Impétueuse rassemble son récit de vie, ses articles et ses poèmes. Des textes qui, par l’intensité de sa verve et de son écriture, nous interpellent.
L’histoire d’Éliette illustre ce qu’était, dans les années 1950, la vie au fin fond de la vallée de la Matapédia d’une famille québécoise tellement pauvre qu’ostracisée par curé et villageois. Et, aussi et surtout, elle illustre le parcours fort difficile mais tellement impressionnant d’une militante du féminisme au Québec, dénonçant l’injustice subie par toutes les femmes depuis des millénaires, et, en particulier, les lesbiennes.
De son enfance et adolescence dans un rang de la vallée de la Matapédia comme aînée de 13 enfants, et des mois après son arrivée à Montréal à 18 ans, Éliette nous parle de misères et humiliations, mais aussi de sa détermination à vivre et de sa curiosité pour le vivant. Après avoir vécu une dépression sévère à Montréal, la vie d’Éliette reprend sens, à travers sa démarche en thérapie et lorsqu’elle décide de recommencer ses études, interrompues à 12 ans, et qu’elle s’inscrit plus tard au Cégep. Elle se lance alors dans un militantisme féministe radical, en s’exprimant par poésie et rédigeant de nombreux articles percutants dans Les Têtes de pioche, le journal des femmes qu’elle cofondait avec d’autres militantes en 1976.
Moi dès l’âge de cinq ans je tombai en amour avec les femmes. Je n’étais bien qu’avec elles, entourée de leur présence quotidienne. Je ne veux pas dire que toutes étaient bonnes, douces et parfaites… mais en comparant avec les hommes, j’ai compris très tôt qu’elles m’étaient tellement plus sympathiques et plus attirantes pour moi. Je n’ai pas été aussi spontanément attirée par les hommes, j’ai dû me forcer pour aller vers eux.
J’ai grandi avec ce goût en moi, ne sachant pas qu’il était possible de vivre de cette façon. Ce n’est pas dans ce coin perdu du Bas du Fleuve que l’on me l’apprendrait… Je me serais peut-être fait tuer, exiler ou interner si dans les années 50 j’avais osé m’affirmer comme lesbienne (je ne connaissais pas ce mot-là !). Pourtant ma première relation amoureuse fut vécue lorsque j’eus douze ans avec une semblable, une fille de 10 ans...nous ne savions pas que ce que nous faisions toutes les deux aurait été condamné si on en avait parlé, instinctivement nous nous sommes tues et ce n’est que bien plus tard que je me suis rappelée cette expérience.
Du plus loin que je me souvienne c’est avec les femmes que j’ai appris les choses les plus importantes sur la vie. Avec ma mère d’abord, ma grand-mère, mes tantes, et d’autres femmes que j’aimais beaucoup à cette époque de ma vie. Ma relation avec ma mère fut très bonne, nous nous entendions bien toutes les deux car j’étais l’aînée et nous avions besoin l’une de l’autre, face à tout ce que nous vivions à la maison : grosse famille, pauvreté, etc. Nous ne nous sommes jamais querellées et c’est pourquoi j’ai trouvé cela très difficile lorsqu’elle m’a quittée l’année dernière, je ne pouvais pas m’imaginer sa mort, et aujourd’hui au moment même où j’écris ces mots, je sens le manque, le vide dans mon ventre et dans mon cœur, elle est morte si vite, partie sans dire un mot, comme elle avait vécu sa vie. Moi je suis là, vivante, et je me suis fait la promesse de vivre à ma façon, je ne veux pas mourir à petit feu ma vie, Je n’accepterai jamais de me taire, de me sacrifier ou de me résigner comme elle a dû le faire !!!
Grand-mère me fascinait quand j’étais toute petite. Avec sa façon d’aimer tout ce qui vivait autour d’elle : humains, animaux, plantes, fleurs, elle m’a légué ce respect immense de la vie. Elle pouvait expliquer durant des heures la beauté de toute chose et de tout être vivant. Elle n’a jamais fait de mal à qui que ce soit, elle avait un sens profond de la justice qui s’est inscrit en moi pour le reste de mes jours. Elle me bouleverse grand-mère, elle m’atteint toujours en plein cœur, rien qu’à regarder ses gestes, gestes simples de chaque jour. Souvent, en la regardant travailler les larmes me montaient aux yeux, je la regardais en cachette laver la vaisselle, je ne voyais que son dos ployé par tant de travail, ce dos de femme que j’ai vu tant et tant de fois, ces gestes de femmes si souvent répétés, et dont la beauté m’émeut tellement. Ces petits gestes sauveurs, protecteurs de la vie, tendresse de femme, je n’oublierai jamais tout ce que vous m’avez apporté d’amour et de chaleur. J’ai vu ses épaules fatiguées, ses mains toutes sillonnées de petits chemins se croisant, se chevauchant, s’entrecoupant entre eux. Petits chemins de travail, creusés par l’eau, la terre, le bois, la laine filée, la nourriture préparée. De nouveau la vie protégée par grand-mère. Elle n’eut pas d’enfant grand-mère… elle en adopta trois dont l’un devint mon père. Aujourd’hui elle a 81 ans et elle vit seule, loin, très loin dans un petit village du Bas du Fleuve.
