25 mars 2022 | Antiwar.com
Après avoir signalé un engagement à accepter éventuellement l’Ukraine dans l’UE, ni Washington ni l’Europe n’utilisent leur pouvoir et leur influence afin de faciliter un règlement diplomatique du conflit. Tout ce que l’Occident, dirigé par les États-Unis, est prêt à faire est livrer beaucoup d’armes, ce qui prolongera la guerre, maximisera les morts et la destruction, sans créer aucun espoir d’une victoire sur la Russie, mais le risque d’un retour de la flamme vers l’Ouest.
Tout cela expose le mensonge de l’Occident qui prétend « se tenir aux côtés de l’Ukraine ». Cela est cependant conforme à la manière dont les États-Unis et l’UE ont traité ce pays depuis 2013, alors qu’ils ont présenté à ce pays divisé un ultimatum qui ne pouvait que menacer sa fragile stabilité.
Comme Jack Matlock, ancien ambassadeur américain à l’URSS l’a expliqué dans son livre Superpower Illusions, la plus grande menace pour l’Ukraine post-soviétique n’était pas l’impérialisme russe, mais les propres divisions internes du pays. En conséquence, le pays nouvellement indépendant devait adopter une approche pluraliste de gouvernance, basée sur une identité civique, plutôt qu’ethnique, afin d’assurer la cohésion sociale nécessaire à la paix et à la stabilité à long terme.
L’Ukraine : une société divisée
L’Ukraine, avec la Russie, avait constitué une fédération lâche de tribus slaves orientales, gouvernées par la dynastie Rurik du 9ème au 13ème siècle dans ce qui est historiquement appelé la Rus’ kiévienne. Des liens ont été cimentés par l’Église orthodoxe, lorsque le prince Vladimir a choisi cette religion pour son peuple au 10ème siècle. Au moment de l’invasion mongole de l’Est au 13e siècle, la région avait dégénéré en rivalités entre divers princes, qui régnaient sur une douzaine de régions indépendantes.
Lorsque les massacres mongols ont tué environ les deux tiers de la population, certain.e.s des survivant.e.s ont réussi à fuir vers le nord plus près de ce qui est aujourd’hui Moscou. Ceux et celles qui sont resté.e.s ont été assujetti.e.s. Les liens slaves ont été rompu. Ceux et celles de la partie sud de la région de la Rus’ kiévienne sont devenu.e.s connu.e.s plus tard sous le nom d’Ukrainien.ne.s. Ils et elles ont été ensuite gouverné.e.s par la Pologne et la Lithuanie.
Au milieu du XVIIe siècle, le traité de Pereyaslavl’ a joint l’Ukraine à la Russie en tant que région autonome. Cela a conduit à une guerre de treize ans entre la Russie et la Pologne, qui a abouti à la division de l’Ukraine entre ces deux pays. Dès lors, les parties ukrainophones de Pologne-Lituanie ont été progressivement conquises par l’Empire russe, conduisant de nombreux Ukrainien.ne.s orthodoxes à s’identifier fortement à la Russie. À partir de la fin du XVIIIe siècle, les Russes ont qualifié le territoire ukrainien de Malorussie ou de « Petite Russie », considérant l’Ukraine et la langue ukrainienne comme issues de l’histoire et de la culture russes, et ils ont ensuite cherché à la normaliser au russe.
Les parties occidentales de l’Ukraine moderne faisaient partie de l’Empire austro-hongrois au XIXe et au début du XXe siècle, tandis que la partie sud-est faisait partie de l’Empire russe. Un État ukrainien indépendant a émergé très brièvement pendant les années de la Révolution russe et du début de la guerre civile. Mais dès 1919 le projet a échoué. Depuis lors et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, certaines parties de l’Ukraine étaient gouvernées par la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Russie soviétique.
Cette dernière partie est devenue une République soviétique gouvernée par le Parti communiste. La domination russo-soviétique de l’Ukraine aux XIXe et XXe siècles a créé des schémas de migration complexes, avec des parties importantes du sud de l’Ukraine colonisées par des Russes, y compris ceux et celles qui sont venu.e.s travailler dans les mines et les usines de la région du Donbass, apportant la langue russe avec eux et elles.
