“Tout le monde ment, tout le monde ment
Le gouvernement ment énormément”
Massilia Sound System
Ce que l’on sait aussi, c’est que le déficit présenté est hypothétique, et non permanent. C’est-à-dire que selon plusieurs prévisions il y a une parenthèse de déficit (mineur) probable, et un retour à l’équilibre sur le plus ou moins long terme. Et cela, toutes choses étant égales par ailleurs. Ce qui signifie, si les salaires restent comme ils sont, si les femmes continuent de gagner moins que les hommes, etc. Pas de quoi y focaliser toute son attention.
Pourtant, le gouvernement s’y engage. Il est capable de repousser la ligne d’arrivée (de la retraite) à des millions de travailleurs sur la base d’hypothèses mais est incapable de mettre en place une planification écologique digne de ce nom et une réduction radicale du gaspillage et des productions inutiles alors que les analyses du GIEC sont sans appel. Il nous reste 3 ans pour agir. Chaque tonne d’énergie fossile non brûlée compte. Tout ce qu’on peut préserver doit l’être. Malheureusement, on a plus le temps d’être réformiste (la stratégie des petits pas) et il est trop tard pour être pessimiste, comme le dit Daniel Tanuro. Le gouvernement ignore la vérité et la troque pour des fantasmes. Sa ligne est guidée par des scénarios hypothétiques abstraits, voilà ce qui domine sa pensée et son action, car il y a un déni de la réalité écologique. Aliéné par les chiffres, le gouvernement projette sur les médias et la population ses propres fantasmes et ses propres peurs par rapport aux différents scénarios du COR (Conseil d’Orientation des Retraites) alors que, comme on l’a vu, ces scénarios n’ont rien d’effrayant.
Sa peur d’un déficit hypothétique dans 10 ans pour les caisses de retraite est aveugle et infondée, quand les déforestations, l’acidification des océans, les sécheresses, les inondations et l’artificialisation des sols sont déjà là. Les rapports tombent, les témoignages fusent, les chiffres sur la fonte des glaces (source en eau pour des millions de personnes) sont impressionnants. [2]
C’est ce qui devrait l’effrayer et susciter toute son attention. Plutôt que de mentir avec le chantage habituel, “la réforme ou la faillite”, on aurait aimé que leur registre rhétorique soit utilisé pour agir contre l’effondrement en cours : une réforme écologique ou la faillite planétaire. La situation climatique n’est pas un mirage comparé aux craintes hypothétiques d’un déficit à venir pour les retraites. Le gouvernement brouille les pistes. Il mobilise sur des chimères alors que l’effondrement écologique quant à lui est réel, et peut tout emporter sur son passage. La réforme ou la faillite, mentent-ils, alors que l’enjeu est à la révolution sociale planétaire et à la rupture avec le productivisme pour nous donner une chance de ralentir le changement climatique qui s’accélère sous la pression d’une accumulation capitaliste mondiale. On est déjà dans le rouge, les animaux partis ne reviendront plus, le climat est déréglé et menace l’agriculture, les états insulaires, le cycle de l’eau, la fertilité de la terre, la vie des fonds marins… face à cela, c’est le vide. Les rapports du GIEC leur passent au-dessus. La planète reste aux mains des capitalistes qui sont toujours soutenus et abreuvés d’argent public qui magiquement serait censé profiter à tous en arrivant dans leur poche. [3] Leur poches sont pleines, les nôtres sont vides. Rien ne ruisselle. L’extraction se poursuit, la planète se réchauffe, la biodiversité qui nous soutient et nous fait vivre s’affaisse. Il est temps d’agir. Mais rien. Du greenwashing, des discours vides, des réformes qui visent à côté et des budgets qui tranchent avec les postures de façade (les budgets votés pour 2023 restent austéritaires, antiféministe et écocidaire). [4]
Le partage de la valeur
Les mêmes qui mettent en place une politique de l’offre et réduisent à peu de choses les droits, les salaires et les recettes de l’Etat, sont les premiers à s’étonner lorsque des déficits arrivent (ou pourraient arriver). La partie qui s’étonne oublie l’autre partie qui a fait main basse sur les cotisations sociales et à voté tout ce qui allait dans le sens d’une réduction de la fiscalité sur le capital. L’Etat est schizophrène. Après avoir tiré sur les caisses de retraite à coup d’exonération de cotisation sociale, il trouve le moyen de s’étonner que les caisses soient criblées de balles. Les déficits créés par l’Etat par la réduction des recettes ont permis d’emprunter sur les marchés financiers, ce qui a profondément transformé l’action publique et ce qui explique pourquoi la bureaucratie politicienne a une vision comptable de l’économie. Il s’agit pour elle de dégager des marges pour le patronat et les créanciers. Ce fut une réussite car le partage de la richesse nationale a pu être déséquilibré en faveur du Capital à partir de 1983. Il est cocasse que tandis qu’on a toujours été en croissance durant cette période (1983-1990), la part qui revient au salaire dans le PIB a presque perdu 10 points, puis est restée relativement stable ensuite. Cette perte représente entre 120 et 170 milliards d’euros par an.
