Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

11 mars 2011-2016 : Cinq ans après Fukushima les villes fantômes du Japon

Le nord-est ravagé par le séisme, le tsunami et la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011 se reconstruit difficilement et compte encore 174 000 personnes hébergées dans des logements provisoires.

« J’ai couru 40 minutes ce matin. J’ai longé l’océan. Il y avait du vent. Le ciel changeait vite. C’était beau. » Marathonien par passion, Katsunobu Sakurai est aussi maire de Minamisoma, ville du département de Fukushima dans le nord-est du Japon. Cet homme à la voix douce mène sa ville par amour d’une terre qui l’a vu naître en 1956, comme ses parents éleveurs de bovins et cultivateurs de riz, et comme tous les Sakurai du lieu depuis « 15 à 20 générations ».

A l’ouest, Minamisoma est dominé par le mont Kunimi. A l’est, c’est l’immensité du Pacifique. Le 11 mars 2011, la bonhomie de cette ville rurale, vivant de l’agriculture et de la production de pièces détachées d’automobile, s’est perdue dans le séisme, le tsunami et la catastrophe nucléaire qui ont ravagé le Tohoku, le nord-est du Japon, faisant 15 893 morts et 2 565 disparus.

Minamisoma a perdu 650 de ses habitants. Sa côte a été ravagée par le tsunami. La fusion des trois cœurs de la centrale installée au sud de la ville et les rejets massifs de substances radioactives ont contraint les autorités à évacuer les habitants dans un rayon de 20 kilomètres autour du site. Le sud de Minamisoma en faisait partie. A l’époque, la peur avait précipité des milliers d’habitants sur les routes. La population de la ville avait plongé de 71 000 à 10 000 âmes.

Cinq ans après, elle s’établit à 55 000, dont 4 000, souvent âgées et désœuvrées, habitent dans des « kasetsu jutaku », des logements provisoires installés à la hâte à l’été 2011, trop petits et mal isolés. Et pourtant, M. Sakurai rêve de faire de sa ville « un nouveau paradis ». Louable ambition, mais aujourd’hui, malgré les efforts, Minamisoma concentre les problèmes, psychologiques et matériels, des zones sinistrées.

Il faut arpenter les rues désertes d’Odaka pour mesurer l’ampleur du défi. Ce bourg occupe le sud de Minamisoma, dans la zone des 20 kilomètres. Ses 13 000 habitants ont dû partir. Comme une centaine d’autres villes, dont la moitié dans le département de Fukushima, Odaka fait l’objet d’une importante opération de décontamination. Les arbres ont été élagués, 5 centimètres d’épaisseur de sol ont été retirés et les bâtiments ont été passés au Kärcher, avec pour objectif de réduire l’exposition externe annuelle des lieux traités à 1 millisievert (1 msv) – la limite maximale autorisée sur un an.

L’opération a déjà coûté à Minamisoma 400 milliards de yens (3,2 milliards d’euros). Elle devrait se terminer d’ici deux ans, malgré les retards dus à la difficulté à trouver des sites de stockage des sacs plein des détritus qui, au total, devraient atteindre 29 millions de tonnes.

La décontamination a permis d’assouplir l’accès à Odaka. Les gens ont le droit d’y passer la nuit s’ils veulent récupérer des affaires ou ranger leur maison. Dans les faits, une certaine tolérance prévaut, et un peu plus de 1 000 personnes, essentiellement âgées, sont revenues y vivre. « Tous les services publics sont restaurés et sont gratuits à Odaka », souligne le maire. Mais les magasins restent fermés et, le soir tombant, les rues désertes donnent l’impression d’une ville fantôme.

Les sacs des déchets contaminés sont entreposés dans des sites de stockage provisoire en attendant la création d’un site d’enfouissement définitif que le gouvernement n’a pas encore choisi.

