Lors des élections du 14 février dernier, Gauche Républicaine de Catalogne (ERC, 33 sièges) a devancé pour la première fois l’autre grand parti séparatiste, Ensemble pour la Catalogne (JxC, 32 sièges), la CUP quant à elle a remporté 9 sièges, pour un total de 74 sièges sur 135.
Le contexte Espagnol est complexe. D’une part il s’agit d’un État monarchique et d’autre part le Régime de ’78 instauré peu de temps après la mort de Franco en 1975, a scellé la continuité des institutions constitutionnelles et de leur composition d’éléments fascistes du régime franquiste. A la chute du franquisme (1976-1978), avec l’accord des dirigeants du mouvement ouvrier espagnol, les cadres de l’Etat franquiste ont été maintenus dans le nouveau régime, notamment dans la justice, la police et l’armée. L’unité « indestructible » de l’Espagne, pilier de la dictature franquiste, a été intégrée telle quelle dans la Constitution de l’Espagne « démocratique », en même temps que tout l’appareil législatif (répressif) chargé de défendre cette unité. Par exemple, c’est une loi datant du régime franquiste qui a été utilisée, le 14 octobre 2017, contre les neuf condamnés.(1)
Ce contexte existe toujours et la montée de l’extrême droite en Espagne n’augure rien de bon en ce qui concerne les prochaines élections au parlement espagnol. La situation politique en Europe et particulièrement en France où l’extrême droite est également en montée oblige à une réflexion sur les motifs de cette montée de la droite et les défis qui attendent la gauche et la lutte pour la démocratie.
Où est rendu le mouvement des Indignados de 2011, qui avait inspiré une mobilisation planétaire en Europe et en Amérique ? Quelles leçons tirer et surtout quelles perspectives tirer pour redonner force à la gauche au sein de la population ?
Le groupe Anticapitalstas (2), soulignait en février dernier, plusieurs écueils sur la voie de la réalisation du changement social en Catalogne. D’entrée de jeux il faut dénoncer le fait qu’ qu’il y a près d’un million de Catalans privés des droits civils et politiques les plus fondamentaux suite à un racisme institutionnel. Ils n’auront donc pas le droit de vote. Il ne peut y avoir d’élections authentiquement démocratiques avec une loi sur les étrangers qui exclut de la citoyenneté et une Constitution espagnole qui refuse le droit de vote à ceux et celles qui n’ont pas la nationalité.
Ensuite il indique qu’un accord électoral plus large qui aurait accueilli d’autres courants partageant un programme anticapitaliste serait plus positif. Le projet actuel ne s’adresse qu’au mouvement indépendantiste et n’a pas une politique envers la base sociale de la gauche non-indépendantiste, mais toutefois favorables « au droit de décider ». Elle ne s’adresse pas non plus spécifiquement aux secteurs des nouvelles générations de militant·e·s féministes et écologistes qui ne sont pas clairement favorables à l’indépendance. Le succès de la lutte pour l’autodétermination de la Catalogne est lié à l’affaiblissement de l’État espagnol et à la construction de mouvements solidaires les plus larges possible (avec la gauche Espagnole). Or pour impulser un mouvement politique capable de faire tomber le régime de ‘78 et permettre des processus constituants il faut construire un mouvement plus large comme celui exprimé par le mouvement des Indignés du 15 mai 2011 et son héritage.
C’est dans ce contexte de montée de la droite et de l’extrême droite en Espagne et en Europe, particulièrement en France et en Allemagne, que nous avons rencontré Carles Riera député de la CUP à Barcelone lors d’un entretien en compagnie d’Andres Fontecilla, et de Sol Zanetti, députés solidaires et de Christine Cardin, responsable de la commission thématique altermondialiste.
Pour Carles Riera, les élections du 14 février représentent un tournant à gauche du parlement et un renforcement du bloc indépendantiste avec 52% des suffrages. La CUP est arrivée à une entente avec ERC, dans un contexte de crise sanitaire, économique et sociale. Selon lui c’est une priorité. Il faut lutter pour une redistribution juste de la richesse, un renforcement des services publics et contre la précarisation de la classe ouvrière ainsi que pour le droit au logement. Il faut ajouter la défense des droits civils et politique des droits humains contre la répression, et la défense du territoire contre les actions extractivistes.
Le nouveau gouvernement réorientera le Fond économique européen, le Next Generation, afin qu’il ne serve pas pour les grandes corporations multinationales et les banques, mais pour la redistribution de la richesse, vers un revenu de base universel et pour le renforcement des services publics dans le cadre de cette transition écoféministe.
Selon l’Union Européenne, le budget à long terme, associé à NextGenerationEU — l’instrument temporaire destiné à stimuler la reprise, comprend une enveloppe globale de 1 800 milliards d’euros pour contribuer à reconstruire l’Europe de l’après-COVID-19.
Selon Carles, ERC entend libérer cette réponse économique et sociale à la crise avec comme objectif d’exercer l’autodétermination dans cette législature avant 2025, et pense ainsi ouvrir une possibilité de discussion avec l’État. La CUP pense que ce n’est pas possible dans la situation politique actuelle. L’État n’accepte pas de dialoguer sur la base de l’autodétermination, l’exercice du référendum et l’amnistie. Il est donc nécessaire de créer les conditions d’une solution démocratique du conflit, il faut une révolution démocratique avec la mobilisation sociale la désobéissance civile, la souveraineté des institutions.
« On est arrivés à un accord avec ERC et JxC, que dans cette législature on va donner une opportunité au dialogue avec l’État mais que en l’absence d’un État qui veut négocier sur la base de l’autodétermination et de l’amnistie, on va générer un nouveau combat démocratique avec l‘État. C’est le cadre général de l’accord. » a-t-il affirmé.
