Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Urgence climatique : des débats stratégiques à mener pour l’avenir du mouvement

Depuis novembre dernier, le mouvement social pour faire face à l’urgence climatique s’est développé et s’est diversifiée. L’entrée en action de la « Planète s’invite à l’université » a fait de la jeunesse le moteur du mouvement. Le 15 mars dernier, relayant une action internationale, une véritable marée humaine de plus de 100 000 personnes est descendue dans les rues de Montréal. Dans le reste du Québec, plus de 50 000 personnes ont manifesté dans différentes villes. On assistait donc à la plus vaste mobilisation pour le climat reflétant un élargissement de la prise de conscience des conséquences des changements climatiques et de la nécessité d’agir. Il faut bien le constater, le mouvement pour la justice climatique est fort diversifié selon les secteurs de la population impliqués, tant par les problématiques soulevées que par les orientations proposées allant d’un lobbying plus ou moins militant au développement d’un pôle radical et activiste. Pour assurer l’avenir du mouvement, les diverses orientations devront être soumises à une discussion démocratique, condition essentielle de son unité et de l’approfondissement de son impact.

L’orientation dominante actuellement – faire pression sur les gouvernements pour que ces derniers mettent l’environnement au coeur de leurs priorités.

L’approche choisie notamment par le Pacte sur les changements climatiques tout particulièrement, mais partagée par la majorité du mouvement, c’est de travailler avec les responsables politiques qui sont au pouvoir, leur tendre la main, leur donner la légitimité et le courage de résister aux puissants lobbies des entreprises oeuvrant dans les hydrocarbures. C’est ainsi qu’on demande de mettre en place d’ici deux ans un plan d’action vigoureux pour limiter le réchauffement climatique. C’est dans la même logique qu’un projet de loi a été proposé au gouvernement de la CAQ et présenté à l’Assemblée nationale par le PQ, projet de loi, qui n’a pas su rallier l’approbation du gouvernement Legault. La campagne de Québec solidaire de monter un mouvement de pression sur la CAQ pour l’amener à déposer un plan « qui permet au Québec d’atteindre les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GEC) du GIEC d’ici le 1er octobre 2020 » sous la menace d’une barrage parlementaire en cas de refus du gouvernement s’inscrit dans le même type d’orientation. [1]

Un secteur du mouvement va encore plus loin dans une politique de concertation dans la mise en place d’une économie capitaliste verte. C’est ainsi qu’ une Coalition comprenant la Fondation David Suzuki, le Conseil du patronat, la CSN, SWITCH (Alliance pour une économie verte initiée par Equiterre), Energir et d’autres entreprises de l’économie verte couvrent la campagne d’Energir qui cherche à présenter le gaz naturel comme une énergie verte contre l’avis du GIEC lui-même.  [2] Voilà une autre manipulation qui sait utiliser le dialogue pour parvenir à ses fins. D’ailleurs le gouvernement Legault a avalisé cette manipulation en soutenant la construction d’un gazoduc dans le nord du Québec et d’un port au Saguenay pour permettre l’exportation de ce gaz provenant de l’Ouest canadien.

On sait que la démagogie et la poudre aux yeux sont au coeur de l’orientation mises de l’avant par les gouvernements. Il ne s’agit que de se rappeler que Justin Trudeau, défenseur de l’importance stratégique de l’exploitation des sables bitumineux et de la construction de pipelines pour en permettre l’accès de ce pétrole sale sur le marché international le montre bien. Cette démagogie des gouvernements se concrétise par la mise de l’avant de mesures qui compte sur le marché capitaliste pour faire face aux changements climatiques : la bourse du carbone et la taxe sur le carbone [3]

Cette orientation souffre du défaut d’éviter de faire une analyse des fondements de la crise climatique. Il en découle qu’elle ne peut identifier correctement les obstacles que cette lutte rencontrera. La crise climatique est directement liée au mode de production capitaliste, à sa logique productiviste et à une recherche de croissance continue ne tenant aucun compte de la réalité de la planète et de ses ressources. Cette orientation ne tient aucun compte que ce sont les multinationales du pétrole, du gaz et du charbon, de l’automobile, de l’armement et de l’agriculture industrielle adossées au capital financier qui ont, aujourd’hui, le pouvoir d’imposer leur domination sur les choix de production et les modes de consommations et donc sur les types de rapports avec la nature. Tant que ces intérêts privés conserveront ce pouvoir, les choix antiécologiques, destructeurs de l’environnement, continueront à prévaloir.

