De Paul Beaucage
Parmi les pièces qu’Archambault a écrites, il convient de citer certaines de ses plus réputées : Cul sec (1993), Adieu beauté, la comédie des horreurs (1998), La société des loisirs (2003) et, assez récemment, Une mort accidentelle (2017). En ce qui a trait à Tu te souviendras de moi (2013), il faut signaler que l’on a présenté cette création dramatique au Théâtre La Licorne en 2014. Or, l’œuvre concernée a reçu un accueil favorable de la part du public et de plusieurs observateurs (trices) du monde du théâtre. En conséquence, les programmateurs (trices) d’Ici Radio-Canada Première ont jugé opportun de présenter, sous la forme d’un radiothéâtre, le drame Tu te souviendras de moi (2020). Les amateurs (trices) de théâtre peuvent encore procéder à l’audition de cette œuvre en se rendant sur le site internet du radiodiffuseur public puisqu’elle est disponible en baladodiffusion.
L’argument de Tu te souviendras de moi
On peut résumer la pièce de François Archambault comme suit : Édouard, un professeur d’histoire à la retraite, souffre de la maladie d’Alzheimer depuis quelque temps. De manière naturelle, il tente de minimiser les problèmes psychophysiologiques qui affectent sa santé. Cependant, son épouse, Madeleine, est lasse de s’occuper de lui. Aussi, décide-t-elle, un jour, de confier la garde d’Édouard à sa fille Isabelle, une journaliste connue. Toutefois, cela ne va pas de soi puisque la quadragénaire doit s’acquitter de ses activités professionnelles. N’empêche que le conjoint d’Isabelle, Patrick, consent à garder le vieil homme pendant une fin de semaine. Néanmoins, cet individu inconstant ne tardera pas à renoncer à son engagement en demandant à sa fille, Bérénice, d’assumer la responsabilité de surveiller Édouard. Progressivement, contre toute attente, la jeune femme nouera une relation étroite avec le vieil homme.
La mise en ondes et l’interprétation du drame d’Archambault
Évidemment, sur le plan de la mise en scène, l’auditeur (trice) du radiothéâtre ne peut pas goûter les composantes visuelles qu’il est en mesure d’apprécier lorsqu’il voit une pièce de théâtre en personne. N’empêche qu’il faut convenir que la mise en ondes de l’oeuvre opérée par le metteur en scène Fernand Rainville et les coréalisateurs d’Ici Radio-Canada Première, Francis Legault et Jocelyn Lebeau, s’avère fort probante. En termes de direction d’acteurs (trices) et d’interprétation, il faut souligner que le drame de François Archambault est magistralement servi à travers la présente adaptation. Assumant le rôle principal de la pièce, Guy Nadon, égal à lui-même, offre une performance formidable en campant le personnage d’Édouard. Pour ce qui est de Johanne-Marie Tremblay, une comédienne parfois sous-estimée, elle incarne avec beaucoup de conviction le personnage de Madeleine. Quant à Emmanuelle Lussier-Martinez, elle est impressionnante dans le rôle de Bérénice puisque c’est son personnage qui a les discussions les plus intenses avec celui d’Édouard. Sans surprise, Marie-Hélène Thibault campe avec une exceptionnelle authenticité et une appréciable extraversion le personnage pugnace d’isabelle. Enfin, il faut mentionner que le comédien Claude Despins joue avec humour et sobriété le rôle de Patrick, le conjoint d’Isabelle.
La dimension symbolique d’une œuvre dramatique
Au cours d’une entrevue qu’il a accordée à l’animatrice et comédienne Guylaine Tremblay, après la présentation du radiothéâtre, François Archambault a souligné qu’il avait cherché, dans ce cas, à créer une pièce de théâtre à dimension symbolique dans laquelle le personnage principal pourrait représenter le Québec d’aujourd’hui, ayant perdu la mémoire de son passé. A priori, une telle idée apparaissait intéressante, mais il aurait fallu la développer avec autrement plus de rigueur que ne l’a fait Archambault dans sa narration. Dans cette optique, on remarquera que le dramaturge dépeint son protagoniste comme un grand admirateur, voire un thuriféraire de René Lévesque, dont il déplore la lancinante Défaite référendaire de 1980. Malheureusement, Archambault ne nous propose aucune réflexion transcendante portant sur la signification, pour un peuple, d’accéder à l’indépendance nationale sur le plan politique. En conséquence, l’auteur ne parvient pas à créer un drame à la symbolique fertile.
