Les Sénégalais et Africains de tout le continent semblent à leur tour portés par le courage et la ténacité de leurs frères tunisiens ou égyptiens, pour enfin crier tout haut ce qu’ils n’avaient jamais osé dire.
Après l’échec du premier Forum social mondial (FSM) accueilli par l’Afrique, à Nairobi au Kenya en 2007, cette onzième édition organisée à Dakar a une haute valeur symbolique, et porte le poids des nombreux évènements socio-politiques africains de ces derniers mois.
« Un autre monde est possible »
Foule cosmopolite des quatre coins de la planète, militants sous les bannières d’organisations du monde entier, en famille ou entre amis, ils étaient plus de 10 000 dimanche dans les rues de Dakar pour la grande marche de lancement du FSM.
A l’heure où l’avenir de la planète se discute dans le huis clos élitiste du Forum économique de Davos, le FSM se fait le relais des revendications populaires du monde entier. La plupart débarqués la veille dans la capitale sénégalaise, les participants étrangers sont arrivés par la route, en avion, en bateau ou encore en stop.
La foule est restée fortement dominée par les couleurs chaudes des délégations africaines, venues en masse pour cette manifestation symbolique de démarrage du Forum. Les questions d’altermondialisme et de développement durable ne semblent plus être l’apanage des populations alternatives des pays riches.
Dans une ambiance festive et musicale, portés par les rythmes des percussions et réchauffés par les rayons d’un agréable soleil d’hiver africain, les marcheurs ont rejoins l’université Cheikh Anta Diop, fief de ce nouveau Forum.
Pauline Imbach est secrétaire au bureau international du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde), elle explique l’enjeu important de cette année.
« Ce forum est un grand moment, l’Afrique est en train de se révolter : la Tunisie, l’Egypte, le Yémen… Il y a un enjeu très fort au FSM cette année, il faut que le FSM soit à la hauteur des révoltes populaires et qu’on obtienne de vraies réponses. »
« La crise du système et des civilisations », thème majeur de l’édition 2011, semble s’effacer derrière la portée symbolique de cet évènement social accueilli par l’Afrique dans un contexte de changements majeurs et cruciaux du continent. Les délégations africaines sont nombreuses dans le cortège à s’approprier le Forum pour parler enfin « d’une révolution africaine ».
Une marche symbolique pour le continent
L’importance de l’Afrique dans ce Forum, de la Côte d’Ivoire, au Congo en passant par la Guinée ou encore l’Afrique du Sud était une première pour un Forum social mondial.
De nombreuses organisations de tout le continent étaient représentées dimanche pendant la marche : protection des droits de l’homme ou de l’environnement, contre l’interdiction des OGM ou pour la régularisation des sans-papiers, syndicats, écologistes, communistes et socialistes, ou encore des prêtres franciscains marchant côte à côte avec des imams.
Un défilé marqué par une volonté d’unir les efforts : les revendications des cortèges divergeaient par leur thématique mais se rejoignaient dans des valeurs communes de paix, de tolérance, de justice et d’équité.
Marqués par les évènements de ces derniers mois, les Africains désirent enfin, comme l’expriment leurs slogans « prendre leur destin en main ».
Selon Olivier Ruë, l’un des participants, spécialiste depuis plusieurs années de l’Afrique de l’Ouest :
« C’est l’an I de la révolution africaine ! C’est aujourd’hui que prend forme la véritable décolonisation. »
C’est aussi l’avis de la secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry croisée dans les rangs de la marche.
L’annulation de la dette du Tiers monde, proposition phare
De nombreuses propositions ou solutions ont déjà été soulevées et discutées ce lundi après-midi dans les rues de Dakar. La principale reste l’annulation de la dette du tiers monde.
Le CADTM est l’une des délégations internationale les plus importante du Forum avec une centaine de délégués du monde entier dont 80 provenant d’Afrique.
« On considère que la dette est un point central d’oppression des peuples au nord comme au sud. L’annulation de la dette, c’est un point de départ-clé car cela garantit une indépendance économique et politique des populations du tiers monde », explique la secrétaire du bureau général Pauline Imbach.
L’espoir porté dans l’assemblée des mouvements sociaux
Pour beaucoup de participants, ce Forum reste juste l’occasion d’une grosse mobilisation. C’est l’assemblée des mouvements sociaux qui pourra véritablement apporter des changements concrets. Celle-ci, tenue en marge de l’évènement, regroupe des dizaines de mouvements sociaux internationaux.
Elle aura lieu le dernier jour du Forum, le 11 février, et aboutira par la proposition d’un texte d’appel à mobilisation. Cette déclaration vise à prolonger le Forum et à organiser des luttes coordonnées dans chaque pays pour agir à l’échelle mondiale.
En effet, le FSM ne peut pas, selon le code précis de sa charte de création en 2001, proposer des cadres de mobilisations. C’est une coordination d’échanges et non d’actions, d’où la sensation parfois amère des années précédentes, d’absence de force de proposition à la fin du Forum.
Yacoub Bitocho, membre d’Attac au Bénin, est conscient comme beaucoup des participants, que le Forum n’est pas une fin en soit mais une clé pour avancer vers « un monde meilleur »
Un forum populaire
La marche s’est terminée par un discours très enthousiaste du président bolivien Evo Morales. « Le monde change », a-t-il affirmé à la foule multicolore qui se tenait devant lui. « Malgré les grandes inégalités, je suis convaincu que les peuples du monde sont en train de se soulever pour un monde meilleur. »
Ils étaient en tout cas venus en très grand nombre pour cette journée de lancement, espoir au cœur et drapeaux au vent, avides d’unité et d’égalité.
Selon Rakesh Mittal venu de New Delhi spécialement pour le Forum, sa bannière « Peace » brandie au-dessus des marcheurs :
« Il y a toujours de l’espoir, je suis persuadé qu’il y a plus de gens biens dans ce monde que de mauvais. Le seul problème, c’est que les gens biens ne sont pas unis, c’est pour cela que je suis ici. »
Beaucoup d’attente, de symboles et de changements pour cette première journée du Forum, qui a encore cinq jours pour apporter des propositions de lutte concrètes.
La bande-originale de la première vidéo a été réalisée pour le FSM avec des rappeurs sénégalais qui ont travaillé en collaboration avec des jeunes des banlieues de Dakar sur l’un des thème principal du FSM 2011 : l’annulation de la dette du Tiers monde.