Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur les politiques d’alliance

Une alliance sociale basée sur une plate-forme Solidaire mobilisatrice

Un Québec indépendant de plein emploi écologique

La direction de Québec solidaire, consciente qu’elle a perdu l’initiative politique suite à ses consensuelles pratiques pragmatistes [1] et à ses concessions à l’identitarisme [2] pour soi-disant plaire à l’électorat des banlieues et des régions, donne un coup de barre consultatif vis-à-vis les mouvements sociaux sur la base... d’une page blanche. Le « Chantier du Renouveau politique 2018 » veut « entamer un dialogue avec les acteurs et actrices du changement social » [3] où Québec solidaire va « surtout écouter » [4] pour « poser les bases d’une convergence électorale avec la société civile. » Fort bien.

Mais il semble que le parti, après plus de dix ans d’existence, n’ait rien à dire à propos de son orientation à lui, en particulier de ses propres idées pour sa prochaine plate-forme électorale 2018. Le parti fait comme s’il n’y avait pas eu de congrès au printemps qui a nettement radicalisé son message anticapitaliste et écologique. Il retient plutôt de l’expérience Faut-qu’on-se-parle la récupération de son principal animateur comme « sauveur suprême ». C’est là un truc éculé d’un parti traditionnel qui change de « chef » pour modifier son image.

En parallèle, le « deuxième volet du Chantier concerne[ra] les collaborations avec d’autres partis politiques, dont le Parti québécois et Option nationale. » Pour ce faire, « Québec solidaire tiendra une journée nationale et régionale de réflexion et de discussion sur les alliances électorales le samedi 8 avril prochain [...qui] débutera par un panel qui sera diffusé sur le Web. Toutes les associations locales et régionales seront invitées à tenir, par la suite, des rencontres de discussion sur ce thème [puis] [l]ors du congrès de mai 2017, les membres de Québec solidaire seront appelés à trancher sur la possibilité d’alliances politiques ou électorales et, le cas échéant, sur la forme éventuelle que prendront ces alliances. »

Voilà qui est beaucoup plus précis et beaucoup plus structuré. Il ne faut donc pas se surprendre que les « suites » de ce deuxième volet « détermineront la poursuite du dialogue avec la société civile et les partis politiques... » [5] Mais encore là, on ne voit pas ce projet de plate-forme inspiré du dernier congrès qui encadrerait ce débat. C’est là laisser l’initiative au PQ qui a déjà rendu public son propre projet de plate-forme, dit « proposition principale », depuis janvier dernier.

La charrue de l’alliance avant les bœufs de la plate-forme

La logique de l’opération tombe sous le sens. Le panel du 8 avril donnera le cadre à penser des alliances pour la discussion subséquente et surtout pour la décision cruciale du congrès de mai. Ce processus aura cours sans même que soit disponible le canevas d’une plate-forme électorale sous prétexte qu’il y a consultation de la militance du mouvement social pour y arriver. Puis le cadre des alliances fournira les contraintes de la plate-forme qui sera finalisée à l’automne et peut-être même au printemps 2018. Ainsi, l’alliance sera mère de la plate-forme et non pas vice-versa alors qu’en démocratie le programme encadre les choix des partenaires et des porte-parole. Si « [a]u PQ, choisir un chef, c’est choisir un programme » [6], serait-ce qu’à Québec solidaire, choisir une alliance, puis une figure charismatique, c’est choisir une plate-forme ?

La direction du parti proclame qu’il « ne peut y avoir de renouveau politique sans changer le système économique » ce pour quoi il faut « un projet de société et celui d’un pays » [7] Bravo. Mais les porte-parole et députées du parti se contentent d’évoquer quelques constats sans avancer un seul élément programmatique. On se demande alors à quoi peut avoir servi un long et laborieux processus programmatique de dix ans, qui justement s’achèvera lors du congrès de mai. Est-ce pour occuper les membres férus d’idées pendant que la direction s’occupe, loin de la vigilance militante, de la politique réellement existante ?

Pourtant le congrès du printemps 2016 avait clamé haut et fort en quoi consistait le noyau dur de ce « projet de société » capable de « changer le système ». D’abord sur le terrain idéologique, il réaffirma la nécessité de la « socialisation des activités économiques » et non pas seulement de « certaines » d’entre elles. Il rejeta toute idée d’« équilibre » entre économie publique et économie privée pour au contraire réaffirmer « l’exploration de systèmes économiques alternatifs ». Il souligna que nos économies ne sont pas que « complexes » mais qu’elles sont avant tout « capitalistes » et « essentiellement axées sur le profit ». Prenant de l’assurance, le congrès atterrit sur le terrain proprement politique en se déclarant pour une diminution très audacieuse des émanations de gaz à effet de serre des deux tiers d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990, conformément aux objectifs des Accords de Paris, tout en écartant les néolibéraux et dysfonctionnels marché et taxe carbone.

