Il est bon de rappeler que lors des élections législatives précédentes, en 2005, l’opposition avait boycotté le scrutin en retirant ses candidats, prétextant le « manque de fiabilité » de la Commission nationale électorale (CNE). La coalition chaviste de l’époque (MVR, PPT, PCV, Podemos, MEP et autres petits partis) avait donc remporté 100 % des sièges. Ce n’est qu’en 2007, lors de la campagne pour la réforme de la Constitution, que Podemos décida de se ranger du côté de l’opposition.
Le contexte actuel est radicalement différent. D’abord parce que, depuis lors, le PSUV (Parti socialiste uni du Venezuela) a fait son entrée sur la scène politique. Ensuite, parce que cette fois l’opposition a su tirer le bilan négatif de sa politique absentéiste et compte bien jouer les trouble-fêtes. De fait, alors qu’elle se caractérise par son incapacité à s’unir et une absence totale de programme politique alternatif, son positionnement critique systématique, pourrait cette fois, lui assurer de gagner des députés, au vu des difficultés actuelles que traverse le processus.
Les primaires au sein du PSUV
De son côté le PSUV a enclenché un large processus électoral visant à désigner l’ensemble de ses candidats. Le 2 mai 2010, plus de 2, 5 millions d’adhérents se sont déplacés aux urnes pour ces primaires, soit un taux de participation de 38 %. Un tel niveau de participation peu sembler peu élevé mais cela n’est pourtant pas si mal au vu de plusieurs éléments. D’abord parce qu’une machine aussi lourde que le PSUV a démontré son efficacité. Ce sont 3527 candidats qui se sont affrontés lors de ces primaires pour 110 postes. 3820 bureaux de vote ont été mis en place dans les 87 circonscriptions électorales du pays (24). Ensuite, parce qu’il est de notoriété publique qu’une bonne partie des personnes affiliées au PSUV le sont dans le but de pouvoir en soutirer quelques avantages. Ces personnes-là ne participent pas à la vie politique et démocratique du parti. Enfin, parce que traditionnellement, les élections législatives battent des records d’abstention (entre 25 % et 30 % de participation). Voir des primaires obtenir près de 10 points au-dessus du taux de participation habotuel des élections est donc, de ce point de vue, un bon résultat.
En ce qui concerne l’élection des candidats, on peut observer trois tendances. La première est la consolidation d’une certaine ligne « officialiste ». Les quelques grands leaders du PSUV qui se sont présentés, membres de la direction nationale, sont passés sans encombre, comme c’est le cas d’Aristóbulo Istúriz, vice-président du PSUV ou de Freddy Bernal, ancien maire de Caracas. La seconde est un fort renouvellement des candidatures. Seuls 22 députés sortants ont été reconduits et pourront ainsi à nouveau être candidats. Enfin, il est à noter une poussée notoire de la jeunesse. Les jeunes du PSUV raflent dix candidatures, ce qui représentera forcément un souffle nouveau, même si ces jeunes ont bénéficié de tout le poids de l’appareil et ne sont pas forcément issus des courants les plus radicaux du PSUV. Car le signal le plus fort est sans conteste celui-ci : la bureaucratie a su se renouveler. De nouvelles têtes seront envoyées à l’Assemblée pour défendre la ligne officielle du PSUV, alors que pendant ce temps, les courants minoritaires radicaux (tel Marea Socialista) ont été incapables de s’unir et se retrouvent ainsi sans candidat. Pire encore, les scores obtenus les relèguent aux marges du PSUV. Seul Juan Contreras, militant historique du quartier populaire (barrio) de Caracas, 23 de Enero, échappe à la déroute et parvient à arracher un poste de suppléant.
Il faut toutefois souligner que 52 candidats n’ont pas été élus par les militants du PSUV, mais directement désignés par Hugo Chávez, le 25 mai dernier. On retrouve sans surprise dans cette liste les fidèles du « Comandante », chefs de file de la boli-bourgeoisie (25), comme Cilia Flores, Présidente de l’Assemblée nationale, Tania Díaz, ministre de la Communication, Héctor Navarro, ministre de l’Éducation, et surtout Diosdado Cabello (26), ministre des Infrastructures.
