Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

L’économie post COVID au Québec :

Vers un nouvel équilibre entre le public et le privé

Presse-toi à gauche ! publiera dans les prochaines semaines les différents chapitres d’un livre préparé par le Conseil central du Montréal métropolitain intitulé POUR UNE SORTIE DE CRISE VERTE, SOCIALE ET DÉMOCRATIQUE. Cette semaine, nous publions le dixième chapitre, L’économie post COVID au Québec : Vers un nouvel équilibre entre le public et le privé.

Le Conseil central du Montréal métropolitain a raison : le monde des affaires prépare déjà son plan de sortie de crise malgré les nombreuses incertitudes sanitaires, économiques et sociales qui subsistent quant à la pandémie qui a chamboulé notre monde en 2020. Pour les classes dirigeantes, l’objectif sera de préserver une organisation sociale et économique de nos sociétés qui privilégie d’abord et avant tout leurs intérêts.

Face à cet establishment, les organisations progressistes doivent offrir une alternative. La tâche est double : il faut d’une part résister aux propositions socialement régressives des classes dominantes et d’autre part mettre de l’avant des alternatives véritablement porteuses. Étant donné les nombreuses promesses non tenues du libéralisme économique ces dernières décennies, les propositions formulées par les mouvements sociaux qui mettront au premier plan — sans aucune ambiguïté — la solidarité et la démocratie auront plus de chances que jamais de recevoir l’appui des travailleuses, des travailleurs et des personnes marginalisées.

En effet, il est apparu évident dans les dernières années qu’un mécontentement grandissait au sein de la population face aux ratés des politiques néolibérales. Les gens constatent que les inégalités croissent, que les services publics — qui permettent en temps normal une redistribution des richesses — se dégradent et que l’État qui les gère ressemble de plus en plus à une grande entreprise privée qu’un instrument servant à remplir des missions sociales décidées démocratiquement. Les gens ont vu que les aîné es en résidence étaient laissés à eux-mêmes dans des conditions abjectes, que les retraites individualisées entraînent leur lot de laissés-pour-compte, que le travail précaire progresse, que l’accès à la propriété devient plus ardu, que les salaires stagnent et que les jeunes sont de plus en plus écoanxieux.

Alors, c’est sans surprise que les gens deviennent plus attentifs à celles et ceux qui proposent des transformations de notre société. C’est dans ce contexte que des démagogues à la Donald Trump se font élire un peu partout dans le monde en prétendant s’opposer à l’establishment. De fait, ils capitalisent effectivement sur le sentiment de dépossession qui est la conséquence logique des politiques néolibérales. Les mouvances conspirationnistes — souvent liées aux mouvements d’extrême-droite — semblent elles aussi profiter du discrédit des institutions néolibérales. Mais on assiste également à un renouveau des mouvances politiques socialistes comme aux États-Unis où Bernie Sanders, porté par une nouvelle génération de militantes et militants, est venu bien près de remporter l’investiture du parti démocrate. Tout semble soudainement possible.

Comment faire pour qu’émergent de ce chaos des propositions socioéconomiques fondées dans la solidarité et la démocratie ? Comment être à la hauteur de la colère et des inquiétudes de monsieur et madame Tout-le-Monde tout en canalisant cette énergie vers un projet émancipateur ? L’IRIS s’est penché sur ces questions et a entrepris durant le confinement d’alimenter la réflexion. Toutes nos propositions visent à abattre les politiques néolibérales et renverser la tendance des quarante dernières années. Nous avons cherché comment, dans le contexte québécois, les choses pouvaient être radicalement différentes et favoriser à la fois le bien commun et l’écologie. Pour ce faire, il nous est vite apparu qu’il fallait réfléchir à un dépassement du capitalisme.

En effet, malgré la diversité des façons d’organiser l’activité économique au Québec (entreprises privées, publiques ou à but non lucratif ), la logique capitaliste y reste dominante. Par exemple, le fonctionnement du secteur public de la santé est en partie tributaire d’une puissante industrie pharmaceutique privée. De même, les coopératives doivent souvent négocier avec des banques et des fournisseurs privés et faire concurrence à des entreprises privées sur les marchés. L’influence capitaliste se fait aussi sentir dans les pratiques de gestion, tant dans le secteur public que dans le secteur communautaire, qui tendent souvent à calquer celles de l’entreprise privée, comme l’ont montré les nombreuses études de l’IRIS sur la nouvelle gestion publique.

