Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Enjeux de la gauche en marche

Une contribution à l'enjeu 2 provenant de.... Cuba !

Le gouvernement de Cuba - comme Québec solidaire au Québec - cherche à renouveler son organisation économique. Qu’on provienne d’un pays où prime la gauche ou la droite, un renouvellement s’impose à un moment donné, un renouvellement qui vise l’harmonie des énergie, l’équilibre des ressources et la satisfaction des citoyens aux divers plans de la vie humaine.

Depuis un peu plus d’un an déjà, soit depuis le 1er août de l’an dernier, il y a une prise de position du gouvernement cubain pour redynamiser et redéfinir sa politique économique. Cette décision ne découle pas seulement d’impératifs nationaux mais aussi d’impératifs de défense de la Révolution car effectivement, les ennemis du pays utilisent la frustration des gens devant les limitations et les pénuries causées en grande partie par le blocus des États-Unis - pour les exploiter, les utiliser, et ainsi mousser le sentiment « anti-castriste ».

En un deuxième temps, l’Occident capitaliste utilise ces carences pour déclarer que le système socialiste ne fonctionne pas. Manipulation de A à Z, tant des citoyens que de l’opinion internationale. Il faut donc, pour le gouvernement cubain, éviter le risque d’un retournement des citoyens contre leur gouvernement, particulièrement chez les jeunes qui n’ont pas connu dans les faits ce qu’était le Cuba des années ’40 et ’50, ni la Baie des Cochons, ni les autres actes de sabotage qu’ont perpétrés les Posada Carriles et autres terroristes de Miami avec l’aide de la CIA, et qui ne voient que la différence entre eux et les jeunes étatsuniens gavés de gadgets électroniques. Voilà déjà une bonne raison d’apporter des changements.

Mais il y a aussi la gestion du pays et les réels progrès que doivent pouvoir constater les citoyens. C’est bien de pouvoir démontrer les réalisations du passé et même la solidarité internationale mais il faut aussi permettre aux citoyens de constater des progrès au pays-même. Parmi les problématiques importantes auxquelles le gouvernement doit répondre, il y a le fait que la population des 40 ans et moins a une excellente éducation mais ne trouve pas la possibilité, dans bien des cas, de mettre ses talents au service de réalisations à sa mesure et de connaître une amélioration de la qualité de vie qui y correspond. Aussi, la concurrence pour les postes supérieurs est-elle féroce, ce qui encourage la corruption et le népotisme également problématiques.

En dehors du milieu du travail, il y a d’autres facteurs qui jouent également. Il y le marché noir, habituellement constitué de réseaux de Cubains qui, en collusion avec des étrangers, leur fournissent des produits de luxe obtenus au prix local - par exemple des cigares haut de gamme avec sceau officiel contre paiement en dollars ou, exploitant les pénuries, contre des biens non disponibles légalement à Cuba qu’ils pourront ensuite revendre à prix fort auprès des citoyens cubains mieux nantis d’où perte de devises pour le pays.

Il y a aussi, comme dans pratiquement tous les pays, le travail au noir qu’on appelle souvent « système D », qui permet aux gens d’échanger biens et services nécessaires quoique dans l’illégalité. Il y a malheureusement aussi la prostitution qui vise deux choses : acquérir le maximum de CUC (pesos convertibles) ou trouver un éventuel conjoint qui permettra d’émigrer soit vers l’Amérique du Nord, soit vers l’Europe ce qui entraîne une perte de relève pour le pays. Un autre sérieux problème est celui du logement, où s’entassent plusieurs générations dans le même petit logement, ce qui entraîne des conflits interpersonnels et souvent l’instabilité matrimoniale et familiale. Tous ces facteurs font qu’il est vraisemblable de penser que le gouvernement en est arrivé à la conclusion que ces problèmes sociaux pourraient devenir des problèmes politiques à plus ou moins long terme et qu’il fallait chercher dans leur nature même et leurs causes les bases des véritables correctifs à apporter.

Le défi est donc de démontrer que le socialisme peut fonctionner, même face aux agressions d’autres pays, même face aux lourds défis qu’ils imposent à Cuba, à condition de le mettre à jour lorsque le besoin s’en fait sentir en l’ajustant aux exigences des citoyens au moment qui convient. C’est ce que le gouvernement fait en ce moment en effectuant le profond changement qu’il est en voie d’implanter.

Ces changements ne sont pas non plus simplement cosmétiques. La volonté de réaliser des changements en profondeur est reflétée par les ministères impliqués : Économie et Planification, Finances et Prix, Travail et Sécurité sociale. Il s’agit d’un travail mené avec cohésion par les divers secteurs du gouvernement touchés. À noter que le ministre de l’Économie est aussi Vice-président du Conseil des ministres.

Pourquoi maintenant ?

