La coalition de forces sociales, de mouvements de contestation, de groupes d’intérêt et de courants d’idée constitue en fait des avenues beaucoup plus prometteuses que les tractations partisanes plus ou moins claires au niveau des principes et les calculs bassement électoraux. Parmi ces possibilités, celle d’une grande alliance postcoloniale entre le mouvement indépendantiste québécois, les lutte des Premières nations pour l’autonomie, et le combat antiraciste, constitue un axe à considérer sérieusement. Et seul Québec solidaire, dans le paysage politique québécois actuel, peut servir de point de ralliement pour cette autre convergence, à condition d’en faire une priorité.
La première perte qualitative subie par le mouvement indépendantiste lors de son rassemblement (pour l’essentiel) au sein du Parti québécois à la fin des années 1960, fut l’abandon des idées inspirées des combats de la décolonisation. Dans le but de gagner la neutralité, voir la bienveillance, du géant étasunien, et de faire disparaître tout soupçon de radicalité, la direction du PQ a laissé tomber les notions d’oppression et de libération nationales pour leur substituer l’idée en apparence inoffensive du transfert négocié de responsabilités d’une monarchie constitutionnelle d’inspiration britannique à une autre, d’Ottawa vers Québec.
En plus de transférer le cœur de la lutte indépendantiste du peuple vers ses représentants, en fait vers le bureau du Premier ministre provincial, cette concession à l’idéologie impérialiste canadienne a rendu moins probable une convergence d’intérêts avec les peuples autochtones, colonisés, bien plus brutalement, par les mêmes institutions. Au lieu d’une solidarité entre des nations dominées, on érigea en principe indiscutable l’idée de l’intégrité du territoire de la province de Québec (tel que défini par Londres en 1927), permettant alors aux autorités canadiennes de jouer la bonne vieille rengaine « diviser pour mieux régner ».
L’abandon de la perspective anticoloniale, qui était bien présente chez les indépendantistes des années 1960 (même de droite !), a aussi rendue plus difficile l’identification des personnes appartenant à des minorités culturelles à la cause indépendantiste. Pourtant, l’expérience de la lutte pour l’indépendance nationale face aux empires coloniaux fait partie du bagage politique de nombreuses communautés présentes au Québec. C’est le cas des communautés haïtienne et des Caraïbes, des populations originaires de divers pays latino-américains, de l’Afrique, etc.
Aussi, le rassemblement autour du rejet du colonialisme a un énorme potentiel quand il s’agit de trouver des alliés dans le reste du Canada. Une grande partie de la classe ouvrière canadienne est elle-même originaire de nombreux pays ayant été colonisés par la Grande-Bretagne, comme la Jamaïque, le Pakistan, l’Inde, et plusieurs états du Moyen-Orient et de l’Afrique, sans oublier l’Irlande, la toute première colonie britannique. D’ailleurs, la solidarité avec la lutte des républicains d’Irlande du Nord allait de soi pour les indépendantistes de gauche des années 1970.
Si on ajoute à cette grande coalition l’appui de la gauche anticoloniale de canadienne-anglaise, qui exprime déjà sa solidarité avec les Premières nations et son rejet des formes contemporaines ou anciennes du racisme, on pourrait constituer une force majoritaire au Québec et significative au Canada anglais. Une telle solidarité internationale dans l’État canadien lui-même est essentielle si on veut briser la résistance institutionnelle et financière qui ne manquera pas de se mobiliser contre nos aspirations à une réelle autodétermination.
Mais ici encore, l’héritage du Parti québécois est difficile à surmonter. Son alignement sur des positions politiques néolibérales, extractivistes et néocoloniales, ont encouragé la gauche du reste du Canada à ignorer notre lutte nationale, vue comme l’aspiration de la part d’une élite à créer une autre petite puissance impérialiste à côté de celle qui nous domine présentement.
Pour ce qui est des populations racisées, bien entendu, le tournant « identitaire » opéré par le PQ depuis 2007 et culminant dans l’épisode de la Charte des valeurs n’a fait que les braquer contre le mouvement indépendantiste québécois, vu comme un danger plutôt qu’un allié potentiel.
Est-il trop tard pour que le mouvement indépendantiste québécois renoue avec ses racines anticoloniales et bâtisse cette vaste alliance avec d’autres populations ayant subi diverses formes de colonisation, de racisme et de domination impérialiste ? Souhaitons que non. Mais chose certaine, ce n’est pas en ouvrant la porte à des tractations avec le PQ - le parti qui aspire à faire du Québec un mini-Canada tout aussi impérialiste mais qui parle français et légifère sur les habitudes vestimentaires des femmes musulmanes – que nous allons avancer dans cette direction. En fait, chaque fois que les personnes qui représentent Québec solidaire laissent entendre que le PQ serait moins pire que les Libéraux et un allié potentiel pour nous, on fait un pas en arrière de plus et on rend le travail de réparation des pots cassés encore plus difficile.
C’est du côté des travailleuses et des travailleurs de diverses origines, avec leurs aspirations à plus de justice économique et sociale, à plus de démocratie, à de meilleurs services publics, à des opportunités d’étude et d’emploi, que nous pourrons trouver une base élargie pour Québec solidaire d’ici 2018 et au-delà. Un grand nombre de ces personnes ont voté Libéral en 2014 pour se débarrasser du PQ. Comment les blâmer ! De l’autre côté de l’équation, la plupart du million de personnes qui ont été capables de voter pour le PQ après le désastre du gouvernement Marois vont probablement rester fidèles à ce parti jusqu’à la fin de leurs jours.
Il est temps d’en finir avec le long détour en forme de cul de sac qu’a représenté la trajectoire du Parti québécois. Une opportunité sans précédent s’offre à nous de donner un nouveau sens, radicalement démocratique et résolument antiraciste et anticolonial à la lutte indépendantiste. La manquer serait impardonnable.
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