Les député-e-s et le président sortant de QS résumaient bien l’urgence de mettre fin au saccage néolibéral : « Après deux décennies d’aggravation des guerres, de perturbations climatiques et de dictature des marchés, il y a plus de vacarme que jamais dans la furie du monde. (…) La corruption des élites, la soumission des politiciens aux forces économiques, la mondialisation se manifestent de diverses façons dans notre quotidien. L’État perd de sa souveraineté. L’austérité s’installe à demeure et nos services sont peu à peu démembrés. Les inégalités augmentent et les règles confuses du vivre-ensemble alimentent l’intolérance et le racisme qui prennent aujourd’hui la couleur de l’islamophobie. La quête d’égalité des femmes stagne, l’école publique est malmenée, le français recule et la culture est oubliée par les pouvoirs publics. Notre économie se comporte en climatosceptique et s’enfonce dans l’énergie fossile. Même la démocratie de carte électorale ne vit pas des jours glorieux. » [2]
Ainsi, le projet central est de relancer le Québec sur la voie du progrès social et de réformer le mode de scrutin pour qu’on cesse une fois pour toutes de débattre accessoirement de “convergence”. Mais surtout, c’est un projet politique pour que les Québécois-e-s cessent de souffrir du néolibéralisme, voient se concrétiser au quotidien l’égalité des chances et la justice sociale et remplacent leur cynisme par l’espoir d’une démocratie citoyenne où elles et ils ont leur mot à dire sur l’avenir du Québec.
« Converger » pour ne plus avoir besoin de le faire
Ce vaste chantier pose entre autres la question des ententes électorales entre Québec solidaire avec d’autres formations politiques, et plus particulièrement avec le Parti québécois (PQ). Ce n’est pas pour rien : le mode de scrutin uninominal à un tour est une des causes du blocage actuel et il importe de trouver une façon de le contourner pour que que le prochain gouvernement mette en œuvre le projet dont il est question plus haut et dont les grandes lignes sont exposées plus bas.
Avec le mode de scrutin actuel, ce n’est pas une seule course que nous avons lors d’une élection générale, mais bien 125 pour chacune des circonscriptions. Le parti qui en remporte le plus grand nombre forme le gouvernement, qu’il soit majoritaire ou minoritaire et peu importe s’il récolte ou non une majorité d’appuis populaires.
Avec ce mode de scrutin dépassé, où les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale se divisent le vote francophone, c’est le Parti libéral qui est avantagé car il peut compter sur le vote « en bloc » des communautés anglophones et issues de l’immigration. Cela lui assure près d’une quarantaine de sièges, soit presque le tiers de tous les sièges à l’Assemblée nationale. Cela le place à une vingtaine de sièges seulement de la majorité (qui est de 63) requise pour gouverner comme bon lui semble. En avance, et de loin, sur ses adversaires politiques : le PQ, qui forme l’Opposition officielle et donc en théorie le plus à même de chauffer le PLQ, a deux fois moins de circonscriptions « acquises » et est d’autant plus loin du pouvoir, si on se fie à peu près à tous les sondages sortis depuis 2014.
Toutefois, pour la première fois dans l’histoire du Québec cinq partis politiques (PQ-QS-ON-CAQ-PVQ) sont en faveur d’une réforme du mode de scrutin [3]. Mais plus encore, ces partis s’entendent pour que le nouveau mode de scrutin en 2022 soit mixte compensatoire, comme le propose QS [4]. C’est du jamais vu un aussi fort consensus des partis politiques. Dès lors, en autant qu’une de ces formations soit celle qui remporte le plus de sièges en 2018, la réforme du mode de scrutin a des fortes chances d’avoir lieu si elle est un enjeu central de la prochaine campagne électorale et que le prix à payer pour ne pas la réaliser soit fort élevé, assez pour obliger le prochain gouvernement à respecter son engagement. [5]
À l’inverse, si les Libéraux remportaient les prochaines élections, nous pouvons oublier la réforme du mode de scrutin : ils ont clairement dit tout récemment que le système actuel servaient bien leurs intérêts. Et malheureusement, s’il y a bien une chose sur laquelle s’entendent tous les sondages sortis depuis l’élection de 2014, c’est que les Libéraux formeraient le prochain gouvernement, malgré tous ses déboires et ses faux-pas. En ce sens, la réforme du mode de scutin est une condition sine qua non rattachée à la “convergence”, pour ainsi ne plus avoir à discuter de cela dans le futur et s’assurer que la composition de la députation à l’Assemblée nationale reflète l’expression du vote populaire dans toute sa diversité.
