Introduction
A l’usage désormais très répandu, le terme de transition énergétique n’est que trop rarement précisé. Comme si la transition, littéralement le passage d’un état à un autre, se suffisait à elle-même et pouvait définir une politique. L’observation du mix énergétique mondial, de son évolution récente et des tendances actuelles permet de se rendre compte qu’une profonde transition énergétique est en cours. Trouver coûte que coûte des substituts au pétrole conventionnel bon marché dont le maximum de production aurait été atteint en 2006 en est la pierre angulaire. Il en découle une frénésie extractive dans les hydrocarbures non conventionnels [1] et un déploiement massif des agrocarburants qui hypothèquent sévèrement toute possibilité de stabilisation du climat et de satisfaction des besoins alimentaires de l’ensemble de la population mondiale. si l’on y ajoute la catastrophe nucléaire de Fukushima, un accès à l’énergie profondément inégalitaire, les défis climatiques et les catastrophes écologiques générées par l’usage sans limite des énergies fossiles, le débat sur l’avenir énergétique mondial ne manque pas d’entrées en matière.
Au point que François Hollande et son gouvernement ont décidé d’organiser un débat national sur la transition énergétique, tout en ayant limité assez sérieusement le périmètre du débat – l’abandon du nucléaire n’est pas
à l’ordre du jour – et en ayant déjà tracé les grandes lignes des orientations à venir – le mix énergétique recherché pour 2025 est déjà connu. Réduit au seul territoire national, le débat sur la transition énergétique français n’en reste pas moins un moment important pour y introduire quelques-uns des principes qui devraient être au coeur d’une approche altermondialiste des défis énergétiques du XXIe siècle. Ce document vise à y contribuer modestement en proposant sept principes comme autant de pistes d’action
qui devraient guider des politiques, recherches et pratiques de transition énergétique vers des modèles écologiques, justes, solidaires et démocratiques.
La thèse générale consiste à affirmer que l’énergie doit devenir un bien commun, un commun dont on prend soin collectivement et démocratiquement, selon des mécanismes de régulation qui peuvent se trouver tout aussi bien hors marché qu’hors Etat. Pratiquer les communs pour les promouvoir, construire la résilience de nos territoires et des populations, expérimenter, innover, mêler inextricablement savoirs scientifiques, savoirs-faire, savoirs profanes et exigences citoyennes, autant de pistes pour une véritable transition écologique, sociale et démocratique. C’est parce que la teneur et les exigences de la transition écologique et sociale dont nous avons besoin nécessite l’implication, les savoirs, l’esprit critique et l’intelligence
de toutes et tous qu’il est décisif d’encourager, déployer et décupler les trésors d’innovation sociale et citoyenne sur les territoires. Faire face aux dérèglements climatiques, à la raréfaction des ressources non renouvelables, mais aussi aux transformations sociales, culturelles et économiques qu’occasionnent les transitions qu’il est nécessaire de mettre en oeuvre ne pourra se faire sans les populations, sans l’implication de chacun-e d’entre nous.
A ces objectifs correspondent une série de passages obligés exigeant d’oeuvrer à la démarchandisation et à la définanciarisation de l’énergie, tout en évitant le piège techno-scientifique dans lequel les spécialistes veulent nous enfermer. L’enjeu est de reprendre le contrôle sur les grands choix énergétiques et assurer que les populations de la planète aient un accès collectif égalitaire aux services de l’énergie. Considérant que ce qui est appelé la crise de l’énergie n’a de sens et n’est crise qu’en rapport à la société telle qu’elle existe, l’approche présentée ici fait de la réappropriation citoyenne et collective de notre avenir énergétique un des véhicules d’une profonde transformation de nos sociétés vers des modèles écologiques, justes socialement et démocratiques. Mais avant toute chose, stopper les tendances énergétiques actuelles et satisfaire urgemment aux exigences climatiques apparaissent comme un préalable sans quoi rien ne sera possible.
Principe no.1 Stopper la transition énerégtique en cours, une nécessité impérieuse.