« Notre projet indépendantiste c’est la création d’une république avec un cadre de droits, plus large que le cadre de droits actuellement possible dans l’État espagnol. On pense que ce confit démocratique pour la défense des droits, par exemple le droit au logement, c’est aussi une stratégie de lutte qui met en évidence la nécessité de l’autodétermination.
Il y a eu plus de 40 lois dans les dernières quatre années que ce parlement catalan a approuvé en défense des droits sociaux, économiques, d’égalité femmes-hommes de protection du territoire, de lutte contre les changements climatiques, en défense du droit au logement, que le tribunal constitutionnel a défait. »
Mais comment répondre à la répression de l’État espagnol comme cela a été le cas en 2017 ?
Dans sa réponse Carles Riera explique que c’est un phénomène inévitable étant donné la nature, le profil de l’État espagnol qui découle du régime de ’78. Pour lui le cadre de règlement doit nécessairement être multilatéral et international, au niveau des grèves générales des mobilisations des municipalités, qui oblige l’État espagnol à entrer dans un processus de dialogue, de négociation, sur la base de l’amnistie et de l’autodétermination. La solidarité internationale va être fondamentale. Il faut démontrer à la communauté internationale qu’il s’agit d’une lutte démocratique, qu’il ne s’agit pas d’un projet identitaire, il s’agit de la construction d’un espace social, politique, démocratique sur le territoire catalan, plus large en ce qui concerne les droits sociaux, humains civils, économiques et politiques. Ce processus de déconstruction du régime de `78, ouvre de nouvelles possibilités de nouveaux rapports, de nouvelles relations internationales ainsi qu’avec la gauche de l’état espagnole, avec le mouvement populaire, de nouveaux espaces de solidarité, d’alliances.
À la question de déclaration d’indépendance et d’assemblée constituante, Carles répond que parler de l’indépendance pendant cette législature c’est probablement trop optimiste, on parle d’exercer l’autodétermination, donc on parle de l’organisation d’un référendum, alors il faut créer les conditions nationales et internationales pour le rendre possible, l’ objectif est dans le cadre des prochains 4 ou 5 années c’est d’arriver à un moment important du point de vue de l’autodétermination avec un référendum et la mise en place d’un processus constituant.
En ce qui concerne la possibilité évoquée par le président Pedro Sanchez de gracier les camarades emprisonnés, il explique que la logique du régime de ’78 fait que ce gouvernement n’est pas capable de donner une réponse démocratique de résolution de ce conflit. Malgré ça, le gouvernement de Pedro Sanchez veut une étape de distanciation, de réduction du conflit, mais cela ne représente pas une solution politique. C’est une distanciation du conflit, c’est bien différent. L’unique solution politique c’est l’amnistie qui doit être liée à la possibilité d’exercer l’autodétermination, donc un nouveau cadre. Il y a neuf prisonniers politiques, il y a pas mal d’exilés et il y a presque 4000 personnes qui actuellement sont réprimées avec des causes judiciaires pour leur participation dans les mobilisations indépendantistes. Il faut remettre à l’avant-scène la mobilisation sociale et le soutien international pour que le référendum devienne une solution inévitable. Il faut poser la question des limites de la constitution espagnole et du tribunal constitutionnel qui interdit de façon continue les lois que ce gouvernement approuve. Concernant les droits sociaux comme le logement.
La montée de la droite d’Isabelle Aguizo lors des élections régionales à Madrid est inquiétante, plusieurs la voient déjà comme candidate potentielle contre Pedro Sanchez. Selon Carles Riera il s’agit d’un problème politique de fond. L’extrême droite se déploie là où la gauche a échoué à répondre adéquatement à la crise et à offrir des solutions pour la classe ouvrière, « nous savons très bien cela en Europe, nous en avons déjà fait l’expérience, ajoute-t-il, c’est pour ça qu’il faut un processus indépendantiste républicain basé sur les droits fondamentaux de la classe ouvrière ».
Dans ce contexte, la toute récente déclaration du Conseil Européen apportant un appui en faveur de la libération des prisonniers politique ajoutera un poids certain à la lutte pour la démocratie." Le Conseil Européen a officiellement appelé l’Espagne à libérer les prisonniers politiques de Catalogne et à retirer les demandes d’extradition de leurs collègues exilés. L’assemblée parlementaire de l’institution a donné son feu vert à un rapport de sa commission des affaires juridiques sur la situation des dirigeants politiques derrière les barreaux en Espagne et en Turquie par 70 voix pour, 28 contre et 12 abstentions. Ils ont également renversé un à un et à une large majorité les amendements des représentants espagnols du PSOE et du PP qui voulaient réduire le contenu critique du rapport." (3)
(1) https://www.marxiste.org/international/europe/espagne/2601-le-soulevement-de-la-catalogne-a-bas-le-regime-de-1978
(2) https://alencontre.org/debats/debat-les-elections-du-14-fevrier-en-catalogne-prise-de-position-des-anticapitalistas.html
(3) https://english.vilaweb.cat/noticies/spains-resounding-defeat-council-of-europe-demands-release-of-catalan-political-prisoners-and-return-of-exiles/. Le Conseil européen définit les orientations et les priorités politiques générales de l’UE. N’étant pas l’une des institutions législatives de l’UE, il ne prend pas part aux négociations sur la législation de l’UE ni à l’adoption de celle-ci. En revanche, il établit le programme d’action de l’UE, généralement en adoptant, lors des réunions du Conseil européen, des conclusions mettant en avant des sujets de préoccupation et les mesures à prendre.
(4) Villaweb
(5) Déclaration de la CUP
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