Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Syrie. « Ni Assad, ni Daech »

Les diverses initiatives militaires, en Syrie, d’une coalition hétéroclite contre ledit Etat islamique (Daech) participe d’une réécriture politique propagandiste du « printemps arabe » en Syrie. Le soulèvement massif et pacifique de la population dès mars 2011 est effacé des mémoires médiatisées. Sont gommées, de plus en plus : la terrible répression du régime Assad, opérée par son armée, ses criminels mafieux (les chabiha), ses hélicoptères déversant des barils d’explosifs sur des villes et quartiers dont le contrôle était perdu ; la destruction par les chars de quartiers entiers, maison après maison ; la dévastation d’hôpitaux et de cliniques ; l’utilisation des armes chimiques en août 2013 (ce qui s’est répété au premier semestre 2015) ; la libération, dès mars 2011, d’islamistes dans le but de nourrir les affrontements « communautaires ». La réalité de cet « Etat de barbarie », comme l’avait écrit Michel Seurat (Syrie. L’Etat de barbarie, 1989), n’est plus la source de la tragédie dans laquelle est plongée, depuis quatre ans, la population de Syrie.

Autrement dit, la propagande de la dictature de Bachar el-Assad, qui démarra les premiers jours, acquiert un statut de véracité conjuguée au présent : « Je mène une guerre contre des terroristes manipulés par des forces étrangères. » La « légitimité de l’autodéfense du régime doit être comprise ».

En traitant aujourd’hui l’organisation féroce, meurtrière de Daech comme la seule priorité militaire et politique de la « coalition de bombardiers », silence est fait sur deux éléments fondamentaux. Premièrement, Daech est la conséquence de la barbarie de la guerre impérialiste (2003) contre l’Irak, avec toutes ses suites. Dans ce sens, le titre de l’ouvrage de Gilbert Achcar, Le choc des barbaries, terrorisme et désordre mondial (2002), était prémonitoire. Ensuite, le refus, dès le deuxième semestre 2011, d’une aide matérielle et militaire réclamée à ceux qui engageaient, pratiquement, une révolution démocratique et son autodéfense contre la dictature Assad a débouché sur une tragédie humaine et sociale. Elle est d’une ampleur rarement connue dans l’après-Seconde Guerre mondiale.

L’obsession des dites « puissances occidentales » consistait (après le désastre irakien) à maintenir une continuité de l’appareil d’Etat. Donc, au mieux, de permettre du « assadisme » sans Assad. Le peuple révolté n’existe pas pour les puissances impérialistes. Est-il nécessaire de le dire ? Dans un tel contexte – marqué aussi par l’affaiblissement de l’emprise états-unienne sur toute la région – des « acteurs régionaux » (Qatar, Arabie saoudite, Turquie) ont acquis une sorte de droit de préemption sur des forces qui, face aux bataillons du régime des Assad, étaient à la recherche de ressources financières et militaires pour mener leur combat. En outre, dans un tel affrontement militaire contre un régime dictatorial qui dispose de 40 ans (1970) d’expérience – donc d’un appareil policier redoutable, de réseaux mafieux, d’appuis socio-économiques construits sélectivement – les carences d’une direction politico-militaire de la révolution démocratique se manifestèrent assez vite, malgré le courage et la détermination de ceux et celle qui étaient (et sont) engagés dans le combat pour la chute de la dictature.

Dans cette configuration, l’Iran (en s’appuyant, entre autres, sur le Hezbollah libanais, mais aussi en encadrant des milices au service d’Assad dont les activités criminelles n’ont rien à envier à Daech) et la Russie jouaient leur propre carte. Ils ont alloué un appui décisif à Bachar el-Assad. Cela ne pouvait que renforcer la férocité de la répression et des destructions. Car, dans une telle guerre civile, un régime dictatorial consolide toujours ses méthodes terroristes au moment où son armée voit ses positions s’affaiblir. Ce qui est le cas, à nouveau, au cours des derniers mois. La montée aux extrêmes n’a donc pas cessé de s’accélérer en Syrie, pour rester cantonné à ce pays déchiqueté.