Ce genre d’élargissement de l’entreprise individuelle n’aurait pas été possible au début des années ’60 car le niveau d’éducation et de fonctionnalité n’existaient pas ou du moins n’étaient pas suffisants. Dans un tel contexte, afin d’assurer un emploi à chacun, les entreprises d’État ont embauché plus de main d’œuvre que nécessaire menant à ce que le gouvernement cubain appelle aujourd’hui des entreprises « enflées ». Ce n’est d’ailleurs que lorsque l’URSS s’est effondrée, qu’on a dû faire appel à toutes les ressources disponibles dans un contexte extrême. La préoccupation du gouvernement n’était pas, dans ces circonstances, de fignoler le système en place mais de survivre. Il n’est donc pas allé plus avant qu’absolument nécessaire dans cette direction.

Aujourd’hui, tenant compte des compétences des citoyens eux-mêmes et des sources de soutien aux entrepreneurs (conseillers techniques et scientifiques, cours de gestion...) il est tout à fait possible d’encourager une plus grande proportion de la population à prendre des initiatives. Depuis longtemps déjà - au moins un an ou deux sinon davantage - on peut régulièrement lire dans le journal Granma des « histoires à succès » de citoyens ordinaires qui ont entrepris une activité originale avec succès, surtout dans le domaine agricole, avec l’aide d’institutions et de conseillers locaux. Même chose pour de petites entreprises qui ressemblent à nos coopératives.

Un autre facteur majeur pouvant contribuer aujourd’hui à l’essor de l’économie de Cuba est l’ALBA (Alliance bolivarienne de notre Amérique), alliance tout d’abord avec le Vénézuéla auquel se sont ajoutés la Bolivie, l’Équateur et plusieurs autres pays tant comme membres que comme observateurs. (La présidente de l’Argentine a prononcé le discours d’ouverture de la dernière réunion). L’objectif est la solidarité et la complémentarité économiques qui va parfois, avec certaines îles particulièrement démunies des Antilles, jusqu’au troc. C’est donc par le biais de l’ALBA que le Vénézuéla aide Cuba à développer ses ressources énergétiques (pétrole et électricité) et ses moyens de communication (câble sous-marin pour faciliter la réception internet) en échange du travail de ses équipes de santé et d’éducation.

Le pays est donc mûr pour entreprendre une nouvelle dimension de son autonomie sans pour autant renier les principes de base de son organisation politique et économique. Il se peut que l’organisation des entreprises et du travail soient de plus en plus prises en main par les citoyens eux-mêmes et que la taille de ces entreprises augmente, mais je doute fort que la nature du financement de ces entreprises fasse éventuellement appel à l’investissement de capital privé. C’est d’ailleurs en cela que les entreprises collectives cubaines se distinguent de nos coopératives.

En quoi cette innovation peut-elle nous inspirer ?

Tout d’abord, si on regarde le contexte, certains facteurs nous rapprochent : au Québec comme à Cuba, l’éducation publique n’a été établie qu’au cours de la seconde moitié du siècle dernier, la majeure partie de la population n’ayant pas accès à l’éducation avant cette date. La capacité et le désir des Québécois de mettre sur pied des entreprises individuelles ou collectives est beaucoup plus importants aujourd’hui qu’auparavant, pour s’en convaincre on n’a qu’à se rappeler qu’au Québec les PME sont la plus grande source de création d’emplois. Finalement, les Québécois sont portés vers des types d’organisation collectivistes où le travail comme les revenus sont équitablement répartis.

Il est intéressant d’étudier l’organisation du soutien aux travailleurs autonomes et aux PME, autant sur le plan du soutien technique et scientifique que financier. Pourrait-on sortir des sentiers battus de l’investissement strictement privé ? Y a-t-il une interface entre les entrepreneurs et les institutions du savoir, ou encore des conseillers spécialisés disponibles pour appuyer les entrepreneurs ?

Puis il y a la couverture qu’on appelle à Cuba sécurité sociale qui représente chez nous assurance santé, assurance-emploi, fonds de retraite, assurance-décès à l’intention des familles, etc. Cette couverture est la même pour tous et ne dépend pas du fait d’être syndiqué ou non ou de bénéficier d’avantages sociaux particuliers. La qualité des prestations est aussi la même : il n’y a pas de services santé à deux vitesses ou d’éducation à deux vitesses. L’entrepreneur de cette façon, tout comme ses employés, a droit à l’assurance chômage et aux meilleurs services de santé même si son entreprise n’en est qu’à ses débuts ou modeste dans ses revenus.

En temps et lieu, il serait intéressant d’avoir l’occasion d’échanger avec des représentants cubains relativement aux aspects plus détaillés de l’organisation du travail autonome et de leurs PME. Je crois que nous trouverions plusieurs outils nous permettant de « démocratiser le travail » et de nous « réapproprier le contrôle de notre économie »...

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