Un tournant pour une plate-forme de plein emploi écologique pour sortir du pétrole

Reste à concrétiser le tout par un plan pour sortir du pétrole, plan appelé à être le fil de plomb de la plate-forme électorale 2018. On attendait une première version de cette plate-forme lors du congrès suivant sinon plus tôt. On a droit à la fuite en avant d’une consultation sur la base d’une page blanche doublé d’un énième débat sur les alliances dans le vide programmatique.

Côté projet de société, la montagne risque d’accoucher d’une souris « lisse et éthéré[e], apparemment décontextualisé[e], détaché[e] de toute histoire concrète, vidé[e] de toute logique conflictuelle » [8] tel le bilan de la tournée de Faut-qu’on-se-parle loin de tout « changement de système ». La contradiction est flagrante entre ce contenu mou et l’image radicale de la nouvelle vedette Solidaire. Il serait d’autant plus dangereux pour le parti de se prendre au même piège par un populisme blâmant comptables et avocats qui laisse prise trop facilement à la critique du PQ [9].

Ou ce sera la régression vers le pragmatisme d’il n’y a pas si longtemps [10] ou ce sera une radicalité assumée. Capitulerons-nous pour « disparaître » ou serons-nous « quelque chose comme un grand peuple » qui jouera son rôle, pourquoi pas mondial comme lors de la Marche mondiale des femmes, pour sauver la civilisation des affres de sa crise générale dont la crise climatique est l’amorce ?

À la suite, je propose un canevas de plate-forme électorale concrétisant les résolutions programmatiques du congrès de mai 2016. Il est indispensable pour encadrer tant le débat sur les alliances que la démarche de consultation du mouvement social tout en évitant le populisme de gauche. Le congrès de mai pourrait l’imposer, ou un semblable, comme cadre de référence.

Marc Bonhomme, 12 mars 2017,
www.marcbonhomme.com  ; bonmarc@videotron.ca


Un Québec indépendant de plein emploi écologique pour sortir du pétrole

Le prochain congrès discutera pour la cinquième fois dont trois d’affilée de nos rapports avec le PQ que ce soit sous l’angle de la stratégie pour l’indépendance ou celui de l’alliance électorale. La raison en est que ce dilemme est impossible à résoudre dans le cadre de la Constituante car une Constituante dite démocratique paraît renier l’indépendance et une dite indépendantiste paraît renier la démocratie. De même la stratégie de la Constituante qui par sa longueur et à cause de prévisibles coups fourrés de l’ennemi fédéraliste reporterait probablement le référendum à un deuxième mandat pose la contradiction de la gouvernance indépendantiste dans un cadre fédéral très hostile pendant tout un mandat, au mieux pendant sa plus grande partie.

Au prochain congrès, il faut se sortir de ce double piège péquiste. Pour éviter ce cul-de-sac et l’isolement que l’alliance avec le PQ prétend résoudre, reste à proposer une alliance populaire qui ne peut que s’adresser aux mouvements sociaux et surtout à la jeunesse qui déserte la cause indépendantiste... à moins qu’elle ne soit comprise comme indispensable à la cause écologique et à celle de la justice sociale dont le caractère écologique est sous-estimé. Idem pour la cause de la paix mondiale. Tant la répression que le militarisme et ses guerres, envenimées par la crise climatique, dévastent l’environnement par la grande intensité énergétique des armées, par ses destructions appelant une nécessaire reconstruction et par la paralysie sociale due à haine faisant le lit de l’impérialisme et de sa contrepartie, le djihadisme.

Une plate-forme de plein emploi écologique sur la base des décisions du congrès du printemps 2016 sort le peuple québécois des pièges péquistes. La direction Solidaire craint de ne pas avoir la réponse parfaite pour populariser la nouvelle cible radicale, mais conforme à la science et aux objectifs des Accords de Paris, de baisser des deux tiers d’ici 2030 par rapport à 1990 les émanations de GES, pour faire connaître l’opposition du parti tant au marché qu’à la taxe carbone. Elle craint d’être perçue comme sectaire en allant faire paître le PQ et son factice mouvement populaire, les Organisations unies pour l’indépendance (OUI). Pourtant la campagne au nom du socialisme de Bernie Sanders a démontré que des millions de personnes aux ÉU ont compris la nécessité de solutions radicales. En serait-il différent dans le Québec du Printemps érable ? La réponse à la montée fulgurante de l’extrême-droite populiste ne peut être que la radicalisation de la gauche invitant le mouvement social à la suivre.