Depuis quelques semaines, très ouvertement (car des démarches ont existé en réalité, dès 2011, avec des oscillations), la formule à l’honneur sous George W. Bush a acquis une nouvelle actualité : « mieux un dictateur que le chaos ». Donc le seul véritable ennemi est Daech. Dès lors, s’est imposé dans la rhétorique le passage du « Bachar doit partir » à « il faut négocier son départ » (pourparlers de Genève 2014), puis à « nous allons examiner avec Bachar, l’Iran et la Russie la résolution du conflit ». Même si les formules utilisées dans les chancelleries occidentales sont quelque peu différentes et traduisent des intérêts différents.

Les pièces qui se déplacent sur l’échiquier géopolitique – agendas divers des membres d’une coalition hétéroclite bombardant Daech en Syrie et en Irak, accord Etats-Unis-Iran, guerre de destruction menée par l’Arabie saoudite au Yémen, accentuation rapide de la présence militaire russe en Syrie en pleine « crise ukrainienne », permanence d’une descente aux enfers dans un Irak où l’administration américaine était censée faire du « nation building » – ont offert une ouverture utilisée par le pouvoir autoritaire de Poutine. Aleksei Makarkin, qui dirige à Moscou le Centre pour les techniques politiques, explique sans détour : « Le but de la Russie est de défendre Assad ; quiconque est contre lui est un facteur de déstabilisation ; la Russie veut qu’Assad soit intégré dans un processus de négociation à partir d’une position de force. » (International New York Times, 3-4 octobre 2015) Pour cela, une précondition doit être remplie : assurer fermement le contrôle sur la région dont Lattaquié est le centre et qui est le fief du régime de Bachar el-Assad. La présence de forces rebelles – islamistes – implantées depuis des mois dans le nord-ouest de la Syrie menaçait ce fief. Or, il constitue de même le seul point d’appui militaire pour la Russie sur la Méditerranée.

Le jeudi 1er octobre, le premier ministre de l’Irak, Haider al-Abadi, a affirmé que Bagdad accueillerait favorablement une offensive aérienne russe contre Daech (Financial Times, 3-4 octobre 2015). Cela révèle les multiples enjeux en cours dans toute la région. La nécessité de tracer les lignes de force des agendas, aux réalisations aléatoires, des acteurs de la de facto nouvelle coalition anti-Daech.

Pour l’heure, quiconque veut échapper au carcan d’une approche binaire – sans mentionner ceux qui, lobotomisés, se situent du côté d’Assad au nom de « l’anti-impérialisme » – ne peut qu’affirmer : « Ni Daech, ni Assad ».

Certes la désespérance domine en Syrie. Le nombre de déplacés internes s’élève à 7,6 millions. Le nombre de morts, pour l’essentiel sous les coups de la dictature, est évalué à plus de 300’000, ce qui laisse entrevoir le nombre incalculable de blessés et de victimes diverses. L’aide humanitaire de l’ONU a été bloquée par le régime. Les réfugiés dans les pays voisins (Jordanie, Liban, Turquie, Irak…) sont au moins au nombre de 4 millions.

La vague actuelle de réfugié·e·s « en route » vers l’Europe, reflet de la désespérance, vient de régions contrôlées par le régime. Les millions de réfugiés (voir l’article publié sur ce site en date du 24 septembre) qui ont dû fuir au cours des années précédentes proviennent de régions (villes et villages) qui furent la cible des chars, des hélicoptères et de la soldatesque d’Assad. Vendre la politique actuelle de réintégration d’Assad dans une « solution », après avoir affaibli et battu Daech avec des avions de combat, relève d’une illusion criminelle. Elle est offerte aussi comme « une solution » visant à freiner le « flux des réfugiés » grâce à une transition et à une stabilisation qui marqueraient la victoire complète de la contre-révolution en Syrie. Ces options sont fort éloignées d’une urgente et nécessaire politique effectivement humanitaire.

Nous publions ci-dessous, pour information, divers articles du quotidien Le Monde de ces trois derniers jours. (Rédaction A l’Encontre)

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