L’agence de presse AFP qui a pu avoir accès au dossier fait état d’un conflit qui continue de ravager le pays. C’est en décembre 2013 que les deux principaux dirigeants du pays, Salva Kiir, président du Sud -Soudan et du SPLA/M (Sudan People’s Liberation Army/Movement), et son rival Riek Machar, vice-président et dirigeant du SPLA/M-IO (IO pour « in opposition »), se livrent une lutte sans merci pour le pouvoir.
Des racines profondes
Ce conflit s’explique aussi par l’histoire coloniale et les choix politiques des dirigeants du pays qui vont encourager dans la population les divisions ethniques, notamment entre les Dinka et les Nuer.
En effet, à l’époque coloniale, le gouvernement anglais va morceler la partie sud du Soudan en offrant des prérogatives importantes aux chefs de tribus, contournant ainsi le fonctionnement plutôt démocratique des tribus. Dans le même temps, ils vont interdire les échanges de marchandises et les déplacements des personnes entre communautés, entravant le développement de cette région.
Lors de l’indépendance du Soudan, les dirigeants de Khartoum refusent d’appliquer l’accord prévoyant une large autonomie pour le sud du Soudan et imposent la loi islamique à des populations traditionnellement chrétiennes et/ou animistes. Omar el-Béchir, le dirigeant actuel du Soudan, renforcera cette politique d’ostracisme contre les populations du sud du Soudan.
En réponse se crée le SPLA/M dans les années 1980, une organisation politico-militaire dont l’orientation plutôt socialisante avait pour but non l’indépendance de la partie sud du pays mais plutôt un Soudan ouvert où chaque communauté aurait sa place. La mort de son dirigeant John Garang va permettre aux tenants d’une indépendance du Sud-Soudan dans le SPLA/M de prendre le dessus.
Les divisions entre Riek Machar et Salva Kiir remontent aux années 1990. Riek Machar à la tête de la white army va massacrer avec le soutien du Soudan plus de 2 000 Dinka. Cet épisode sanglant sera un tournant dans les relations entre les Dinka et les Nuer. Depuis, les élites alimentent cette haine ethnique. Ainsi Salva Kiir fait sienne des préconisations du Conseil des Jieng, un rassemblement de dirigeants extrémistes Dinka qui préconisent la voie militaire et l’écrasement des Nuer.
Une situation qui s’empire
L’état de guerre permanent que vit le pays quasiment depuis son indépendance a totalement déstructuré les liens sociaux. On assiste à une fragmentation de la société, avec des conflits intra-communautaires qui se sont accentués par une présence massive d’armes dans le pays rendant plus difficile la recherche de la paix. Ces différentes milices sont utilisées tant par le SPLA/M que par le SPLA/M-IO, même si ce dernier est en perte de vitesse.
Les membres du SPLM7, plus couramment appelés les « Garang’s boys », des anciens du SPLA/M qui sont restés fidèles au projet politique de Garang, se prononcent pour une société multiculturelle, tolérante et égalitaire. Mais leurs voix ne sont pas audibles : lors des élections législatives de 2010, un des dirigeants les plus connus, John Luk Jok, n’a pas réussi à se faire élire dans sa circonscription.
La situation des populations est des plus difficiles. 1,6 million de personnes sont déplacées, les conditions de sécurité sont telles qu’elles ne peuvent sortir des camps et sont donc totalement dépendantes des organisations humanitaires. 900 000 personnes se sont enfuies vers les pays voisins. Le pays est exsangue, l’inflation atteint 700 %, et l’insécurité alimentaire frappe plus de cinq millions de personnes, avec des risques de famine dans certaines régions.
Ce triste bilan est à mettre à l’actif des dirigeants qui suscitent divisions et haines ethniques pour prendre le pouvoir et piller le pays avec la complicité des pays industrialisés. Comme l’indiquait le journal tanzanien The Citizen, voir ces seigneurs de guerres soudanais acheter des véhicules 4×4 rutilants et se pavaner dans des villas luxueuses confirme l’idée que le premier moyen d’arrêter cette guerre serait de geler l’ensemble de leurs actifs et avoirs financiers, obtenus au prix du sang des populations.
Paul Martial