D’ailleurs, selon l’économiste Michel Husson qui a énormément travaillé sur ces questions liées au partage de la valeur (entre autres), cette situation n’est pas propre à la France. On la retrouve en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs, et elle explique beaucoup de choses. [5]
Reprendre l’argent, c’est possible. S’il a basculé d’un côté à un moment de l’histoire, il peut basculer de l’autre, des dividendes, vers les salaires. Cette question du rééquilibrage du partage de la valeur entre Capital et Travail est centrale ; c’est au moins une étape vers laquelle on peut passer pour répondre aux besoins sociaux immédiats et entamer une bifurcation écologique en posant les bases d’un nouveau paradigme civilisationnel. Ça passe par un ralentissement général de l’économie, une réduction de la production et une réorientation de celle-ci vers des valeurs d’usage et non plus des valeurs d’échange. Produire pour garantir à tous un mode de vie soutenable et solidaire, et non pas laisser la machine s’emballer en produisant sans aucune finalité, faisant que symétriquement, plus l’argent s’accumule, plus la biodiversité se détruit.
Une question de société
Leur projet est clair : nous laisser sous le régime du dressage capitaliste et de l’exploitation le plus longtemps possible, jusqu’à en mourir. La bataille n’est pas seulement économique et encore moins seulement arithmétique. Les mesures des syndicats sont précises et si elles étaient appliquées le déficit (pour le moment imaginaire) disparaîtrait. L’enjeu c’est d’en finir avec cette civilisation où l’on sacrifie sa vie à la gagner pour un droit à la retraite qu’aujourd’hui on nous retire, et ce, au nom de la “justice” et de “l’équilibre” (ils n’ont honte de rien !). Des mensonges à répétition et une injonction à travailler plus qui ne passe pas, qui ne passe plus, car on travaille déjà suffisamment, mais le seul travail qui trouve grâce à leur yeux c’est le travail qui fournit de la valeur économique à un propriétaire. Le jardinage, le travail domestique, associatif… ça ne compte pas ! On ne veut plus bâtir ce monde qui n’est pas le notre, rester à genoux pour les profits de quelques-uns en collaborant avec l’effondrement de la biodiversité. Il n’est pas possible de concevoir comme horizon (et comme un progrès) le fait qu’une infirmière qui pouvait prendre sa retraite à 55 ans avant 2010 doive attendre 9 ans de plus (64 ans) aujourd’hui. La bataille commence. Elle lève le voile sur le mal être au travail et l’impossibilité de continuer comme avant encore longtemps. Certains se tuent à la tâche et voient mourir ; lisent la souffrance sur les visages ou mesurent les queues dans le couloir, debout, assis, sur des brancards. Certains travaillent et comprennent ce que ça veut dire de travailler sans moyen. Selon le syndicat Samu-Urgences de France (SudF), ce seraient environ 150 personnes qui auraient perdu la vie en décembre 2022 de manière « inattendue », faute de soins ou de prise en charge adaptée. Des morts déjà oubliés. Le sujet du jour n’est pas seulement la retraite, mais le travail. La souffrance au travail, l’impossibilité de le faire, l’obligation de le faire, malgré tout.
Même s’il est stupide, nocif, destructeur, humiliant, dégradant, ou qu’aucune condition ne soit réunis pour le réaliser sereinement et convenablement. Le régime du Capital c’est : “pas de travail, par le droit de vivre.” Et pourtant, paradoxalement, même ceux qui ont un travail n’arrivent pas toujours à bien vivre quand d’autres sont plus en galère, déjà dans une logique de survie dès le milieu du mois. Le mal est plus profond et il appelle à une mobilisation massive contre leur libéralisme autoritaire, pour un autre monde, et donc pour le renversement de l’ordre des choses
Avec un pouvoir qui use et abuse du 49.3, il est tant de reprendre le flambeau de la démocratie sociale. Avoir de nouveau des caisses de retraites gérés par les assurés eux-même. Avec des représentant(e)s élu(e)s, révocables ; il est temps de rallumer les étoiles et d’imaginer un futur sans croissance économique, sans productivisme, un futur libéré des dominations et du patronat. Un futur collectif, communautaire, au nom des générations futures et des générations ouvrières passées qui sont tombées pour nous.
Maxime Motard
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