« Pouvons-nous considérer que le texte de négociation (http://unfccc.int/files/bodies/awg/application/pdf/negotiating_text_12022015@2200.pdf) que vous avez livré aujourd’hui à Genève est celui sur lequel nous entamerons des négociations substantielles ? » Il est 15 h, vendredi, dans l’immense salle de l’Assemblée du Palais des Nations à Genève. Personne ne bouge du côté des négociateurs des 195 États-parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Daniel Reifsnyder, co-président états-uniens des débats, met fin au (faux) suspense d’un coup de marteau définitif : « N’entendant aucune objection, il en est ainsi décidé ! »
La conférence de Genève, qui s’est déroulée du dimanche 8 au vendredi 13 février, a rempli sa mission. Les négociateurs se sont mis d’accord sur un brouillon qui contient tous les éléments du futur accord de Paris, promis pour la COP21 en décembre prochain. Objectif, limiter à 2°C le réchauffement de la planète, et aider les pays en développement à s’adapter aux bouleversements climatiques.
Un bébé obèse : 86 pages au lieu de 30...
Mais ce premier rendez-vous de l’année a accouché d’un bébé beaucoup plus gros que prévu : quatre-vingt six pages, au lieu de la trentaine espérée. Le texte qui a servi de base de travail aux négociateurs est « L’Appel de Lima pour une action climatique », adopté à l’issue de la COP20 au Pérou en décembre 2014. Les délégations devaient commencer à le simplifier et à le clarifier en cette semaine de février.
Finalement, le processus inverse s’est produit. Chaque État a pu rajouter à l’ébauche de Lima toutes les propositions qui lui tenaient à cœur sur les objectifs de l’accord, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation au changement climatique, les modes de financement... sans les expliquer, ni les négocier. Le texte final a le mérite d’être exhaustif, en ce qu’il reflète toutes les positions des parties. Mais il ressemble aussi à « une shopping-list où se côtoient des paragraphes antagonistes et les doublons », analyse Pierre Radanne, président de l’association 4D (Dossiers et débats pour le développement durable). « Rien n’a été retiré ou regroupé. Les discussions sur le fond ne commenceront qu’à Bonn. »
Un fouillis sans idées nouvelles
Difficile d’y voir clair dans un tel fouillis. « Aucune idée nouvelle n’a véritablement émergé, en dépit de rajouts intéressants sur les droits humains et la sécurité alimentaire, observe Célia Gautier du Réseau Action Climat (Rac). Un débat s’annonce aussi sur les objectifs de long terme de l’accord : certains pays veulent qu’on se fixe des objectifs qui dépassent largement l’année 2030, que les combustibles fossiles soient rapidement abandonnés, d’autres ne veulent pas en entendre parler. »
Des point de convergence émergent tout de même, fragiles. « Tout le monde semble d’accord sur le fait que chaque État devra rendre une contribution nationale, et que ces dernières devraient être révisées régulièrement, remarque Céline Ramstein, chef de projet à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Mais aucun arbitrage n’a encore été conclu. »
« Nous avons manqué une occasion d’aborder les questions de fond »
L’exercice n’a pas convaincu la délégation de l’Union européenne (UE), qui confie son « sentiment de frustration ». « Il reste dix mois à peine avant la COP de Paris et nous avons encore énormément de travail. Nous avions pour objectif d’adopter un texte d’une quarantaine de pages et il a plus que doublé. Nous avons aussi manqué une occasion d’aborder les questions de fond, déplore Ilze Pruse, chef de la délégation lettone à l’UE. Il est impératif de réduire le nombre d’options sur la table. »