Un autre angle mort de cette orientation de pression sur les gouvernements néolibéraux, c’est l’incompréhension que ces partis dominants sont construits pour la défense des classes dominantes et qu’ils ne se convertiront pas à des politiques vertes, malgré leurs prétentions et leur démagogie. Les promesses trahies du gouvernement Trudeau sont exemplaires à cet égard. Les gouvernements sont bien au courant du danger climatique, mais leur priorité est de protéger la croissance économique et les profits des patrons. C’est pourquoi qu’aujourd’hui encore, malgré leurs engagements, ils continuent à subventionner l’exploitation des hydrocarbures et de défendre la construction des pipelines. C’est pourquoi, Legault affirme sans gêne en réponse à Jason Kenny, qu’il soutient la construction des pipelines de gaz… En fait, notre environnement est sacrifié par ses politicien-ne-s pour permette à un petit nombre de personnes de continuer à gagner énormément d’argent.

En somme, pour continuer à se développer le mouvement pour la justice climatique doit en finir avec les thèses qui affirment que le climat n’est pas une question politique, qu’il faut se placer dans une position d’attente face aux gouvernements capitalistes et espèrer que ces gouvernements adoptent un plan de transition pour le climat. Il faut donc assumer que le capitalisme ne peut être le cadre de la solution et qu’il faut défendre la rupture avec le système capitaliste.

Les clés de l’amélioration du rapport de forces : la mobilisation populaire de blocage, la désobéissance et la grève [4]

La rupture avec le capitalisme en environnement peut se concrétiser dans un programme revendicatif qui place comme impératif immédiat la transition écologique et économique dans des combats qui n’hésitent pas à dépasser le cadre capitaliste. Le premier impératif, c’est le nombre, on ne peut progresser dans le rapport de force sans parvenir à une mobilisation la plus massive possible. Mais si le nombre est important, son expression ne peut se contenter de manifestations répétitives qui ne font que tirer l’alarme sur l’urgence de la situation. Le blocage de la construction des pipelines et de gazoducs ne doit pas se résumer à une adresse au gouvernement, il doit actif, militant et opérationnel. Les militants environnementalistes américains, particulièrement les communautés autochtones nous ont donné moults exemples à cet égard.

La lutte pour le transport public gratuit peut et doit être un objectif immédiat. Des mobilisations autour de cet enjeu sont possibles. Dans plusieurs villes européennes, ce combat a été mené et il a été démontré qu’il peut être victorieux. La grève qui paralyse l’activité polluante participe d’un plus haut niveau de conflictualité. Mais, cela est nécessaire. Désobéissance, occupations, blocages et protection d’espaces naturels menacés de destruction sont des objectifs qu’il faut apprendre à organiser.

En fait, c’est tout un plan de transition et un plan d’action qui doivent être élaborés démocratiquement et collectivement par le bas pour unifier le mouvement. C’est pourquoi un congrès national des différentes organisations participant du mouvement pour la justice climatique doit être tenu pour permettre de renforcer l’unité et la capacité d’action de ce mouvement.

Dans une telle orientation stratégique, un parti politique de gauche doit assumer une fonction tribunitienne importante pour délégitimer les politiques écocidaires des gouvernements en place et organiser la défense des droits démocratiques du mouvement social.

« L’urgence stratégique est de délimiter dans le mouvement un pôle combatif, démocratique et radicalement indépendant des institutions gouvernementales et du patronat. La catastrophe climatique nous ramène à cette question : « qui doit diriger la société ? » La jeunesse, les travailleur.se.s et nos besoins sociaux sur une planète habitable ? Ou la loi du profit ? Notre camp social est le seul à pouvoir aller jusqu’au bout des mesures indispensables à tous niveaux. Le temps presse. Le mouvement va continuer, parce que le réchauffement climatique continue.   [5]


[1Consensus ou confrontation, l’avenir du mouvement écologiste, William Champigy-Fortier, Presse-toi à gauche, 5 février 2019

[2Énergir essaie de nous tromper avec la complicité du gouvernement Legault, ( Bernard Rioux, Presse-toi à gauche, 16 avril 2019)

[3voir l’article de Francis Lagacé : Capitalisme vert = écocide, dans ce numéro de Presse-toi à gauche,

[4Les avancées du mouvement pour la justice climatique et les obstacles à surmonter, Axer Farkas et Mauro Gasparini, Presse-toi à gauche, 30 avril 2019

[5Axer Farkas et Mauro Gasparini, ibid

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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