Édition du 10 décembre 2024

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Monde du travail et syndicalisme

Vertbaudet : la lutte féministe paie !

Après deux mois et demi de grève, les 72 salariées de Vertbaudet ont obtenu gain de cause vendredi 2 juin 2023, en décrochant une augmentation salariale non négligeable (de 90 à 140 euros mensuels, selon l’ancienneté) et l’embauche en CDI de 30 intérimaires, le tout assorti de l’engagement qu’il n’y aurait aucune sanction disciplinaire à l’encontre des grévistes.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/07/01/vertbaudet-la-lutte-feministe-paie/

Cette lutte de femmes dans une entreprise de prêt-à-porter pour enfants a été exemplaire, au même titre de celle des femmes de chambres de l’hôtel Ibis en 2021. Elle a suscité de nombreux soutiens politiques et syndicaux, et a défrayé la chronique comme le rappelait Sandrine Foulon.

Cette grève est partie des préparatrices de commande, qui embauchent dès 4 heures 45 le matin, effectuent entre 15 et 25 kilomètres par jour pour un salaire qui, même avec vingt ans d’ancienneté, reste au niveau du Smic (aux alentours de 1 300 euros). Un tiers d’entre elles (sur 200 à 250 préparatrices) a tenu bon et a porté ce mouvement inédit chez Vertbaudet, en faisant grève pour la première fois de leur vie.

Au départ, les dernières négociations annuelles obligatoires prévoyaient seulement une prime de 650 euros pour un temps plein. Alors que de nombreuses préparatrices sont à temps partiel.

Surtout, l’accord signé par FO et la CFTC (implantés chez les agents et de maîtrise et cadres) ne prévoyait aucune hausse générale des salaires, malgré l’inflation. Or comme témoigne l’une des déléguées CGT du site dans le Monde, « les primes ça ne paie pas la retraite (…) Moi, mon salaire n’est pas indexé sur l’inflation (…) Après 23 ans chez Vertbaudet, je suis payée comme si je venais d’arriver ».

« Mépris de classe et sexisme »

Par ailleurs, ces ouvrières dénoncent des conditions de travail indignes, la plupart souffrant de troubles musculo-squelettiques mais aussi de brimades et de propos sexistes du nouveau directeur du site.

Sophie Binet, la nouvelle secrétaire de la CGT, venue sur le piquet de grève le 21 avril, a rappelé à quel point ce combat était emblématique pour la situation de millions de femmes, « scotchées à un plancher collant », avec des emplois précaires, des horaires impossibles et une dévalorisation de leurs métiers qui sont féminisés : « vous représentez le cumul du mépris de classe et du sexisme ».

Cette lutte est aussi exemplaire par la force de la mobilisation, qui a été émaillée de violences : la Préfecture a envoyé la police évacuer par la force le piquet de grève le 16 mai 2023. Deux personnes ont fini en garde à vue, une gréviste a été violentée et six salariées ont été convoquées par leur direction pour un entretien préalable avant licenciement. Sans parler de l’agression d’un délégué syndical devant sa maison…

La mobilisation de la CGT a aussi été forte pour lui donner un caractère national. Dans une Tribune au Monde, signée par une centaine de féministes, et relayée par plus de 48 500 personnes, le gouvernement a été interpellé :

« On ne peut pas à longueur de journée déplorer les écarts de salaires entre les femmes et les hommes et, quand des femmes luttent pour gagner une revalorisation de leurs salaires, être aux abonnés absents. On ne peut pas appeler aux employeurs pour qu’ils augmentent les salaires et, quand les salariés sont en grève, envoyer les forces de l’ordre pour casser leur piquet de grève ».

Une lutte féministe

Cette lutte de femmes a forcément une portée féministe. En effet, leur grève rappelle l’importance pour ces femmes d’avoir un salaire permettant une vraie indépendance économique. Comment faire des choix de vie, quitter éventuellement un conjoint, et élever des enfants sans revenu décent ? Car bon nombre d’entre elles sont des mères isolées, et on sait que même en couple, c’est sur elles que repose la gestion du ménage…

Surtout, c’est parce que leur travail n’est pas reconnu à part entière qu’elles sont systématiquement dévalorisées. La division sexuée du travail persiste. C’est ce que rappelle l’historienne Fanny Gallot dans Médiapart :

« Dans ces métiers, l’organisation du travail se fonde sur l’idée que les femmes n’ont pas de compétences, que faire preuve de minutie est naturel et n’est que le prolongement de leur rôle de mère ».

C’est aussi ce que l’on relève pour la plupart des métiers féminisés, notamment ceux qui sont restés mobilisés pendant la crise covid, et qui se mobilisent régulièrement, comme les infirmières et plus récemment les agentes des écoles maternelles (Atsem) ou les accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH).

Non seulement ces métiers ne sont pas reconnus à leur juste qualification et sont sous-rémunérés, non seulement les conditions de travail dégradées offrent peu de compensation et s’accompagnent souvent de précarité et de temps partiel imposés, mais en plus les évolutions de carrière y sont très faibles.

Tout se passe comme si la carrière, c’était pour les hommes seulement – ce qui explique qu’encore aujourd’hui 59% des smicards sont des smicardes. D’où le refus parfaitement justifié d’une simple prime et l’exigence d’une vraie revalorisation salariale. Les ouvrières de Vertbaudet l’ont obtenue. Qui seront les suivantes ?

Rachel Silvera

https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/vertbaudet-lutte-feministe-paie/00107314

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