Sa binôme Élina Bardram, chef de la délégation de la Commission européenne, nuance le propos : « La réunion de Genève est importante, en tant qu’étape pour sécuriser les États-membres. » Une analyse partagée par la quasi-totalité des participants, qui saluent « l’esprit de Genève » et le retour de la confiance entre les États. « C’est un tournant extraordinaire dans la manière de travailler ensemble, va jusqu’à déclarer le co-président algérien Ahmed Djoghlaf, en français et avec une certaine émotion, lors de la plénière de clôture. Nous avons confiance, nous serons en mesure d’écrire la nouvelle page de notre histoire commune. »
Confiance, conciliabules et cafés
Comment expliquer que la conférence de Genève laisse une impression si positive, alors qu’elle n’a pas permis d’avancer dans le nettoyage du texte ? Parce que, pendant ce round d’observation, « les négociateurs ont la possibilité d’exprimer leurs positions et de comprendre les difficultés des uns et des autres, sans pression », estime Teresa Ribera, directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Le bar Serpent, vaste espace composé de moquettes et de fauteuils confortables éclairé par une immense baie vitrée, témoigne de cet état d’esprit. Les délégués circulent entre les tables, se saluent avec chaleur et tiennent leurs conciliabules à voie basse. « Comme il ne se passe pas grand-chose, ils prennent des cafés et discutent, s’amuse Alix Mazounie, du Rac. Dans ce cadre informel, de nouvelles idées surgissent. »
C’est l’occasion aussi de faire connaissance avec les coprésidents, Daniel Reifsnyder et Ahmed Djoghlaf, fraîchement désignés. « Les deux nouveaux co-présidents ont hésité à se lancer dans la rationalisation du texte, ils ont senti que les négociateurs n’étaient pas prêts alors ils n’y sont pas allés, décrypte Céline Ramstein, chef de projet à l’Iddri. En prenant cette décision, ils ont réussi leur examen de passage et ont été acceptés. S’ils avaient tenté de passer en force, cela aurait pu très mal se passer. La confiance est un ingrédient crucial des négociations. »
Le spectre de Copenhague
Ce n’est pas Tosi Mpanu-Mpanu, expert en développement durable et finance climatique et délégué de la République démocratique du Congo, qui la détrompera. « J’ai pitié des traducteurs quand je pense aux quatre-vingt-six pages ! Mais la confiance était tellement émoussée depuis Copenhague que le texte devait être retravaillé par les États eux-mêmes, en toute transparence. L’an dernier, nous avions laissé les anciens co-présidents préparer le brouillon sans nous, et certains ne se reconnaissaient plus dans le résultat. »
Les quatre-vingt-six pages de Genève ne seront pas retravaillées avant les négociations de Bonn, en juin, où elles devraient commencer leur cure d’amaigrissement. Mais d’ici-là, la route est longue et il ne faut pas perdre de temps. « Il reste beaucoup de travail, admet Laurence Tubiana, ambassadrice de la France pour les négociations climatiques. Deux consultations informelles auront lieu en mars et en mai à Paris et à Lima. De nombreux meetings régionaux sont prévus en Afrique, en Amérique du Sud et en Méditerranée. La première chose à faire sera de voir si les pays peuvent regrouper leurs propositions. Fin juin, le texte ne devra plus présenter que de grandes options. » Les premières contributions nationales, Union européenne en tête, auront à ce moment été dévoilées et susciteront des réactions.
Mission impossible, nouveau désastre type Copenhague à l’horizon ? Tout est fait pour l’éviter. Les négociateurs se sont mis d’accord sur deux sessions de négociation supplémentaires, du 31 août au 4 septembre et du 19 au 23 octobre à Bonn, pour se donner les moyens d’être fin prêts à Paris. « Cela nous coûtera 5,8 millions de dollars, a malicieusement souligné Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la CCNUCC. Nous en appelons à votre contribution ! » Quant à Laurence Tubiana, elle refuse d’envisager la possibilité d’un nouvel échec : « Certes, les négociations vont être difficiles. Les principaux points d’achoppement, différenciation, finance, sont toujours là. Mais aujourd’hui, les gens veulent en finir. Mais à nous de faire monter la pression politique pour que les négociateurs accélèrent. »