Édition du 12 novembre 2024

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2015 : année de toutes les possibilités

Vendredi le 6 mars, une centaine de personnes se sont réunies dans une classe de l’UQAM à l’invitation du Réseau écosocialiste pour discuter des perspectives politiques pour les partis de la gauche dite « radicale », en Europe et ici, à la suite de l’élection du gouvernement Syriza en Grèce. Pouvons-nous compter sur un « effet domino » et une série de victoires, en commençant par celle de Podemos en Espagne ? Est-ce le début de la fin de l’Europe de l’austérité ? Est-ce que, au contraire, les difficultés rencontrées par le nouveau gouvernement grec vont jeter une douche froide sur le reste de l’Europe et démontrer que l’optimisme de cette nouvelle gauche était mal placé ?

Cet article a été écrit par Benoit Renaud

Afin d’alimenter cette discussion, le Réseau avait invité quatre personnes représentant autant de partis politiques, tous assez différents les uns des autres, mais ayant en commun le rejet des politiques d’austérité et des racines profondes dans les luttes sociales. La question des rapports entre les mouvements sociaux et la politique partisane ainsi que les enjeux du fonctionnement démocratique interne et des stratégies pour ce type de parti ont été soulevés lors de l’assemblée.

Espagne

Ignacio Hermoso de Mendoza a d’abord présenté le parti Podemos, fondé il y a à peine un an en Espagne. Deux mois plus tard, en mai 2014, il obtenait déjà 8% des voix lors des élections européennes. Il est maintenant en première place dans les sondages et espère remporter des victoires lors des élections régionales et municipales prévues en mars et en mai de cette année, puis faire l’histoire en s’emparant du gouvernement du pays en novembre.

Il nous a expliqué que le succès de son parti est dû à l’impact majeur de la crise économique depuis 2008, qui a fait monter le taux de chômage à 25% et provoqué la mobilisation massive des Indignados en 2012. Aussi, les partis politiques traditionnels de gouvernement en Espagne sont notoirement corrompus et mènent essentiellement la même politique, qu’il s’agisse des sociaux-démocrates ou des conservateurs. Il n’est donc pas étonnant que pour Podemos, la distinction entre la gauche et la droite ne fasse plus partie de leur vocabulaire. Leur approche consiste à rassembler les gens ordinaire, d’en bas, contre les élites économiques et politiques, d’en haut, responsables de la crise.

Son parti propose de redistribuer la richesse et de mieux financer les programmes sociaux par une réforme fiscale (incluant l’abolition des privilèges de l’église catholique) et un audit sur la dette permettant d’en répudier une partie. Podemos s’est également prononcé, à la suite d’un processus d’élaboration de programme ouvert et participatif, en faveur de droits égaux pour les LGBT, pour l’égalité hommes-femmes, pour l’écologie et pour le droit à l’autodétermination des nations qui composent présentement l’État espagnol.

Portugal

Niall Clapham-Ricardo a ensuite pris la parole pour présenter le Bloco de Esquerda (Bloc de gauche), une coalition de diverses forces de gauche au Portugal. Ce parti a été fondé en 1999 par la convergence de plusieurs petits partis mais compte aujourd’hui aussi beaucoup de membres ayant directement adhéré au Bloc plutôt qu’à une de ses composantes. Ses résultats électoraux modestes (jusqu’à 10% des voix) se comparent à ceux qu’obtenait Syriza il n’y a pas si longtemps !
À noter, comme pour Québec solidaire, la gauche féministe est une composante importante du parti. Un regroupement de féministes s’était constitué lors d’un premier référendum pour le droit à l’avortement quand le parti socialiste avait décidé de rester neutre. Ils font aussi de la lutte pour les droits des sans-papiers une priorité dans un pays où le racisme ordinaire n’a pas encore donné naissance à une extrême-droite menaçante comme ailleurs en Europe mais n’en est pas moins un problème majeur.

France

Philippe Molitor représentait le Parti de gauche, une formation récente formée en 2009 à la suite du départ du Parti socialiste de plusieurs militantes et militants dont Jean-Luc Mélenchon, qui était leur candidat aux dernières élections présidentielles. Avec le Parti communiste et quelques autres petites formations, il constitue le Front de gauche, une coalition électorale plus vaste. Plusieurs militantes et militants de ces courants politiques sont également impliqués dans un mouvement non partisan en faveur d’une 6e république, incluant le projet d’une assemblée constituante.
Le programme du Parti de gauche est explicitement écosocialiste et celui du Front de gauche en opposition avec les politiques économiques libérales. Pour lui, l’élection de Syriza offre une opportunité de refonder l’Europe sur des bases sociales et démocratiques. Il est bon de se rappeler que le traité constitutionnel européen a été ratifié malgré une victoire du Non lors du référendum français.

Il a remarqué que la victoire de Syriza a été rendue possible par l’effondrement de la social-démocratie du PASOK, dans un pays où le taux de chômage est à 25%. En France, avec 10% de chômage et un PS qui s’accroche à une portion de l’électorat notamment grâce au mode de scrutin à deux tours et à des tractations diverses au niveau local, le défi est différent.

On lui a demandé comment il expliquait que le Front national soit le premier parti en France, et non une nouvelle formation de gauche comme Syriza. Selon lui, une partie de l’explication tient dans l’association de forces de gauche comme le PC ou le Parti de gauche avec le Parti socialiste à cause de leur participation à divers gouvernements, que ce soit celui de Jospin dans les années 1990 ou diverses administrations régionales et locales. Le FN bénéficie de la perception d’être un parti en dehors des réseaux de pouvoir établis.

Québec

C’est Manon Massé, députés de Sainte-Marie-Saint-Jacques depuis avril dernier, qui représentait Québec solidaire. À la suite des présentations des trois autres panélistes sur les origines et les caractéristiques de leurs partis respectifs, elle a fait ressortir trois spécificités de la gauche québécoise et de Québec solidaire : la force des mouvements sociaux, la question nationale et l’importance du mouvement féministe.

En effet, l’histoire de Québec solidaire est celle des mouvements de lutte contre ce que nous appelons aujourd’hui les politiques d’austérité. Elle nous a rappelé à quel point les discours tenus par les membres du gouvernement péquiste de Bouchard en 1996 étaient identiques à ceux que tiennent aujourd’hui les ministres libéraux. Et c’est contre cette politique du déficit zéro que le mouvement des femmes, le mouvement communautaire et le mouvement étudiant s’étaient mobilisés en 1996 à l’époque des Sommets. Elle nous a invités à « contaminer » les esprits avec nos idées de la même manière que nos adversaires ont infecté les consciences avec les slogans creux du libéralisme économique.

Du côté du mouvement des femmes, la députée solidaire a souligné à quel point les politiques d’austérité, maintenant comme il y a vingt ans, affectent plus durement les femmes, car ce sont elles qui occupent la majorité des emplois dans les services publics et que ce sont encore elles qui se retrouveront avec une plus lourde tâche de travail informel et non reconnu en raison des réductions de services. Pour elle, il ne peut pas y avoir de libération des peuples sans libération des femmes et sans une transformation socialiste de l’économie. Toutes ces luttes sont indissociables.

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