Les batailles partidaires de l’opposition
Le processus de désignation des candidats de l’opposition tranche radicalement avec celui choisi par le PSUV. Comme toujours, les intérêts divergents de chacun des principaux partis d’opposition (Primero Justicia, Un Nuevo Tiempo, Acción Democratica, COPEI) rendent difficile, voire impossible, quelque accord unitaire que ce soit. Néanmoins, une tentative unitaire a conduit l’opposition à organiser, le dimanche 25 avril, des primaires, mais avec beaucoup moins de succès et d’ampleur que le PSUV. Seulement 380 000 électeurs se sont déplacés pour choisir 22 candidats dans 15 circonscriptions sur un total de 87 que compte le pays. Ces 22 candidats ont été sélectionnés parmi les 78 qui ont eu à payer environ 3 000 dollars pour avoir le droit de se présenter. Quand au reste des candidats de l’opposition, ils ont été choisis ultérieurement par « consensus » ou « sondages ».
Par ailleurs, cette même opposition, qui il y a quelques mois soutenait les étudiants de l’Université centrale du Venezuela (UCV) protestant contre la Loi organique de l’Éducation (LOE), a refusé aux dirigeants étudiants la possibilité d’être candidats à l’Assemblée. Cela n’a d’ailleurs pas été sans provoquer quelques remous, ce dont ont profité, de manière bien légitime, les jeunes du PSUV en soulignant l’importante place qui leur a été faite au sein des primaires et en dénonçant la manipulation des jeunes par les partis d’opposition. Plus globalement, au vu du gigantisme des primaires du PSUV, les primaires de l’opposition ont fait bien pâle figure.
De fait l’opposition semble être tiraillée entre deux stratégies totalement différentes pour combattre le processus bolivarien. Il y a d’une part une vieille opposition, revancharde et aveuglée de haine, qui assume totalement le coup d’État raté du 11 avril 2002 et qui souhaite se débarrasser de Chávez par tous les moyens sans attendre 2012, date de la fin du mandat présidentiel. Pour mieux la définir, on pourrait lui trouver un certain nombre de similitudes avec la droite chilienne qui avait renversé Allende en 1973. Cette opposition semble aujourd’hui déboussolée après ses échecs répétés en 2002 (tentative de coup d’Etat), 2003 (tentative de blocus économique des grandes entreprises pour asphyxier l’économie et ainsi obliger Chávez à démissionner) et 2004 (perte du référendum révocatoire). Elle est aujourd’hui clairement en perte de vitesse et a du mal à mobiliser ses troupes.
Mais il existe une autre opposition, plus moderne, prête à jouer le jeu démocratique, qui est aussi beaucoup plus dangereuse. Cette droite, dont le leader est Julio Borges (Primero Justicia), est à la fois traditionnaliste, ultralibérale et développe certaines thématiques qui n’ont rien à envier à l’extrême droite européenne. Elle a clairement pris ses distances avec les partisans de la déstabilisation permanente, même s’il est clair qu’en cas de nouveau coup d’État elle se rangerait sans états d’âme du côté des putschistes. Mais cette image qu’elle cultive d’une droite « plus raisonnable » fait qu’elle se révèle du coup plus dangereuse, car elle peut paraître comme une alternative pour une partie d’un électorat qui se cherche.
Calculs électoraux
Toutefois les hésitations démontrées et les erreurs commises durant la gestion de la crise électrique et la pénurie d’eau, plus une incapacité notoire à régler les problèmes récurrents du pays (corruption, insécurité, inflation), font craindre à nombre de chavistes, si ce n’est la perte de la majorité à l’Assemblée, au moins une perte conséquente de députés. Et la direction du PSUV n’est pas loin de partager cette analyse. Aussi, une réforme électorale a été concoctée afin d’éviter quelques surprises désagréables. L’élection à l’Assemblée Nationale se déroule de la manière suivante : 60 % des sièges sont distribués de manière nominale, 40 % à la proportionnelle. Un des points de la réforme indique que la liste qui obtient plus de 50 % recevra 75% des sièges réservés au scrutin proportionnel. Or, si aujourd’hui l’opposition est loin d’être ridicule dans les grandes villes du pays, le PSUV écrase toute concurrence dans l’ensemble des États ruraux. Et si seulement 15 % des Vénézuéliens vivent à la campagne, il y a depuis longtemps une surreprésentation à l’Assemblée des États ruraux, puisqu’ils sont représentés par environ 30 % des députés. De quoi laisser penser au PSUV qu’il pourrait atteindre les 50 % et ainsi rafler les trois-quarts des 40 % de sièges réservés au scrutin proportionnel.