Pour développer une alternative au capitalisme qui soit adaptée au Québec, il faudrait donc saper cette dominance. Ce texte résume les propositions contenues dans un document de réflexion de l’IRIS qui propose de renouer avec la planification démocratique. Elles visent à créer un nouvel équilibre entre ce qui a été décrit comme les trois piliers de l’économie québécoise : le privé, le public et le collectif.

L’objectif est de mettre de l’avant un nouveau maillage économique qui s’appuie davantage sur les institutions publiques et des entreprises collectives solides que possède déjà le Québec et moins sur le secteur privé, tout en lui laissant une place.

Un nouveau cadre économique

Dans n’importe quel modèle économique, des décisions doivent être prises à de multiples niveaux. Il faut d’abord délimiter qui a le droit de décider, ce qui dépend actuellement du droit de la propriété privée. Ensuite, on doit choisir la manière dont les ressources seront allouées à différents usages : ce bois nous permettra t il de faire des crayons ou des tables, par exemple ? Une fois qu’on a opté pour un usage particulier, il faut décider du déroulement des opérations de production. Par exemple, si l’on choisit de produire des tables, il faudra déterminer des responsables, une répartition des tâches et les techniques de production utilisées. Finalement, il faudra établir des principes pour la distribution, la propriété et l’usage de ce qui aura été produit.

À première vue, toute cette coordination représente beaucoup de travail. En fait, de telles décisions sont prises tous les jours dans une société comme la nôtre, mais elles passent souvent inaperçues puisque dans les économies de type capitaliste, ce sont les grandes entreprises privées et le secteur financier (et notamment les actionnaires) qui décident ensemble de l’utilisation à faire du gros des ressources productives. Une fois les décisions prises, elles sont communiquées à des subalternes puis exécutées via les structures hiérarchiques des entreprises. Ces entreprises déterminent également la nature des produits créés, en fonction de critères de profitabilité, et en déterminent les prix. Les plus petites entreprises, elles, tendent à emprunter les voies tracées par les grandes. De surcroît, une entreprise qui a les moyens de créer d’importantes campagnes publicitaires influencera par son marketing la demande des consommateurs en l’orientant vers les produits les plus profitables pour elle. Bref, toute l’activité économique au Québec est bel et bien organisée par l’entremise d’une série de décisions indépendantes, mais dont les plus importantes dépendent d’un groupe assez restreint d’individus.

Les décisions économiques prises en ce moment par les entreprises déterminent ainsi à quoi ressemblent nos milieux de vie, à quel point nous polluons la planète, ce qu’on trouve dans nos assiettes, la façon dont on s’habille et ce que sont nos loisirs. Comme notre système économique est axé sur la rentabilité des entreprises, les décisions que prennent celles-ci ne tiennent pas nécessairement compte de leurs conséquences sur les communautés humaines et sur l’équilibre des écosystèmes. Au lieu de laisser à une poignée d’individus le soin de prendre des décisions aussi fondamentales pour le fonctionnement et le devenir d’une société, on pourrait souhaiter qu’elles soient prises collectivement et démocratiquement. Après tout, elles concernent toute la communauté.

Trois transformations majeures

Trois transformations institutionnelles majeures permettraient au Québec de prendre la voie d’une planification démocratique de l’économie afin de décider collectivement l’utilisation générale des ressources productives de la société.

La première transformation serait d’établir une politique nationale du revenu avec un double objectif : assurer une couverture des besoins de base à toutes et tous et distribuer les revenus de façon plus égalitaire. Un revenu minimum garanti national correspondant à la couverture des besoins de base serait versé par le gouvernement sous forme d’allocation universelle. Établi sur une base régionale, le salaire minimum devrait correspondre à la sortie complète de la pauvreté. Un salaire maximum national serait établi et représenterait un ratio au salaire moyen qu’une rémunération ne pourrait dépasser (par exemple, si le salaire moyen annuel est de 50 000 $ et que ce ratio est établi à 10, alors aucune rémunération ne peut dépasser 500 000 $).

La deuxième transformation envisagée est celle visant à faire du Mouvement Desjardins une structure financière démocratique, décentralisée, organisée de façon fédérative et coordonnée au niveau national par une banque centrale. Suivant le modèle des caisses populaires à l’époque de leur création, chaque communauté aurait sa propre caisse, et celles-ci seraient regroupées en fédérations régionales. Une grande caisse ferait office de banque centrale et s’occuperait des questions touchant l’ensemble du Québec. Par ailleurs, afin de démocratiser le secteur bancaire tout en maintenant une diversité de prêteurs, le réseau bancaire privé existant serait nationalisé et transformé en un réseau de banques publiques, parallèle au réseau des caisses populaires.

