité des actions du mouvement ; elle permet de défier l’État et les politiciens. Elle permet aussi de poursuivre la lutte dans une nouvelle arène, l’arène légale.

Mais surtout, encore plus important, elle permet de tabler sur la jurisprudence pour bousculer les avocats et les juges en ce qui concerne la menace climatique globale. Les citoyens ont-ils pu simplement agir par nécessité ? De façon à éviter à la société de faire face à un plus grand mal ? Le procès des groupes si il est utilisé de façon optimum en mettant en scène les arrivées aux comparutions, et en utilisant des témoins experts sur le climat, devient ainsi un vaste forum organisé par l’état pour faire le procès du climat et de la cause climatique… Rien de moins !

La perturbation, et maintenant !

Certaines actions perturbent peu. D’autres perturberont massivement. Tout est dans le choix tactique des militants locaux. Les actions récentes d’Extinction Rebellion avaient plusieurs buts. En premier lieu, passer un message à la campagne internationale et aux militants du monde qu’en Amérique du Nord, la mouvance de rébellion climatique s’ancrait. En second lieu, les citoyens de la province devaient savoir que le mouvement était actif, et cherchait à mobiliser les gens déterminés à passer à l’action sur l’Urgence Climatique. Le contexte électoral fédéral, suite à la manifestation de 500 000 personnes à Montréal rendait une action d’éclat particulièrement pertinente.

La couverture médiatique favorable ou pas, et l’impact local sur les automobilistes étaient des enjeux bien secondaires. Il est évident que les véritables changements seront précipités par les chocs climatiques (tempêtes, inondation, érosion, canicules, évacuations à cause des brasiers forestiers et autres événements), et non pas par la conversion des réfractaires « voyant finalement la lumière ». Ces actions chocs sont des coups de semonce, elles avisent que de pires perturbations arriveront ; celles-ci probablement en provenance des dérèglements climatiques.

Les militants doivent mettre à jour le profond dilemme social que constitue « le char vs le climat ». Mais toutes les tactiques ne sont pas nécessairement bonnes, et dans une campagne mondiale décentralisée, il y aura des dérapages. On a vu à Londres une petite cellule de militant grimper sur des trains dans une gare bondée afin de nuire au départ. La foule des usagers en rage a fait redescendre les militants, et certains ont violemment été tabassés. Disons que l’approche était loin d’être gagnante.

Une action non-violente ne vise pas à perturber, mais à construire graduellement une force politique afin d’atteindre des objectifs précis. Le mouvement doit se pencher rapidement sur les enjeux de moyens d’actions, de tactiques de lutte et de stratégie. La judiciarisation de la lutte l’imposera si le mouvement veut tirer le maximum des sacrifices acceptés par ses militants. A ce jour, ces aspects ne sont pas clairs.

Ce n’est qu’un début !

Les autorités et sympathisants du statut quo doivent donc se faire à l’idée. Ce mouvement citoyen, malgré d’inévitables « faux pas » est présentement en forte émergence. Ces premières actions ne sont que le début d’une longue séquence, une lutte qui vise à imposer le changement vers une économie sobre en émissions carbone. D’importantes transformations seront requises et vraisemblablement la concession de certains privilèges au bénéfice des générations futures, et une légion de citoyens sont prêts à passer à l’action.

Les organisations citoyennes ont beaucoup appris en ce qui concerne les clés de la mobilisation au cours des récentes décennies. On est loin des mouvements « Occupy » et d’indignés avec l’imposante logistique des camps permanents, des dérapages de violence du mouvement des gilets jaunes et de la mouvance anarchiste de lutte des années altermondialistes. La mécanique des pouvoirs politique est de mieux en mieux intégrée et comprise.

Et que dire de l’hystérie médiatique qui pousse à la dramatisation des conséquences des gestes posés ? Bien….Rien ? Nous n’avons qu’à constater que ces médias carburent aux revenus d’annonces de VUS et de concessionnaires automobiles pour comprendre l’intensité de leur valeureux sentiments d’indignation.

Tous devraient constater qu’une redoutable force citoyenne est en émergence. Cette force redéfinit présentement les assises de nos démocraties. Le passage de la démocratie du « scrutin périodique » tenu aux quatre ou cinq ans, vers une démocratie en continu guidée par l’action directe citoyenne au quotidien et les mouvements sociaux serait-il en voie de s’enraciner ?

Si c’est le cas, la menace climatique advenant que nous relevions l’immense défi de la sortie du carbone, aura été une bénédiction !

Normand Beaudet

L’auteur est fondateur du Centre de ressources sur la non-violence et
propriétaire d’une entreprise de consultation en informatique.

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