« Défi passionnant »

Natif du lieu, Tomoyuki Wada veut croire à la résurrection de sa ville. Cet ingénieur informatique dans la trentaine a créé une « Odaka Worker’s Base » pour « aider tous ceux qui veulent développer une activité ici ». Son centre aux allures de boutique se dresse face à la gare refaite à neuf mais vide, le trafic ferroviaire n’ayant pas été relancé. Il offre un accès gratuit à Internet et abrite un atelier de fabrication d’accessoires de mode en verre, parrainé par le joaillier tokyoïte Hario LWF. Sa société gère également une supérette, aujourd’hui seul magasin actif d’Odaka. « Ce point de vente attire 200 clients par jour, majoritairement des ouvriers de la décontamination. »

Karin Taira, âgée également d’une trentaine d’années, a quitté son emploi à Japan Platform, une agence semi-publique d’aide aux ONG, pour aider M. Wada. « J’ai trouvé le défi passionnant », avoue-t-elle. Sa présence intrigue. La plupart des jeunes femmes fuient Fukushima par crainte des radiations, ce qui « nuit à l’équilibre de la population, déplore le médecin Tomoyoshi Oikawa, de l’hôpital général de Minamisoma. Cela perturbe même le fonctionnement de l’hôpital, car beaucoup d’infirmières refusent de venir travailler ici ».

Karin Taira ne s’inquiète pas. « Cela aurait été à Namie ou Futaba [villes plus proches de la centrale, totalement interdites d’accès], je ne l’aurais pas fait », nuance-t-elle. Tomoyuki Wada non plus ne se fait guère de souci. « Ma femme et mes enfants reviendront quand l’école rouvrira », précise-t-il. Ils vivent aujourd’hui à Aizuwakamatsu, 150 kilomètres plus à l’ouest.

Les progrès restent conditionnés à la levée définitive de l’interdiction d’accès à Odaka.Le gouvernement devait le décider en avril, comme il l’a fait depuis 2014 pour d’autres villes de la zone des 20kilomètres. Mais les habitants craignent de perdre les aides versées et ils s’inquiètent aussi de la radioactivité dans ces zones.

Les doutes alimentent le désarroi persistant des populations. Le docteur Oikawa a constaté une multiplication des cas de troubles de stress post-traumatique. En cause, selon lui, « le tsunami, mais surtout l’évacuation ». Il déplore également une hausse des dépressions et des problèmes d’obésité dans une population d’agriculteurs« aujourd’hui prisonnière de logements provisoires où elle se morfond ».

« Il y a des tensions entre les gens, regrette-t-il par ailleurs, notamment sur les différences de dédommagement. » Les habitants de la zone des 20 kilomètres reçoivent toujours 100 000 yens (800 euros) par personne et par mois de Tepco, la compagnie d’électricité de Tokyo responsable de Fukushima. Ceux de la zone entre 20 et 30 kilomètres ont été dédommagés pendant six mois. Les autres n’ont rien. La présence à Minamisoma de 8 000 travailleurs de la décontamination est également source de conflits.

Situation désespérante

« L’amertume est trop pesante », regrette Tokuun Tanaka, prêtre du temple bouddhiste Doukeiji perché sur une hauteur, au milieu de cryptomérias centenaires et des tombes de samouraïs qui ont fait la renommée de la région, mais qui se situent dans la zone des 20 kilomètres. Le problème vient de « la destruction des communautés. Ici, beaucoup de petits festivals ne sont plus fêtés. Je ressens profondément ce qui a été perdu », confie M. Tanaka.

Le prête Tokuun Tanaka dirige le temple bouddhiste Doukeiji à Odaka. « Le problème est la destruction des communautés. Ici, beaucoup de festivals ne sont plus fetés. Je ressens profondement ce qui a été perdu ».

D’après l’agence de la reconstruction, 3 407 rescapés de la triple catastrophe sont décédés des conséquences psychologiques du drame, dans l’ensemble du Tohoku, entre mars 2011 et la fin septembre 2015 ; 58 % de ces victimes proviennent du département de Fukushima.

L’ensemble des zones sinistrées comptent encore 174 000 personnes toujours dans des logements provisoires. A Ishinomaki, à une centaine de kilomètres au nord de Minamisoma, le tsunami a fait 4 600 morts et disparus, et détruit 46 % de la ville. Les bâtiments toujours debout se dressent esseulés au milieu des silhouettes de ceux que la vague a emportés. Des statues bigarrées de personnages de manga colorent timidement la ville, rappelant qu’Ishinomaki abrite un musée dédié à cet art.