« Converger » pour répondre au souhait de celles et ceux qui nous appuient
C’est dans ce contexte que les appels à la « convergence » du PQ et de QS se multiplient. Depuis 2012 en particulier, des forces vives au Québec souhaitent que ces deux partis trouvent une solution pour éviter de « diviser le vote » des Québécois-e-s souverainistes et progressistes et ainsi court-circuiter l’avantage « structurel » du PLQ. Aucune de ces forces sociales n’a cependant trouvé la « formule magique » pour y parvenir. Mais toutes ont au moins estimé que des discussions sur les moyens à prendre pour contourner le mode de scrutin représentent un début nécessaire pour battre les Libéraux en 2018. Finalement, toutes ont répété à plus d’une occasion que la volonté politique de QS et du PQ est un pré-requis à une possible conclusion positive en ce sens.
Même les électeurs et les électrices du PQ et de QS, sondés en 2013 et en 2016, ont affirmé en majorité être prêts à transférer leur vote en faveur d’une candidature unique provenant d’une des deux formations politiques. En effet, en 2016, 75% des électeurs-trices solidaires étaient prêt-e-s à voter pour un-e candidat-e unique issu-e des rangs de QS ou du PQ. Du côté péquiste, ce sont 80% des électeurs-trices qui feraient de même.
Les membres de QS ont aussi envoyé un signal clair lors du Conseil national en novembre dernier en rejetant tous les amendements qui visaient à exclure le PQ du chantier sur le « Renouveau politique ». Mais ces mêmes membres ne sont dupes : le PQ n’est pas QS et vice-versa. Et c’est sans parler du fait que le PQ nous a habitué à « flasher » à gauche dans l’opposition et à gouverner à droite une fois au pouvoir. C’est pour cela que lors de ce même Conseil national, les membres de QS ont clairement indiqué que la « convergence » ne se fera pas à tout prix, mais qu’elle sera résolument progressiste et indépendantiste, féministe et inclusive, de gauche quoi ou elle ne sera pas !
Converger pour progresser et sortir de la marginalité
Pour le moment, QS demeure dans la marginalité aux yeux d’une bonne partie de la population. C’est bête à dire, mais à 10% et avec 2 ou 3 député-e-s, le travail accompli est gigantesque mais au final a peu d’effets globalement sur le sort du Québec. Plus longtemps QS sera marginal aux yeux de cette population, plus ça sera difficile de s’en sortir. Rejeter la « main tendue » du PQ, avant même que soient débutées les discussions, confirmerait à ses yeux l’impression que QS « n’est pas un parti sérieux », tout au mieux un « tiers parti » qui se contente d’être la conscience sociale du Québec ou au pire, un parti qui pense d’abord à ses propres intérêts avant ceux du peuple qu’il aspire à gouverner.
Se répartir des circonscriptions avec le PQ aux prochaines élections, où le ou la candidat-e de QS serait l’unique candidature pourrait permettre à QS de faire élire davantage de député-e-s, une « vraie équipe » de Solidaires à l’Assemblée nationale, provenant de Montréal et de d’autres régions également. Ça lui permettrait de sortir de la marginalité et d’obtenir le statut de formation politique à l’Assemblée nationale avec l’élection de 6-12 député-e-s [6]. Au niveau parlementaire, cela signifie une grande différence en termes de temps de parole et de ressources financières et humaines. Par conséquent, cela ouvre des portes en ce qui a trait à la couverture médiatique. Mais plus important, l’élection d’un équipe de Solidaires procure à la fois des ressources et un rayonnement « sur le terrain », à Montréal mais en régions également, que nous n’aurions pas sans l’élection de cette « équipe » de Solidaires la prochaine fois.
