Fabien Canavy est secrétaire adjoint du MDES (Mouvement pour la décolonisation et l’émancipation sociale). Avec lui, nous revenons sur la mobilisation qui secoue la Guyane depuis quelques jours.
Quelle est ton appréciation du mouvement actuel ?
C’est un mouvement qui touche toute la Guyane. Il est parti d’une revendication sur l’insécurité qui est pour nous une conséquence de la façon dont notre pays est traité depuis des centaines d’années. C’est le résultat d’une situation coloniale où l’on ne met pas de développement, où l’on ne met pas de l’éducation et qui conduit au chômage de masse et à toutes sortes de déviances : insécurité, trafic de drogue, alcool, suicide (notamment chez les jeunes autochtones).
On assiste aujourd’hui à un mouvement de grande ampleur qui s’interroge sur les causes. Par exemple, ce barrage sur le rectorat, pour l’éducation, pour des constructions scolaires (il faut construire 5 lycées, 10 collèges et 500 places en primaire d’ici à 2020), pour des programmes liés aux réalités de la Guyane, pour plus d’enseignants, des classes avec moins d’effectifs, un enseignement de qualité, et des enseignements en langues maternelles (il y a au moins 6 nations autochtones en Guyane, 4 groupes Bushinengé [descendants d’esclaves qui ont marronné], etc.) qui touche toutes les composantes de la société.
Et il y a un glissement des protestations du départ vers la recherche des causes et donc des solutions à la situation désastreuse actuelle. C’est un mouvement très positif qui est en train de se renforcer et il faut être vigilant, face au gouvernement qui va essayer de le fissurer, le diviser et l’affaiblir.
Des revendications qui remontent de toute la Guyane, c’est un mouvement assez inédit...
Oui et non. Oui par son ampleur, mais en Guyane, à peu près tous les 10-15 ans, il y a des mouvements sociaux où l’on voit surgir des revendications de toute nature, logiques et naturelles, de la part de populations qui souffrent dans leur quotidien à cause de leur conditions de logement, de l’absence de travail, et de la négation de leur culture. Du coup, des revendications de départ concernant l’insécurité, on assiste aujourd’hui à la remontée de multiples revendications.
En quoi consiste le collectif « Pou Lagwiyann dékolé » (« Pour que la Guyane décolle ») ?
C’est une fédération des collectifs qui essaie d’organiser les différentes revendications qui viennent de partout : associations, syndicats de profs, EDF, collectifs étudiants, lycéens et citoyens (Sic) qui sont actifs sur toute la Guyane, de Maripa-Soula, de Camopi, de Saül (les communes dites isolées car on ne peut y aller qu’en pirogue ou en petit avion). On espère que ce collectif des collectifs organise les revendications, mais fasse aussi en sorte que la mobilisation se maintienne !
Quelle est la place du MDES dans ce mouvement ?
Nous l’accompagnons de toutes nos forces, avec tous nos moyens, aussi bien par notre présence active sur les barrages que par nos prises de parole, par nos publications. Nous avons un tract qui s’appelle BIDIM, où l’on explique que le MDES connaît depuis 25 ans les causes de la grogne, et que ce qui nous arrive était prévisible. Et il s’agit de s’attaquer au mal par la racine, en grande partie liée à la situation coloniale en Guyane.
Que pense le MDES de la délégation interministérielle qui est arrivée en Guyane ?
C’est une marque de mépris du gouvernement français et aussi une manière de diviser, car nous voyons bien que certains secteurs vont essayer de négocier leur bout de gras avec la délégation. C’est préjudiciable au mouvement.
Le mouvement pourrait-il se diviser de cette façon ?
La garantie du mouvement, c’est l’engouement populaire, et nous l’avons déjà vu en 2008 pendant les grandes manifestations contre la hausse des prix du carburant.
Quels sont les ministres attendus en Guyane ?
C’est le collectif des 500 frères qui a demandé la venue des ministres de l’Intérieur, de la Santé, des Finances et de l’Agriculture, pour traiter des problèmes de fond que nous connaissons.
Un dernier mot ?
Je souhaite que l’enthousiasme se maintienne, car aujourd’hui nous n’avons pas le droit d’abandonner le peuple guyanais qui se mobilise sur les barrages.
Propos recueillis par Leila Soula
P.-S.
* Hebdo L’Anticapitaliste - 377 (30/03/2017) :
https://npa2009.org/actualite/international/guyane-le-resultat-dune-situation-coloniale