Le passé et le présent
En matière de relations intergénérationnelles, François Archambault a tenté d’exploiter pleinement l’antithèse qu’il a tracée entre les personnages d’Édouard et de Bérénice. De cette façon, il nous montre la curieuse relation se développant entre un vieil homme qui est épris d’histoire, mais perd progressivement la mémoire, et une jeune femme qui a une excellente mémoire, mais n’a cure de l’histoire. Indubitablement, il faut reconnaître au dramaturge la volonté de poser un regard critique sur le domaine des nouvelles technologies, qui poussent trop de jeunes gens à ne vivre que dans le moment présent plutôt que de s’intéresser à leur passé. À l’inverse, Archambault ne manifeste aucune complaisance envers les gens qui adoptent une attitude passéiste. Dans cette perspective, on pourra apprécier la signification de la scène au cours de laquelle Bérénice aide Édouard à mettre en ligne un message audiovisuel didactique qu’il adresse à la population du Québec. À travers ce passage, François Archambault nous suggère que les personnes âgées et les jeunes gens peuvent se comprendre mutuellement, dans le Québec contemporain, s’ils s’en donnent la peine. Que dit l’ancien professeur d’histoire par le biais de son message ? Qu’il faut que les gens cessent de se contenter de vivre dans l’immédiat parce que s’ils agissent ainsi, ils seront condamnés à vivre dans l’oubli de leur passé, comme lui, un homme atteint de la maladie d’Alzheimer. Évidemment, Édouard adresse son message en ligne à la population dans l’espoir d’inciter les gens à changer leurs comportements. Toutefois, dans son for intérieur, il demeure sceptique à l’idée de pouvoir transformer le cours des choses… Cela dit, le vieil homme refuse de perdre espoir.
Le fatalisme politique de l’auteur
Un des défauts les plus regrettables qui caractérisent la pièce de théâtre de François Archambault reste sa propension à la résignation, voire au fatalisme. Assurément, on peut affirmer qu’Archambault emprisonne trop souvent sa narration dans une symbolique propre à la maladie d’Alzheimer. Cela a pour effet de le pousser à faire prévaloir une vision du monde défaitiste dans laquelle les efforts que pourraient effectuer les être humains, pour atteindre certains résultats, seraient nécessairement voués à l’échec, comme le sont les efforts d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer lorsqu’elle tente de renouer avec la normalité. Dans cet esprit, on déplorera le choix du dramaturge qui, par l’intermédiaire de son protagoniste, insiste lourdement sur le « fait » que le Québec aurait raté son rendez-vous avec l’Histoire lors du référendum de 1980 (en vertu de la victoire du camp du Non), alors que seule une adulation de la figure de René Lévesque peut mener à une telle interprétation de la réalité sociopolitique. Ultérieurement, Archambault en vient à banaliser la disparition éventuelle du Québec comme nation distincte de l’Amérique du Nord, en évoquant la disparition de différentes civilisations du passé. De cette façon, l’auteur considère le peuple québécois comme une collectivité de vaincus, sans même savoir comment il réagira face aux défis de l’avenir.
Tout bien considéré, si les choses étaient aussi simples que le prétend Archambault, comment pourrait-on expliquer le fait que, malgré la Défaite subie, en 1759, durant la Bataille des Plaines d’Abraham, le Québec continue à affirmer son caractère distinctif par rapport aux autres ensembles politiques de l’Amérique du Nord ? Par ailleurs, il faut reconnaître que, suite à l’annonce des premiers ministres Brian Mulroney et Robert Bourassa visant à ratifier l’Accord du Lac Meech, durant les années 1980, bien peu d’observateurs (trices) du monde politique québécois et canadien-anglais auraient pu prédire la résurgence du nationalisme québécois que l’on a connue, durant la première moitié des années 1990. Pourtant, l’échec de ce fameux Accord, combiné à l’échec de l’Accord de Charlottetown et à la prise de pouvoir du Parti québécois (1994), a incité les Québécois (ses) à appuyer la cause de la souveraineté nationale dans une proportion révélatrice de 49,4 %, lors du référendum de 1995. En conséquence, on aurait tort d’anticiper prématurément la disparition éventuelle de la nation québécoise…
Les limites d’une œuvre dramatique
Les lacunes de la pièce de théâtre qu’a écrite Archambault ne touchent pas seulement aux thèmes que celle-ci explore, elles concernent le style de l’œuvre. Concrètement, même si l’auteur a recours à une écriture limpide et des expressions imagées, il ne peut s’empêcher de verser parfois dans des digressions inopportunes. Parmi celles-ci, il convient de citer le passage traduisant l’imitation de la fameuse tirade du nez, de la pièce de théâtre Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (1897), à laquelle se livrent Patrick et, dans une moindre mesure, Édouard. Selon nous, cette didascalie se révèle inadéquate, parce qu’elle n’apporte aucun élément instructif à l’auditeur (trice) de la création. En vérité, celle-là permet essentiellement à François Archambault de nous montrer qu’il connaît très bien la fameuse pièce de théâtre de Rostand… Au demeurant, un (e) amateur (trice) de théâtre pourrait légitimement se demander s’il vaut la peine d’écouter Tu te souviendras de moi. À notre sens, il faudrait répondre de façon affirmative à une telle question parce que l’auteur a le mérite de pousser l’auditeur (trice) à procéder à une méditation pertinente au sujet de la maladie d’Alzheimer et d’interpeller sa vision sociopolitique du Québec contemporain. Il reste qu’on doit souhaiter que François Archambault procède bientôt à une saine autocritique, qui lui permettrait d’approfondir considérablement sa réflexion portant sur la condition humaine et sur le Québec actuel. De cette manière, il pourrait mettre à profit son habileté narrative en relatant une fiction qui se révélerait nettement plus réussie que celle sur laquelle nous nous sommes penchés.
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