Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, la « gauche de la gauche » occidentale se montre divisée sur le soutien à apporter à la résistance ukrainienne. Si l’agression Russe y est unanimement condamnée, deux questions sont cependant sources de clivages parmi celles et ceux qui se revendiquent de cette gauche, des mouvements ouvriers, antiracistes, féministes, altermondialistes, anti-impérialistes, internationalistes et/ou décoloniaux : la question des livraisons d’armes en Ukraine et celle des sanctions à adopter à l’encontre de la Russie1.
D’un côté, majoritaire, il y a ceux et celles qui se disent anti-impérialistes, non-alignés ou pacifistes et qui s’opposent au soutien en armement de l’Ukraine. Selon les cas, ils et elles appellent à la « désescalade », dénoncent la course aux armements, la militarisation de l’Europe ainsi que les visées impérialistes de l’OTAN. Les mêmes sont aussi très réticent.e.s voire opposé.es, à l’adoption de sanctions économiques contre la Russie, à l’exception des sanctions visant spécifiquement les oligarques. Cette ligne est notamment défendue par le Groupe de la Gauche unitaire au Parlement européen (The Left - GUE/NGL), lequel regroupe notamment Die Linke, Podemos, La France Insoumise, Syriza, Sinn Fein, le Parti du travail Belge etc. Elle est également soutenue par la principale organisation socialiste aux États-Unis (Democratic Socialists of America - DSA), ainsi que par divers groupes anarchistes2, trotskystes ou féministes internationaux et, plus proche de nous, par Québec solidaire. Elle a par ailleurs reçu l’appui de nombreux intellectuel.les de gauche associés à l’anti-impérialisme, comme Noam Chomsky ou Tariq Ali par exemple.
De l’autre côté, minoritaire, on trouve des partisan.es qui, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de la solidarité internationale, défendent un soutien armé à la résistance ukrainienne et l’adoption de sanctions contre la Russie, y compris l’arrêt des importations de gaz et de pétrole russes. Cette ligne est notamment défendue par le Réseau européen solidarité avec l’Ukraine, le Secrétariat unifié de la IVe Internationale et elle est l’objet de diverses pétitions de soutien, notamment féministes.
Prenant acte de ces divisions qui renvoient à des conceptions concurrentes de l’internationalisme, ce rapport se propose de poursuivre un travail entamé par d’autres3 qui consiste à faire le point sur ce que les organisations de la gauche urkrainienne (premières concernées par l’agression Russe) attendent de la gauche internationaliste.
À partir d’une revue de presse centrée sur les revendications des organisations ukrainiennes telles qu’elles sont relayées à l’international, le texte documente les prises de position et les actions menées par les principaux syndicats et acteurs du mouvement social ukrainien (groupes socialistes, anarchistes, écologistes, féministes, LGBTQ notamment).
Il montre que le soutien à la lutte armée comme l’adoption de sanctions à l’encontre de la Russie font l’unanimité tant ils sont indispensables à la survie de toutes et de chacune de ces organisations qui composent le mouvement social ukrainien et qui combattent les politiques néolibérales du gouvernement comme les attaques aux droits des travailleurs et des travailleuses en ukraine.
Pourtant, hors Ukraine, nombre d’organisations politiques et d’intellectuel.les historiquement associés aux mouvements progressistes et qui, en principe, défendent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, s’opposent frontalement à ces revendications. Cette opposition fera l’objet de prochaines notes socio-politiques du GIREPS
Lien vers le rapport complet : Martin Gallié, « Syndicalisme et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes - Les appels à la solidarité internationale et les actions du mouvement social ukrainien (février – juillet 2022) », GIREPS, note socio-politique no. 16, juillet 2022.
NOTES
1.Sur la question des armes en particulier, on renverra aux débats en français (dans les pages de la revue de critique communiste Contretemps) entre Stathis Kouvelakis et Gilbert Achcar. Pour le premier « Le gouvernement ukrainien est un gouvernement bourgeois (…) et il serait complètement aberrant pour des forces de gauche dignes de ce nom de plaider la cause de son armement ». Pour Gilbert Achcar en revanche, « La livraison d’armes à l’Ukraine a pour seul but de l’aider à s’opposer à son asservissement, même si, par ailleurs, elle souhaite sa vassalisation en croyant y voir l’unique garantie de sa liberté ».
2.Voir par exemple les communiqués publiés par le Comité international de la FAU (Freie Arbeiter*innen-Union) et le Secrétariat aux relations internationales de la Fédération anarchiste (« Contre la guerre, pour une solidarité mondiale », publié le : 04-04-2022)
3.Par exemple, quelques auteur.es qui s’interrogent ainsi : « Peut-on être solidaire sans écouter la société ukrainienne ? » (Laurent Vogel) ; « Les féministes ukrainiennes peuvent-elles parler ? » (Elisa Moros), « Comment les mouvements sociaux et syndicaux peuvent-ils réagir à ces horreurs ? » (Simon Pirani). Voir aussi les cahiers spéciaux sur l’Ukraine des Brigades éditoriales de solidarité, où Christian Mahieux (directeur des éditions Syllepses, qui participent de ces brigades) demande, dans le cahier no 7 : « Mais que disent les syndicalistes en Ukraine ? Que disent les militantes et militants des mouvements sociaux et politiques agissant pour l’émancipation sociale ? ». Dans ce même cahier, voir également l’article de Gilbert Achcar, « Déni méprisant des Ukrainiens comme acteurs au nom de la géopolitique et/ou de la paix ». Finalement, dans le cahier no 7, voir l’article de Didier Epsztajn, « L’abstraction contre le droit des peuples » ou encore, sur le site d’Europe solidaire sans frontières, celui de Yorgos Mitralias, « Qu’est-ce qui fait que les poutinistes et les poutinisants perpétuent les traditions les plus abjectes de la gauche internationale ? »
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