Des fois je me demande ce qu’elle dirait si elle apprenait que sa petite fille de 40 ans aime une femme… peut-être qu’elle s’en doute, car je ne lui ramène jamais d’homme lorsque je lui rends visite ! Je lui ai fait connaître quelques fois la femme que j’aimais à ce moment là, sous la couverture de l’amie avec laquelle je m’entends si bien ! Amie dont je ne pouvais me passer de sa présence même pour lui rendre visite. Elle a du se poser des questions, mais n’a jamais osé me les poser à moi. Car j’imagine que pour elle ce n’est pas pensable qu’une femme aime une autre femme. « Dans mon temps ça ne se faisait pas » qu’elle dirait. Je lui répondrais « ça s’est toujours fait grand-mère, mais vous ne le saviez pas’’. Personne n’en parlait autour de vous, mais les hommes eux savaient. Savaient que ça se faisait entre eux, et entre les femmes, seulement entre eux, c’était acceptable… mais pas entre femmes.. C’était ’’contre-nature’’… tandis que pour eux ce n’était que ’’folie de jeunesse’’, plaisir de se retrouver entre hommes.
Voilà ce qui se passait grand-mère dans vot’ temps, aujourd’hui aussi. Mais on vous a gardé à l’écart ! Moi j’ai eu plus de chance et j’en suis bien heureuse. Même si durant des années on m’a poussé vers les hommes, malgré que l’on m’ait conditionnée à la seule hétérosexualité, ben malgré tout cela j’ai déjoué leur plan. On m’a dépossédée de tout, de mon corps, de mes pensées, de mes désirs de femme, et pourtant je suis en train de tout récupérer. Je suis en train de me retrouver, de me réapproprier de tout ce qui fait de moi une femme, pas cet objet, pas cette marchandise qu’ils se passent de mains à mains, de corps à corps, pas ce trou servant à leur satisfaction de mâle, servant seulement à la reproduction de l’espèce !
Moi c’est un choix que je fais de ne pas me reproduire. Je pourrais, même en étant lesbienne, je pourrais… mais je ne veux pas. C’est plus qu’un choix, c’est viscéral, rien qu’à y penser d’avoir un enfant, c’est comme si on m’enlevait une partie de mon corps, une partie de moi. Je n’ai pas le temps, ni l’énergie à mettre pour le développement d’un enfant venant de moi. Je suis ma propre enfant, mon enfant unique. Je me mets au monde à chaque jour, et elle est si petite mon enfant, à peine vivante présentement, marchant avec difficulté, besoin encore de petites béquilles, enfant-fille de quarante ans. Quarante ans dans la tête, un peu dans le corps. Enfant dans tout le reste. Surface de quarante ans, raisonnements, pensées bien apprises, bien rationnelles de femmes colonisée, vieux clichés à mettre aux poubelles, vieilles leçons pas acceptables, vieux chemins tortueux où l’on m’a rendu boiteuse, c’est fini maintenant, bien fini. Enfant je suis, ai découvert au plus profond de moi en dessous des couches d’oppression, grands désirs, désirs tout neufs, pas encore vécus. Passions neuves enfouies depuis tant de temps. Désir d’une enfant pas mort complètement. Sens en moi le flamboiement rouge des désirs. Pas morts encore les feux de l’enfance. La passion de vivre, celle de découvrir, de me découvrir. Recherche de la beauté d’une être humaine, d’une enfant-fille de quarante ans, avec dans le cœur plein de choses ayant évité le massacre. Pas le temps, pas d’énergie pour mettre au monde une reproduction, une autre copie imparfaite de moi, qui à son tour refera probablement le même chemin ! Pas envie de me voir parcourir en double la route pleine d’ornières, vieille route millénaire avec quelques cahots en moins… pas intéressée vraiment pas. Je reprends mes petites béquilles, vais faire un autre bout de route avec. Vais les lâcher bientôt, au détour… vais les déposer sous une couche de mousse et de feuilles mortes. Debout enfin sur mes deux jambes, continuerai mon trajet vers une plus-être-femme, nantie d’une enfance à vivre pour le restant de mes jours.
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