Édition du 17 décembre 2024

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Transport de déchets radioactifs sur le fleuve - Quelle protection au juste ?

L’auteure d’Avez-vous peur du nucléaire ? (MultiMondes, 2009) tire à boulet rouge sur la décision de la Commission canadienne de la sécurité nucléaire d’autoriser le transport de 16 générateurs contaminés par bateau sur le St-Laurent.

Incroyable. La Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) vient de donner l’autorisation à Bruce Power d’acheminer 16 générateurs de vapeur contaminés par bateau jusqu’en Suède, en dépit de l’opposition de nombreuses villes situées le long du Saint-Laurent, de plusieurs groupes écologistes, de médecins, de scientifiques et de citoyens bien informés. Dès le départ, les dirigeants de cette centrale nucléaire ontarienne avaient tenté d’éviter le débat en qualifiant ces objets de ferrailles recyclables alors qu’il s’agit en fait de déchets radioactifs.

Bruce Power a répété à quelques reprises que les risques potentiels de ce projet sont infimes puisque chaque générateur de vapeur de 100 tonnes contient à peine quelques grammes de produits radioactifs. Présenté ainsi, ce projet est rassurant. On a cependant omis de spécifier la toxicité sans égale de ces produits.

Il y a longtemps, le physicien Enrico Fermi, l’inventeur de la première pile à uranium et un des pères de la bombe atomique, a été invité par le Sénat américain. On s’inquiétait alors du danger pour la santé des relâchements répétés de produits radioactifs dans l’atmosphère à la suite de l’explosion de plusieurs bombes nucléaires. Les sénateurs savaient que ces produits cancérigènes et mutagènes retomberaient inévitablement au sol un jour. Fermi leur expliqua que tous les produits radioactifs relâchés jusque-là étaient peu abondants et qu’ils tiendraient dans un seau de la taille de ceux qu’on utilise pour laver les planchers. Mais il ajouta ensuite : si on jetait une cuillerée à café de son contenu sur New York, cela tuerait instantanément 100 000 à 150 000 personnes.

Niveau de toxicité

Et si l’on parlait de l’accident de 1957, à Windscale au Royaume-Uni, un accident « très peu probable », selon l’industrie ? Cet incendie dans un réacteur nucléaire a rejeté dans l’environnement 20 000 curies d’iode radioactif en plus de nombreux autres produits de fission, ce qui est énorme. Eh bien, ce niveau radioactif de 20 000 curies correspond à moins de 2/10 de gramme d’iode-131. Vous avez bien lu : moins de 2/10 de gramme. Et cette quantité a suffi pour provoquer diverses maladies, tuer des gens et rendre impropre à la consommation le lait et plusieurs autres denrées alimentaires sur un territoire de 500 km2 durant des semaines. Cela donne une idée du niveau de toxicité auquel on fait face dans ce dossier.

Compte tenu de ces faits, comment la CCSN peut-elle permettre ce transport de déchets radioactifs sur le lac Ontario et sur le Saint-Laurent, la principale source d’eau potable de millions de personnes ? Chacun de ces générateurs contient environ une once de produits radioactifs, ce qui correspond à 28 grammes (140 fois la quantité d’iode-131 relâchée à Windscale). Pire : les composantes résiduelles les plus toxiques passeront à nouveau chez nous, avant de retourner à la centrale de Bruce Power pour enfouissement final.

En fait, ce projet ne considère ni l’environnement ni la santé publique. Il vise plutôt à réduire le volume de déchets radioactifs à traiter au Canada, comme l’a clairement dit Michael Binder, le directeur de la CCSN, aux audiences publiques sur ce dossier le 29 septembre dernier. Et cela, même si ça implique de faire voyager des produits dangereux dans la vallée du Saint-Laurent, en plus de permettre la refonte de métaux contaminés qui seront ensuite mélangés avec d’autres métaux avant d’être revendus sur le marché mondial.

Au moment où plusieurs réacteurs canadiens ont besoin de rénovations majeures, cette décision de la CCSN protège davantage les intérêts de Bruce Power et de l’industrie nucléaire canadienne que quoi que ce soit d’autre. C’est inacceptable.

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