L’autre changement, annoncé le 19 janvier 2010 par Tibisay Lucena, Présidente du Conseil national électoral, est un savant redécoupage des circonscriptions. Celui-ci vise clairement à favoriser le PSUV. Dans l’État de Miranda par exemple, le transfert de la parroquia (27) Leoncio Martinez (acquise à l’opposition) de la circonscription n° 3 à la circonscription n° 2, devrait permettre une victoire facile du PSUV dans cette même circonscription n° 3 (28).
Une telle « popotte » électorale devrait normalement éviter une défaite du PSUV lors des prochaines élections, ce qui permettra de renforcer un certain discours officialiste mais qui cache difficilement une réalité toute autre. A savoir un lent divorce, chaque jour plus marqué, entre le PSUV et une partie de la population, hier gagnée au processus et aujourd’hui totalement désorientée. Si le processus ne prend pas rapidement les mesures nécessaires pour répondre aux inquiétudes de ces Vénézuéliens, il y a fort à parier que, très prochainement, l’incompétence de l’opposition et les cuisines électorales ne suffiront plus pour assurer des succès faciles.
Et de fait si l’opposition se révèle incapable de construire et présenter un programme politique alternatif crédible, elle sait mettre le doigt là où ça fait mal. A ses thèmes favoris, comme l’inflation galopante ou l’insécurité, elle a ajouté le manque d’efficacité et de planification des mesures visant à diminuer l’impact de la sécheresse, ainsi que le manque de vision à long terme concernant la production électrique nationale.
Quand on sait le peu de mobilisation des chavistes pour les élections où Chávez n’est pas directement candidat (en général moins de 30 % de participation), on peut craindre des mauvaises surprises face à une opposition qui peut compter de manière constante sur 4 millions d’électeurs. De fait, un récent sondage publié par le quotidien Ultimas Noticias, montre que trois Vénézuéliens sur quatre ne savent pas quelles sont les attributions exactes d’un député. Aller voter pour quelqu’un sans savoir à quoi il va réellement servir, dans un contexte de malaise global dû aux problèmes récurrents dans la gestion locale et nationale, laisse présager de nombreuses défections dans les rangs des électeurs chavistes.
Quelles perspectives ?
Comme souvent, les réformes proposées par le gouvernement bolivarien ne cessent de surprendre. Aux réformes aux claires avancées sociales, qui semblent être un pas de plus dans la construction du Socialisme du XXIe siècle, peut succéder une série d’attitudes et de décisions qui ont de quoi déstabiliser et qui nous permettent de douter de la cohérence dans la ligne politique établie.
Comment ne pas applaudir devant la prise de contrôle ouvrier à Ciudad Guayana ? Comment ne pas approuver, par exemple, la Loi des Terres urbaines qui vise à donner un titre de propriété à toutes les personnes qui se sont installées durant des années de manière illégales et anarchiques dans les Barrios ? Ou bien encore la Loi contre les jouets de guerre, interdisant la fabrication, la vente ou la location des jouets et jeux vidéo de guerre ?