De grands chantiers écologiques au cœur de la plate-forme

Le radicalisme du dernier congrès sur la crise climatique appelle à une plate-forme qui soit une remise à niveau et un élargissement du Plan vert pour sortir du pétrole de 2014. Il faudra, par exemple, réhabiliter selon la fine pointe de la technologie écologique d’ici 2030 ou peu après l’ensemble du stock de bâtiments du Québec. Plus crucialement, car c’est là où le bât blesse, il faudra imposer en 15 ans le transport électrique des livraisons de proximité et être très avancé dans la transition du transport à longue distance par cabotage et par train intermodal. Le transport des personnes devra être assuré majoritairement en 2030 d’abord et avant tout par le transport collectif électrifié et un complément d’auto-partage communautaire plus important dans les petites villes et les villages.

Québec solidaire est un parti de gauche qui pressera le citron capitaliste. Il ne subventionnera pas les entreprises qui abaisseront leurs coûts suite à davantage d’efficacité énergétique à laquelle elles seront tenues. Toutefois, la Banque d’État préconisée par les Solidaires sera prête à financer les PME délaissées par les banques de même que les petits et moyens propriétaires devant rénover leurs logements tout en assurant une protection des loyers. L’ensemble des institutions financières et para-financières sera mobilisé pour financer à bon compte la plate-forme pour le plein emploi écologique.

Ces grands chantiers écologiques seront la voie royale vers le plein emploi, épine dorsale de la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités, que l’on pourra à juste titre qualifié d’écologique. Ces grands chantiers du Plan vert Solidaire annonçaient 160 000 emplois. La plate-forme pour le plein emploi écologique y ajoutera un réinvestissement massif anti-austérité dans les services publics car ces emplois sont aussi écologiques en plus d’être féministes parce que les femmes en sont les principales bénéficiaires tant comme travailleuses rémunérées que comme travailleuses domestiques.

Ces emplois requièrent en effet une masse d’énergie humaine mais très peu d’énergie fossile tout comme ils enrichissent les relations personnelles aux dépens du consumérisme. Cet enrichissement sera comblé par la baisse du temps de travail sans baisse de revenu qui libérera du temps pour socialiser, s’éduquer, créer et militer. La hausse du salaire minimum à 15$ est aussi écologique car une travailleuse pauvre est forcée à acheter de la pacotille vite à renouveler, de la nourriture agro-industrielle et souvent une vieille auto énergivore tout comme à louer un logement mal isolé.

Québec solidaire n’attendra pas les Calendes grecques pour légiférer en termes de zonage, de code du bâtiment et autres obligations afin d’amorcer le processus d’une ville sans auto solo et sans bungalow. La ville nouvelle aura comme complément une agriculture biologique de fermes familiales et coopératives adéquatement soutenues pénétrant le tissu urbain et liée à la ville par un maximum de circuits courts impliquant obligatoirement les entreprises de distribution alimentaire.

Les ménages québécois, une fois bien au fait par l’intermédiaire d’une adéquate campagne d’information, seront heureux de cet immense soulagement budgétaire consistant à se débarrasser de leurs automobiles en faveur d’un transport public gratuit du XXIiè siècle qui n’a rien à voir avec le REM (voir annexe), de renoncer à la maison unifamiliale et même en rangée en faveur d’un logement collectif de qualité adossé à des services de proximité, à un réseau bicyclette-piéton et au transport public, y compris l’autopartage, et avec accès à l’agriculture urbaine au sol ou sur les toits.

Un plan financièrement réaliste, à gratuité mobilisatrice et requérant l’indépendance

Il faut arrêter de flipper à propos du financement. Le Plan vert 2014 prévoyait cinq milliards par an an, ce qui permet amplement d’amorcer la pompe. Une réforme fiscale en profondeur dont le blocage des paradis fiscaux y suffirait. La Coalition mains rouges a démontré que le seul Québec fédéral pouvait aller chercher dix milliards $ de plus l’an en revenus fiscaux supplémentaires. Le cadre financier Solidaire 2014 prévoyait des revenus fiscaux supplémentaires de treize milliards $ l’an. Rappelons-nous que financement ne signifie pas nécessairement dépense budgétaire mais investissement récupérable. On finance les négawatts de la réhabilitation énergétique des bâtiments et des flottes de camions électrifiés de la même manière que les mégawatts d’Hydro-Québec. Sauf que l’usager payeur, grâce à la conservation de l’énergie, débourse moins pour payer sa dette que ses frais énergétiques initiaux.

