Sur les 229 puits que compte le complexe d’Aliso Canyon, le puits SS-25 fuit depuis plusieurs mois à hauteur de 1 200 tonnes de gaz par jour (soit 1,8 million de m3). Cette fuite correspond à 11 % de la consommation québécoise de gaz naturel. Si la compagnie réussit à colmater la fuite à la fin mars comme prévu, c’est plus de 10 % du gaz présent dans le réservoir souterrain qui aura été perdu, et la quantité de GES libérée dans l’atmosphère sera de l’ordre de 6 mégatonnes d’équivalents CO2. Ces 6 mégatonnes équivalent aux émissions de 3 millions de voitures à essence ayant roulé chacune 10 000 km. Sur le bilan annuel des GES de l’industrie du gaz et du pétrole en Californie, c’est un bond à la hausse de 30 % qui est attendu. Sur un horizon plus court que 100 ans, 30 ans par exemple, l’impact climatique de cette fuite de méthane, principal constituant du gaz naturel est encore bien plus grand.
Mais trêve de chiffres, sur le plan humain, ce sont des milliers de familles qui sont forcées de quitter leur domicile. Des centaines de personnes ont été affligées de maux de tête, de nausées, de saignements de nez et d’irritations diverses. Plusieurs recours légaux visant les inconvénients causés par cette fuite ont été entrepris par des résidents qui n’ont pas l’heur de fêter en ce début de nouvelle année.
Ce « Deep Water Horizon », version « terre » et « gaz », fournit déjà de nombreuses leçons. Parmi celles-ci, mentionnons :1) qu’un puits avec des enveloppes de 5, 7 et 12 pouces de diamètre et datant de 1953 peut constituer une voie de sortie préférentielle pour un gaz que l’on a mis sous terre ; 2) que l’enlèvement d’un dispositif de sécurité en 1979 pourrait être la cause de ce désastre (des pièces n’étaient plus disponibles a-t-on pu lire) ; 3) que cela aurait pu arriver sur un autre puits puisque l’âge médian des puits du complexe est de 57 ans et qu’ils sont assez semblables en termes de construction ; 4) que le colmatage d’un puits de gaz peut prendre des mois (la fuite a été détectée le 23 octobre) ; 5) qu’il n’est pas raisonnable de construire des développements domiciliaires à proximité et a fortiori au-dessus d’un réservoir de gaz naturel ; 6) qu’un gaz incolore et en principe non toxique peut causer des ennuis de santé à plusieurs kilomètres de distance ; enfin, 7) que la conversion de centrales du charbon au gaz naturel peut se révéler un coup d’épée dans l’eau sur le plan de la lutte aux changements climatiques, par la faute d’un seul puits de gaz naturel qui fuit.
Impossible de vivre cela au Québec ? Comme Los Angeles, Trois-Rivières et St-Flavien recèlent aussi des réservoirs souterrains. Celui de Trois-Rivières, le plus petit, a une capacité de 70 millions de mètres cubes sur lequel sont construites plusieurs propriétés, et l’autoroute 40 passe au-dessus de ce réservoir de gaz naturel, entre les kilomètres 187 et 189. On ne connait pas le nombre de puits accédant à ce réservoir mais on peut l’estimer à plus de 80. La moyenne d’âge de ces puits ? 53 ans… Leur diamètre ? Entre 4 et 11 pouces… Alors ? Impossible, vraiment ?... Et qui ne se souvient pas de l’incendie mortel de Pointe-du-Lac le 14 janvier 2005, incendie causé par une fuite de gaz ? Le gaz… une autre énergie fossile dont il faut rapidement se débarrasser si l’on ne veut pas disparaître nous-mêmes ; Paris ou non, gaz de schiste ou non…
Marc Brullemans, biophysicien
Trois-Rivières, le 3 janvier 2016