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Extrême-droite

Sommes-nous dans les années 30 ?

11 août 2017 | tiré de La gauche - Belgique

Trump aux Etats-Unis, Orban en Hongrie, Farage en Grande-Bretagne, Le Pen en France, Wilders aux Pays-Bas, Duda en Pologne, Erdogan en Turquie… : au-delà des spécificités nationales, il est clair qu’une tendance autoritaire, nationaliste, machiste et raciste monte en puissance dans de nombreux pays.

S’agit-il de fascisme ? Sommes-nous replongés dans la situation des années 20 et 30, qui a vu Mussolini et Hitler s’emparer du pouvoir ? Si ce n’est pas du fascisme, de quoi s’agit-il ? Et en quoi cette discussion est-elle importante pratiquement, dans la lutte sociale et politique quotidienne ? Voilà quelques-unes des questions abordées dans cet article, qui n’est qu’une contribution au débat.

Tout régime autoritaire dans l’Histoire, même s’il est sanglant, n’est pas fasciste. Le fascisme est un phénomène propre au capitalisme parvenu à un certain niveau de développement (ou de putréfaction). La dictature stalinienne a fait des millions de morts mais n’était pas fasciste. Le régime nord-coréen est abominable, mais pas fasciste. De nombreuses sociétés avant le capitalisme ont subi des despotes cruels, mais Ivan le Terrible n’était pas fasciste.
 
Tout régime autoritaire n’est pas nécessairement fasciste
 
Le capitalisme tend vers des formes d’Etat de plus en plus autoritaires. C’est le résultat de la concentration et de la centralisation du capital : des investissements gigantesques sont planifiés sur de longues périodes. Ils sont financés à crédit par les banques. Toute l’économie flotte sur un océan de dettes. La baisse du taux de profit découlant de la mécanisation est compensée par l’augmentation de la masse de marchandises. La concurrence est farouche. Surtout en période de crise, le Capital a besoin de faire respecter la « pensée unique », de brider les droits syndicaux, de restreindre les libertés démocratiques. C’est la « tendance à l’Etat fort ». Elle est dangereuse, mais l’Etat fort n’est pas un fascisme : De Gaulle n’est pas Hitler.
Dans certaines circonstances, le Capital donne le pouvoir à l’armée qui instaure une dictature. L’Amérique latine a présenté de nombreux exemples : au Brésil, en Bolivie, au Chili… des putschs (décidés à Washington) ont instauré des dictatures féroces. Mais les décrire comme « fascistes » serait escamoter la spécificité du fascisme : sa démagogie pseudo-anticapitaliste, nationaliste, aux accents révolutionnaires, qu’il emploie pour recruter dans les couches déclassées de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie ruinée par la crise capitaliste.

Le fascisme, en effet, n’est pas un Frankenstein créé de toutes pièces par le Capital. C’est un mouvement populaire militant, de masse, issu des bas-fonds. Un mouvement violent, raciste, machiste, réactionnaire, mais qui naît en-dehors du contrôle et de la volonté du Capital. Des patrons le financent mais les grands bourgeois en général – la classe bourgeoise – n’éprouvent aucune sympathie pour les fascistes : ils les voient comme des sauterelles prêtes à leur bouffer leurs richesses. Les fascistes, pour leur part, méprisent les bourgeois, ils les trouvent veules et sans « idéal ». Il est donc erroné de dire que « le capitalisme se fascise », ou qu’il y a « fascisation de l’Etat capitaliste », etc. Ces formules empêchent de saisir le point clé : les fascistes doivent prendre le pouvoir. Ce n’est possible que s’ils se rendent indispensables aux yeux de la classe dominante, et ça ne va pas de soi.
Le fascisme ne se caractérise pas par ses « idées », il n’en a pas…
 
L’Histoire en atteste. Contrairement à une légende tenace, Hitler n’est pas arrivé au pouvoir par les urnes. Les nazis n’avaient pas la majorité (ils ne l’ont jamais eue) ; entre juillet et novembre 1932, ils avaient même perdu des millions de voix. Hitler a été nommé chancelier par le Président, le vieux général Hindenburg. Hindenburg était un réactionnaire, qui gouvernait par décret en usant et abusant de son droit de dissoudre le parlement. Il refusait pourtant de nommer Hitler (il est juste bon à être ministre des Postes, disait-il). Pourquoi changea-t-il d’avis ? Parce que la crise politique était inextricable. La social-démocratie et les communistes totalisaient plus de voix que les nazis. Ceux-ci formaient le premier parti, mais le grand capital s’en méfiait. Hitler fut donc convoqué devant des patrons (Krupp, Thyssen, Allianz, Deutsche Bank…) qui lui demandèrent s’il comptait « nationaliser toutes les entreprises appartenant à des trusts », comme promis dans son programme. Hitler les rassura : évidemment, non. Par contre, il les débarrasserait des syndicats… Et Hindenburg a eu le feu vert.