Dans cette perspective, l’État conserve un rôle dans l’allocation des ressources et le financement des grands projets, mais cette fonction s’exerce en collaboration avec la grande caisse servant de banque centrale. Celle-ci détermine les grands critères du crédit, en agissant sur les taux d’intérêt et en participant avec l’État à spécifier des secteurs économiques prioritaires. À partir d’une structure déjà existante, on démocratise ainsi la création monétaire et la gestion du crédit. L’existence au Québec d’un réseau de coopératives de crédit ainsi que des institutions publiques comme la Caisse de dépôt et placement du Québec et Investissement Québec constitue un véhicule efficace pour accompagner une telle transition systémique.

La troisième transformation institutionnelle majeure serait de faire en sorte que l’ensemble des entreprises opérant en sol québécois deviennent désormais des entreprises sans but lucratif, en vue de leur démocratisation. La création d’entreprises à but lucratif ne serait plus possible et on fixerait ensuite un délai au-delà duquel les entreprises existantes devraient avoir complété une reconversion. Ces entreprises converties fonctionneraient toujours dans le cadre d’un marché et devraient être en mesure d’équilibrer leur budget ; elles pourraient s’endetter, épargner, verser des salaires, faire des investissements et faire faillite, mais elles n’auraient plus pour moteur la recherche du profit. Quel serait le principe directeur des entreprises ? L’utilité sociale et matérielle telle que définie à l’avance par un processus démocratique guidé par les principes de justice sociale, d’équité et de conversion écologique des activités humaines.

Toutes les entreprises deviendraient sans but lucratif, mais leur niveau de démocratisation ne serait pas le même. Les grandes entreprises de secteurs stratégiques seraient nationalisées et gérées par l’État. Le reste des entreprises de 100 employé es ou plus seraient socialisées, c’est-à-dire soit transformées en coopératives de travailleurs, soit gérées par des conseils d’administration composés des dirigeantes et dirigeants de l’entreprise, des membres de la communauté liés à cette entreprise, des travailleuses et travailleurs qui y œuvrent, et des représentants de l’État. Pour les entreprises de 99 employé-es ou moins, soit elles seraient également socialisées selon le modèle évoqué plus haut, soit elles seraient détenues de manière privée et gérées par leurs propriétaires.

De nombreux défis

L’instauration d’un système de planification démocratique requiert des changements importants dans l’organisation de l’activité économique au Québec, dont l’abolition des entreprises à but lucratif, l’insertion des entreprises dans les processus de planification démocratiques, et l’instauration de circuits courts avec un ancrage local fort. Ces changements sont certes profonds, mais là encore, le Québec peut compter sur un secteur d’économie sociale et solidaire qui est à la fois économiquement viable et reconnu au plan juridique. Si on se base sur l’expérience historique, non seulement le statut d’OSBL ou de coopérative n’agit pas comme un frein sur les entreprises, il en fait des organisations qui sont mieux intégrées dans les communautés où elles sont situées et dont la longévité est plus grande.

Par ailleurs, la nouvelle structure accorderait une place centrale au respect de l’environnement. La planification économique serait dépendante d’instances mises en place dans chaque communauté dont la responsabilité serait de conduire des audits sur les pratiques environnementales et sociales des entreprises. Il s’agit en quelque sorte d’une démocratisation du processus d’inspection et de fixation des normes. Par ailleurs, il s’agirait de développer davantage de circuits locaux de production et de distribution. L’objectif n’est pas de viser une autosuffisance générale, mais plutôt de bâtir des économies régionales résilientes qui se nourrissent les unes les autres. Pour que cela fonctionne, il faudra renouer avec une politique commerciale active. Au régime de libre-échange actuel il faudra substituer une politique ciblant le respect de normes sociales et environnementales et une protection temporaire suffisant à l’émergence de nouvelles économies régionales. En d’autres termes, il faut abandonner un régime qui incite à une course vers le moindre coût, et donc à une surexploitation des écosystèmes, ainsi qu’une spécialisation à outrance qui fragilise les économies concernées, pour adopter un régime qui permet l’instauration de normes socioenvironnementales fortes et favorise la stabilité et la résilience.

Ces propositions qui visent à dépasser le capitalisme actuellement par un rééquilibrage de la place occupée par les secteurs privés, publics et collectifs dans notre société susciteront la stupéfaction dans plusieurs milieux. Et pourtant, pour que la sortie des crises socioéconomiques, sanitaires et environnementales que nous connaissons soit fondée sur la solidarité humaine plutôt que la légitimation de diverses formes d’oppressions, il faut remettre la démocratie au cœur de l’économie. C’est précisément ce que propose l’IRIS

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