Tiré du site du Courrier (Suisse).
Arrivé à l’entrée du parc, il nous faut passer les contrôles de sécurité draconiens. Munis de notre accréditation du HDP (le Parti démocratique des peuples, organisation majoritairement kurde qui met sur pied la manifestation), nous sommes immédiatement arrêtés par un policier aux cheveux longs et à l’air patibulaire. « ça ne vaut rien », dit-il jetant par terre la carte aux couleurs du drapeau kurde, jaune, vert et rouge. Après quelques minutes de négociation, nous pouvons repartir.
« Imposer le silence »
Petite subtilité, les deux logos de la manifestation qui représentaient un homme en train de combattre et les signes de la victoire, ont été masqués au moyen d’autocollants blancs. Ayse, notre aide sur place s’exclame : « Ici, tout est comme ça, nous n’avons pas le droit d’amener des drapeaux qui sont rouge, vert et jaune. Du coup, les gens en prennent trois différents et les assemblent sur place. »
Sur l’estrade, face à une foule de plusieurs centaines de milliers de personnes, les leaders du parti kurde qui ne sont pas en prison sont tous présents. Parmi eux, un homme à la moustache blanche se distingue. Il s’agit d’Ahmed Türk, le maire de Sanli Urfa, une ville à majorité kurde tout près de la frontière syrienne. « Depuis le début de la semaine, plus de 1000 personnes ont été arrêtées. Ils mettent les élus HDP en prison sans le moindre procès et les remplacent par des fonctionnaires. Leur but c’est d’imposer le silence au peuple kurde. »
Aussi en Syrie et en Irak
Derrière lui, Dilek Oçalan, la plus jeune femme élue au parlement en Turquie, se lance, exaltée : « Cet évènement a une valeur historique. Malgré les arrestations, les tortures, les couvre-feu, les conditions difficiles et le processus d’état d’urgence, la participation de millions de personnes montre notre désir de trouver une solution. »
Démarrant tôt dans la matinée, la cérémonie se poursuit au rythme des danses traditionnelles, des « Biji Kurdistan » (Vive le Kurdistan) et des hommages à Abdullah Oçalan, leader du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit) en prison depuis les années 1990. Sur un grand écran, on peut suivre en parallèle le Newroz en Syrie, en Irak et à Mardin dans le sud-est de la Turquie. Dans une ambiance bon enfant, les familles et les groupes d’amis agitent leurs drapeaux qui invitent à voter non au référendum.
Ancien étudiant en droit à Diyarbakir, Ahmed est venu spécialement d’Izmir pour célébrer le nouvel an. « La mythologie de Newruz où la population se rebelle contre un roi cruel fait écho à ce qu’Erdogan est en train de faire. Du coup, la symbolique est encore plus forte. Alors même que notre peuple vit ici depuis 5000 ans, nous vivons dans une prison à ciel ouvert. »
Un étudiant tué
Alors qu’il se rendait à la fête du printemps, Kemal Kurkut a été abattu par la police. Selon cette dernière, l’étudiant de 23 ans était muni d’un couteau. Pourtant comme le dénoncent certains membres de l’opposition, des photos le montrent à torse nu. À l’intérieur du parc, malgré les hauts-parleurs qui crachaient de la musique kurde à plein volume, des manifestants ont entendu les coups de feu. Enième bavure policière pour les uns, réponse musclée à une potentielle attaque terroriste pour les autres, ce triste événement rajoute encore de l’huile sur le feu d’une situation qui devient de plus en plus explosive à mesure que la date du référendum s’approche. AHI