La transition énergétique actuelle, menée dans une perspective de Business as usual visant à faire perdurer aussi longtemps que possible un modèle insoutenable, consiste à mobiliser tous les moyens disponibles pour
trouver des substituts au pétrole conventionnel, dont le pic absolu de production aurait été franchi en 2006 selon l’Agence internationale de l’énergie [2]. Depuis 2006, la production serait stabilisée autour d’un plateau ondulant et ne pourrait plus dépasser les 70 millions de barils par jour. Si la consommation mondiale de pétrole
ne s’effondre pas, c’est en raison d’une augmentation de la production de pétrole non conventionnel.
Plus de 40 % du maïs produit aux Etats-Unis, deux tiers des huiles végétales produites en Europe et des centaines de milliers d’hectares accaparés dans les pays du Sud sont aujourd’hui destinés à la fabrication d’agrocarburants. Largement soutenu et subventionné par les pouvoirs publics [3], le développement des agrocarburants se fait au détriment des productions vivrières et de la survie des populations. Il faut y ajouter la course sans limite à l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures (offshore profond, sables bitumineux, gaz et pétrole de schiste, Arctique), toujours plus loin et plus profond, au point que les investissements dans le secteur ont dépassé les 1 000 milliards de dollars en 2012, en hausse de 13 % par rapport à l’année précédente. L’exploitation des sables bitumineux d’Alberta (Canada) ou des pétroles de schiste du Dakota du Nord (Etats-Unis) modifient la donne pétrolière mondiale au point que le Canada disposerait de réserves pétrolières sensiblement équivalentes à celles de l’Arabie Saoudite, et que les États-Unis sont redevenus exportateurs nets de produits pétroliers en 2011, pour la première fois depuis 1949.
Aujourd’hui, loin d’encourager la substitution des énergies renouvelables aux énergies fossiles, le renchérissement de l’extraction du pétrole, et plus largement des énergies fossiles, incite au contraire les multinationales
de l’énergie à investir massivement dans le développement d’énergies fossiles plus coûteuses à extraire. Rien n’augure que les énergies fossiles – pétrole, gaz et charbon – abandonnent la place prépondérante qu’elles occupent dans le mix énergétique mondial, soit aujourd’hui environ 80 %. Les productions et consommations mondiales d’énergies fossiles se sont fortement accrues ces dernières années : 4 % en moyenne par an depuis 2008 pour le pétrole, 60 % pour le charbon entre 2000 et 2009, 32 % pour le gaz sur la même période. L’idée selon laquelle les sources d’énergie renouvelables telles que l’éolien, le photovoltaïque et la biomasse viendraient naturellement se substituer aux énergies fossiles traditionnelles est encore un mirage. D’ailleurs, historiquement, les nouvelles ressources énergétiques se sont toujours additionnées aux précédentes, sans véritable substitution. Si les parts relatives des différentes sources d’énergie dans le mix énergétique global peut évoluer au cours du temps, globalement la consommation en valeur absolue de chacune de ces sources d’énergie a tendance à s’accroître.
A ces records de consommation d’énergies fossiles correspondent mécaniquement des records d’émissions de CO2 : + 3,2 % en 2011, suite aux + 6 % de 2010. Au cours du printemps 2013, des taux de concentration
de CO2 dans l’atmosphère supérieurs à 400 ppm ont été relevés, alors qu’un bond impressionnant avait déjà été relevé en 2012 [4]. Selon le dernier rapport [5] de la Banque mondiale, les émissions de CO2 auraient atteint les 35 milliards de tonnes en 2012. A ce rythme-là, plusieurs études ont montré que le réchauffement global pourrait dépasser les 4°C, voire 6°C, d’ici la fin du siècle [6]. Soit a minima deux fois plus que l’objectif maximal de 2°C que s’étaient assignés les Etats de la planète. Le caractère fini des réserves d’énergies fossiles, bien réel et aux effets économiques certains, semble donc à court terme moins pressant que les limites environnementales franchies par l’usage sans limite des énergies fossiles. Impossible donc d’attendre de la contrainte physique qu’elle se substitue à l’absence de volonté politique.
Rédaction : Maxime Combes