L’expérience acquise dans ce contexte n’a pas de prix pour la prochaine fois. S’il s’agit d’une étape par laquelle QS doit passer pour accroître sa crédibilité et ses assises populaires en vue de former l’Opposition officielle, voir même le gouvernement en 2022, bien tentons le risque. Il serait plus coûteux de ne pas l’essayer.
Converger pour mettre fin au règne néolibéral
Mais « … des stratégies de coulisse et des ententes électorales entre partis politiques ne peuvent constituer une réponse suffisante. L’ambition d’un renouveau politique qui dépasse l’horizon d’une nième gestion de l’austérité, qui débouche sur un projet de société et celui d’un pays, n’est réalisable que si elle est partagée par une vaste convergence des forces sociales progressistes et indépendantistes », comme le disaient si les député-e-s de Québec solidaire et son président sortant. [7]
C’est pourquoi la “convergence” implique l’ensemble des forces vives de la société québécoise, des partis politiques aux syndicats, en passant par les organismes communautaires et toutes celles et ceux qui en marre du règne du PLQ et du néolibéralisme au Québec. Aujourd’hui, des gens souffrent de ces maux que sont la privatisation et la tarifications de nos services publics, la corruption et les magouilles de l’élite politique, l’enrichissement des plus riches et l’accroissement des inégalités, la vente à rabais de nos ressources naturelles et le rétrissement de la biodiversité et cela sans parler de la montée de la droite populiste, raciste et xénophobe. Ces gens sont dans la rue, se cherchent encore un emploi, attendent de voir un médecin, ne trouve pas de spécialistes pour leurs enfants, se cherchent un logement ou un moyen de manger trois repas par jour, subissent les préjugés, etc.
Il devient urgent de mettre fin à ce saccage. Plus on attendra avant de renverser la tendance, plus il sera difficile de le faire. Les réformes mises en place sous Charest et poursuivies par le gouvernement Couillard sont structurelles : elles font, par exemple, de la “capacité limitée de l’État de payer” pour des services publics dignes de ce nom un dogme pour justifier les coupures budgétaires. Dans le fond, elles maintiennent l’illusion que les classes populaires pourront un jour s’en sortir et grimper dans l’échelle sociale. Si la “convergence” peut augmenter les probabilités que cesse le saccage et inverse la tendance, en faveur de politiques progressistes, il est impératif de l’essayer.
Un programme clair pour un Québec… solidaire
Mais il ne suffit pas de battre les Libéraux la prochaine fois. Il faut que cela marque la fin de ce saccage et le début de quelque chose de nouveau, d’audacieux et d’ambitieux. Quelque chose comme :
« … un projet politique inclusif pour la réalisation de la souveraineté, féministe et solidaire des Premières Nations et des Inuits et de leur droit à l’autodétermination, porteurs de valeurs comme la fin de l’austérité et le réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux, l’égalité entre les femmes et les hommes, le féminisme, la diversité, une transition écologiste et la fin du développement des hydrocarbures et proposant un nouveau mode de scrutin mixte compensatoire qui établit une véritable représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale. »
C’est le projet de société que pourrait proposer QS au Parti québécois et à Option nationale. Ce pourrait être les fondements d’une plate-forme électorale commune, défendue par des candidat-e-s uniques lors de la prochaine campagne électorale. Et au final, c’est le programme que s’engagerait à réaliser le prochain gouvernement qui sera élu en 2018.
Sur ces bases, pourraient se tenir des discussions ouvertes entre les trois formations politiques et quelque part au début de 2018, conduire à une Alliance populaire aux prochaines élections.
Stéphane Lessard