La clef de voûte mobilisatrice de la plate-forme pour le plein emploi écologique en est la gratuité du transport collectif sur dix ans. Cette revendication-clef a le même potentiel mobilisateur que la gratuité scolaire l’a été vis-à-vis le Printemps érable de 2012. D’ailleurs la gratuité scolaire, comprise dans le cadre d’une éducation citoyenne et non marchande, est intrinsèquement écologique car elle ouvre la porte à la compréhension articulée et scientifique des grands équilibres écologiques, à l’analyse des causes des crises écologiques tant climatique que de la biodiversité et des pollutions qui ont tout à voir avec la logique exponentielle de l’accumulation capitaliste, à la recherche et à la mise en place de solutions qui ont tout à voir avec la socialisation des grands moyens de production dont la Finance, les système de transport et d’énergie et les entreprises d’exploitation des ressources naturelles.

Le plein emploi écologique nécessite l’indépendance pour détenir les pouvoirs constitutionnels pour le réaliser et surtout pour se débarrasser de l’humiliant et paralysant fardeau du Quebec bashing : Les pouvoirs requis pour contrôler la Finance et les changes grâce à une monnaie nationale, ceux pour que le Québec ne devienne pas une passoire pétrolière et gazière et pour qu’il se sorte d’accords de libre-échange masquant la dictature des transnationales. Seul un tel projet de société emballant redonnera le goût du français à la jeunesse qui n’accepte pas la répression linguistique sauf celle contre le patronat en ce qui concerne la langue de travail et celle commerciale ; facilitera l’intégration des communautés culturelles, surtout en termes d’emploi, et leur adhésion à la québécitude loin du néolibéralisme guerrier que fuient les réfugiées ; favorisera les relations de peuple à peuple, y inclus ceux canadien et étasunien, pour obtenir leur accord au projet indépendantiste et pour établir des ententes commerciales, financières, scientifiques, culturelles réciproquement avantageuses et, pourquoi pas, pour aller dans la même direction que le peuple québécois... ou vice-versa.


Annexe : Une alternative écologique et populaire au REM, au même coût

Le REM sert les intérêts de la Finance, de « l’industrie de la corruption » et de Bombardier et « oublie » tant l’est de Montréal que le restant du Québec. Comme alternative au même prix, on peut s’inspirer du « Grand virage » :

— Pour un budget semblable au REM, le Grand Virage inclut les lignes suivantes de tramway : 1. Anjou/Pie-IX/CHUM ; 2. Laval (Saint-Mart in)/Pie IX/métro Pie-IX ; 3. Métro Lionel-Groulx/Lachine/aéroport ; 4. Centre-ville/pont Champlain/Dix30 ; 5. Centre-ville/pont Champlain/Taschereau/métro Longueuil ; 6. Centre-ville/Côte-des-Neiges ; 7. Le Carrefour/métro Montmorency/Bois-Francs.
— Le Grand Virage inclut aussi 3 stations de métro : Pie-IX, Poirier et Bois-Francs.
— Il sera même possible de financer une ligne de tramway à Gatineau et une à Québec.


[4Québec solidaire, Renouveau politique 2018, visité le 23/02/17

[7Amir Khadir, Manon Massé et Andrés Fontecilla, Converger vers le renouveau politique, Le Devoir, 23/02/17

[9Marco Bélair-Cirino, Gabriel Nadeau-Dubois est-il parlable ?, Le Devoir, 11/03/17. L’accusation de « trahison » exige une explication en termes de rapports de classe, comme quoi le PQ est un parti interclasse tenant un discours de gauche masquant une politique réellement existante de droite, d’où la trahison, le tout lubrifié par l’identitarisme.

[10Pierre Mouterde, Après le départ de Françoise David, où s’en va Québec solidaire ?, Presse-toi-à-gauche, 24/01/17 : « ...questionner de front les limitations de cette approche pragmatique, consensuelle et à court terme qui a servi jusqu’à présent de boussole principale à QS. »

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