La loi interdit désormais d’habiter dans les zones détruites par le tsunami. Elle y autorise uniquement les activités commerciales, les usines ou les magasins. Les habitants sont en passe d’être relogés dans une vaste zone résidentielle à l’intérieur des terres, autour d’un immense centre commercial Aeon. De quoi inquiéter les commerçants de l’ancien centre-ville, aujourd’hui installés dans des préfabriqués à deux pas de la mairie, derrière une palissade ornée de quelques fresques naïves déjà défraîchies.

Hidehiro Sato dirige la communauté. Installé dans un bric-à-brac mêlant platine 33 tours, disques de jazz ou encore dessins de la fameuse Jeep Willys américaine, réalisés par son père, ce propriétaire du magasin d’électronique Panacc détruit par le tsunami juge la situation désespérante. Il ne sait pas s’il doit réintégrer son ancien magasin ou s’il doit se rapprocher des nouvelles zones résidentielles. Dans les deux cas, les perspectives ne sont pas bonnes. Il a jusqu’à la fin octobre, date de sa réinstallation, pour se décider. « Enfin ! », estime-t-il toutefois, le déménagement ayant été plusieurs fois reporté.

De fait, l’explosion des coûts des matières premières pour la construction et la pénurie de main-d’œuvre retardent les travaux. Les prix de l’immobilier explosent. « Le prix du tsubo [3,3 m2, mesure de base de l’immobilier au Japon] a quasiment triplé à 130 000 yens [1 043 euros] », s’indigne Shinichiro Raku, agriculteur d’un logement provisoire de Minamisoma.

D’après l’agence de la reconstruction, la moitié environ des nouveaux logements étaient bâtis en mars 2016, et l’objectif reste de finir la réinstallation des évacués en mars 2019. Or beaucoup de logements neufs ne trouvent pas preneurs pour des raisons financières.

Ententes illégales

Quel avenir économique pour la région ? « Les progrès sont réels et se poursuivent sans relâche », affirme le ministre de la reconstruction, Tsuyoshi Takagi. D’après les chiffres officiels, les infrastructures sont quasiment terminées, de même que 90 % des écoles et des établissements médicaux. L’essentiel des travaux devrait être fini d’ici à 2020.

Pour l’instant, le Tohoku reste un vaste chantier, même si la bulle n’exclut pas des dérives. En janvier, les sièges des géants de la construction Maeda Road, Nippon Road ou encore Taisei Rotec ont été perquisitionnés pour des soupçons d’ententes illégales sur les travaux routiers du Tohoku. « Les géants de la construction touchent l’argent de la reconstruction, qui finit dans leurs coffres à Tokyo », regrette M. Sakurai, le maire de Minamisoma.

Une fois la reconstruction terminée, les milliers d’ouvriers et de techniciens partiront pour de nouveaux grands projets, sans doute les Jeux olympiques de Tokyo de 2020. Quelle activité prendra le relais ? Le gouvernement accorde des aides pour faciliter l’installation des entreprises. Mais le coût devenu exorbitant des terrains et des travaux reste dissuasif. En outre, les jeunes désertent une région qui connaissait déjà un vieillissement accéléré avant la catastrophe. « A Ishinomaki, note Hiroyuki Takeuchi, rédacteur en chef du quotidien local Ishinomaki Hibi, 25 % de la population avait plus de 65 ans avant 2011. Aujourd’hui, la part est de 30 %. »

Les activités traditionnelles, liées à la pêche ou l’agriculture, peinent à redémarrer. Certaines municipalités tablent sur de grands projets. Kamaishi, dans le département d’Iwate, plus au nord, fait partie des villes hôtes de la Coupe du monde de rugby de 2019. Un stade doit y être construit.

Toutes les villes n’ont pas les mêmes possibilités. « Le problème est très lié à l’image, souligne Satoru Iioka, dirigeant d’entreprise de Sendai, la capitale économique du Tohoku. Pour les départements de Miyagi et Iwate, il y a de l’espoir, mais Fukushima reste assimilé à la centrale et à la catastrophe nucléaire. La relance économique s’annonce encore plus difficile. »

* http://www.lemonde.fr/planete/visuel/2016/03/11/cinq-ans-apres-fukushima-les-villes-fantomes-du-japon_4880967_3244.html

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