Comment ne pas soutenir la Loi organique d’Éducation, instaurant l’enseignement obligatoire, gratuit et garantissant la justice sociale, l’équité, la tolérance, le respect des valeurs multiculturelles, interculturelles ? Une loi qui s’inscrit dans le cadre de la laïcité. Les collèges religieux pouvant continuer à fonctionner, mais les cours d’éducation religieuse n’étant plus désormais intégrés dans les cursus de l’enseignement général mais sont optionnels. Une loi s’inspirant des principes de Bolivar, de souveraineté et d’indépendance nationale, de justice sociale, d’égalité entre les hommes, d’épanouissement des individus…
Autant d’actes concrets qui ne peuvent nous faire douter de l’intérêt de l’expérience bolivarienne et de l’exemple qu’elle peut représenter de par le monde, dans un contexte où l’on ne cesse de nous faire croire qu’il n’existe qu’un seul modèle viable.
Néanmoins, de sérieuses réserves se font jour. Comment accepter l’appui à peine voilé de la bureaucratie chaviste aux patrons de Mitsubishi dans leur tentative d‘écraser la lutte initiée par les travailleurs il y a plus d’un an ? (29) Comment justifier le silence de la Justice dans les cas d’assassinats de paysans ou de travailleurs par les intérêts privés ? Comment justifier l’expulsion du militant basque internationaliste Walter Wendelin (30), alors que les autorités espagnoles n’avaient pas demandé son extradition ? Comment comprendre le fait que le secteur privé soit devenu plus important dans l’économie nationale durant les dix dernières années ? Comment accepter la corruption toujours plus grande au sein d’une bureaucratie chaviste devenue boli-bourgeoisie, qui au fil des ans à mis la main sur la majorité des postes clés de l’État et entretient des relations parfois très étroites, voire incestueuses, avec les intérêts du capital privé ?
Après onze années de pouvoir, on peut supposer que le processus a su construire un certain nombre de fondamentaux. Il est donc plus que temps que ce processus s’accélère, sous peine de se trouver paralysé. Une accélération dans la prise de contrôle ouvrier, dans la participation populaire. Une accélération dans la lutte contre la corruption et la bureaucratie. Une accélération dans la prise de contrôle des banques et de l’appareil productif. L’unique moyen de stopper l’inflation est de relancer l’économie nationale. Et si le secteur privé joue contre le gouvernement, il revient à l’État de se donner les moyens de produire et de faire produire. L’unique moyen d’obtenir ce saut qualitatif du processus, c’est d’enfin avoir une planification cohérente, concertée et ambitieuse afin que le chemin vers le socialisme du XXIe siècle ne se convertisse pas en une chimère de plus.
Sébastien Brulez est membre de la LCR (Belgique), journaliste et collaborateur du quotidien suisse Le Courrier et de la revue de la section belge de la IVe Internationale La Gauche. Fernando Estaban est membre du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et collaborateur Tout est à nous !, Viento Sur et Inprecor. Tous deux vivent au Venezuela depuis plusieurs années.
Cet article fait partie d’une importante étude publiée dans Inprécor N° 564-565, août-septembre 2010 : http://orta.dynalias.org/inprecor/inprecor?numero=564-565
Notes
1. Les résultats détaillés des élections internes du PSUV ne sont pas publics. Néanmoins, la liste des candidats élus lors de ces primaires est consultable en ligne www.psuv.org.ve
2. Le terme boli-bourgeoisie définit la nouvelle classe dominante issue du processus bolivarien et qui s’est considérablement enrichie ces dernières années.
3. Fidèle d’entre les fidèles, Diosdado Cabello était en outre Vice-président de la République Bolivarienne lors du coup d’État du 11 avril 2002. Plusieurs fois ministre, il est considéré par beaucoup comme la figure emblématique de la droite endogène et affairiste.
4. La parroquia, « paroisse civile » est, au Venezuela, une subdivision administrative, directement héritée de la paroisse religieuse.
5. Conseil National Électoral (CNE), Direction Générale des Statistiques Électorales, Circonscriptions électorales pour les élections parlementaires du 26 septembre 2010.
6. Les lecteurs d’Inprecor qui lisent l’espagnol peuvent notamment s’informer au jour le jour de cette lutte en se connectant au blog, http://concienciaobrera.blogspot.com/
7. « Llega a Euskadi el activista Walter Wendelin después de ser expulsado de Venezuela », Aporrea.org, 1er avril 2010, www.aporrea.org/ddhh/n154260.html
Partager cet article :
tiré du site NPA