Le fascisme ne se caractérise pas par ses « idées » – il n’en a pas. Il lutte pour le pouvoir, point. Son message repose uniquement sur des mythes réactionnaires : l’unité de la nation, du peuple, de la race et de la famille, le rôle du chef, l’exaltation de la violence. Ces mythes impliquent à leur tour le racisme, l’oppression des femmes, celle des gays-lesbiennes, la haine viscérale contre l’action autonome des exploité.e.s et des opprimé.e.s, la banalisation du meurtre. Le fascisme n’a ni analyse, ni programme, ni morale, ni principes. Ses accents « anticapitalistes » constituent un leurre grossier. Le mot « capitalisme », dans la bouche des fascistes, ne désigne pas un système mais des personnes riches étrangères (ou « traîtres ») au peuple, à la nation et à la race. D’où la focalisation sur la corruption (« tous pourris ») et sur les impôts plutôt que sur l’exploitation et la plus-value. D’où la rage contre le capital financier « cosmopolite ». D’où la fonction clé de l’antisémitisme chez les nazis.

On ne discutera pas ici toutes les situations nationales énumérées au début de cet article. Malgré leurs spécificités, elles ont de nombreux points communs dont certains sont fascistoïdes. Mais une situation peut présenter des traits fascistes sans qu’il y ait fascisme proprement dit. Exemple : le coup de Pinochet au Chili était un putsch militaire, mais la grève des patrons camionneurs et les « casserolades », qui ont précédé le putsch, avaient des aspects fascistes. Dans le même ordre d’idées, quand Théo Francken dit que MSF fait le jeu des passeurs en sauvant des réfugiés, son message est clair : il faut que des êtres humains se noient en Méditerranée, et que ça se sache dans leur pays d’origine, pour que moins de candidats à l’asile tentent la traversée. Cette déclaration est clairement fasciste, et fait le jeu des fascistes. Mais la N-VA est un parti de droite national-libéral, pas un parti fasciste.
 
Qu’en est-il du FN ?
 
Concentrons-nous sur le cas français. Qu’en est-il du Front National (FN) ? A la différence d’autres formations de droite extrême qui montent aujourd’hui, le FN est un parti dirigé par des fascistes issus du fascisme historique (Pétain, etc.). Le grand capital n’est pas prêt à leur laisser le pouvoir, mais il n’est pas maître des électeurs. Or, la stratégie du FN est subtile. Il sait que ce n’est pas en défilant en chemises brunes qu’il se rendra indispensable : il faut que la classe dominante ait besoin de ce qu’il offre. Or, de quoi la classe dominante a-t-elle le plus besoin aujourd’hui ? De troupes de choc pour briser les syndicats ? Non. D’un instrument politique fort pour approfondir radicalement la politique d’austérité tout en gardant le contrôle des contradictions sociales.

Face à ce besoin, la stratégie du FN comportait (et continue de comporter) en gros trois volets : détourner les sentiments altermondialistes en nationalisme (le « protectionnisme intelligent »), exciter le racisme et l’islamophobie, affaiblir ainsi la gauche, créer une situation de violence « communautaire » ; utiliser les leviers de l’Etat fort gaulliste, l’arsenal de mesures racistes/sécuritaires ajouté ces dernières années et l’influence FN organisée dans la police pour transformer cette situation de violence en situation de guerre civile ; créer ainsi un contexte où le fascisme proprement dit pourra se développer et « justifier » son action de destruction des droits démocratiques au nom de l’unité de la nation.

Le Pen n’a pas gagné. Macron l’a emporté en offrant une autre perspective : l’alliance de la droite, du centre et de la gauche de droite sur une base néolibérale moderniste et pro-européenne. Ce projet a les faveurs du grand capital. Celui-ci sait qu’un Etat fort, ce n’est pas seulement une police brutale et des lois répressives : c’est aussi, nécessairement, une classe politique forte, reposant sur une certaine légitimité, sur un bloc historique majoritaire. Cette légitimité en France est considérablement affaiblie par les affaires et la fausse alternance entre droite et gauche. Macron tente de la reconstruire en se présentant comme un moralisateur de la vie politique et un Bonaparte, « ni de gauche, ni de droite ».

Le pari est audacieux, mais risqué. Car le fond du problème demeure : l’austérité imposée despotiquement par l’Union européenne (UE) ultralibérale, dont Macron est un champion, alimente la montée du FN. Il n’y a pas de raison que ça change simplement parce que le nouveau locataire de l’Elysée est jeune et dynamique. Dès lors, soit l’UE se réforme pour lâcher du lest, soit la crise politique rebondira et le FN sera plus proche du pouvoir que jamais.

Le Pen a perdu une bataille, pas la guerre. Avec ses 11 millions de voix, le FN mise sur un échec de Macron pour recomposer une droite autoritaire qui apparaîtra comme un recours dans le chaos politique. Une droite qui prendra le relais pour continuer l’austérité en semant le désarroi dans les couches populaires par son positionnement nationaliste/souverainiste couplé à une exploitation débridée du racisme et de l’islamophobie qui gangrènent la société française. Nous ne sommes pas vraiment dans les années 30. Les rythmes sont plus lents. Mais la bête immonde sait se montrer patiente. Unifier les luttes contre la politique néolibérale est plus urgent et nécessaire que jamais, en France et ailleurs.

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