En 1991, l’Ukraine a obtenu son indépendance après l’effondrement de l’Union soviétique. Suite de l’histoire décrite ci-dessus, l’Ukraine s’est retrouvée avec des divisions ethniques, culturelles et linguistiques. Selon le chercheur britannique Richard Sakwa dans son livre Frontline Ukraine, deux points de vue différents et irréconciliables ont émergé sur la manière d’organiser l’État ukrainien.
La première est l’approche moniste. C’est la conviction que l’Ukraine est une entité culturelle et politique unique. La philosophie politique qui sous-tend ce point de vue est fortement influencée par l’identité ethno-nationaliste galicienne de l’Ukraine occidentale, plutôt que par une identité civique ou pluraliste. Il plaide pour l’ukrainisation de la société, y compris un État unitaire avec une seule langue. Il s’inspire en partie de la pensée de ceux et celles qui tentaient de créer l’État indépendant qui a échoué en 1919.
Cet échec a ensuite été imputé à la démocratie, au libéralisme et au manque de volonté, ouvrant la voie aux sympathies fascistes. Au début des années 1930, les ultra-nationalistes ukrainien.ne.s, dirigé.e.s par Stepan Bandera, ont violemment résisté à la domination polonaise en Galice. En 1939, le pacte Molotov-Ribbentrop entre l’Allemagne et l’Union soviétique a fait de la Galice une partie de l’Union soviétique - une région qui n’avait jamais été sous la domination impériale russe et qui reste aujourd’hui la partie la plus fortement nationaliste et anti-russe de l’Ukraine.
Lorsque les Allemand.e.s ont envahi l’Union soviétique en 1941, les ultranationalistes ukrainien.ne.s ont soutenu les Allemand.e.s en pensant qu’ils et elles aideraient à la création d’une Ukraine indépendante. L’armée ultranationaliste ukrainienne - qui soutenait Stepan Bandera - a massacré 70,000 Polonais et Polonaise à Volyn en 1943 et 130,000 personnes en Galice orientale en 1945. Des statues de Bandera ont été érigées dans tout l’ouest de l’Ukraine à partir d’octobre 2007. Des rues ont également été porte son nom, et un portrait géant de Bandera a été présenté sur scène lors des manifestations de Maidan, lors de la dite « révolution de la dignité » de 2014.
La vision alternative de la manière d’organiser l’État ukrainien est basée sur le pluralisme et reconnaît que l’Ukraine a une ascendance commune avec la Rus’ kievienne, mettant l’accent sur une identité ukrainienne civique plutôt qu’ethno-nationaliste. L’approche pluraliste dit que la diversité culturelle, ethnique et linguistique doit être reconnue et respectée. Elle appelle à une certaine décentralisation de l’État. Cependant, le soutien à ce projet est compliqué par le fait que la centralisation profite à certains intérêts financiers ainsi que politiques, à savoir les dit.e.s oligarques.
Pendant ses deux premières décennies d’indépendance, l’Ukraine s’est livrée à un maladroit équilibre entre l’ouest nationaliste, l’est russophile, et la partie centrale, relativement modérée, du pays. De nombreux Ukrainiens, nombreuses Ukrainiennes voulaient sans aucun doute profiter des avantages perçus de l’Occident. Mais il n’y avait aucun appel significatif à rompre les relations économiques de l’Ukraine avec le pays avec lequel elle avait les liens familiaux et sociaux les plus denses et qui constituait son plus important partenaire commercial - la Russie. Il n’y avait pas non plus de soutien majoritaire à l’adhésion à l’OTAN, mais plutôt un soutien continu au non-alignement.
Cela a changé en 2013 lorsque l’Occident a lancé un ultimatum à l’Ukraine sous la forme d’un accord d’association avec l’UE. Cet accord demandait en fait à l’Ukraine à mettre en œuvre des mesures d’austérité profondément impopulaires, à renoncer à son commerce avec la Russie – bien que, contrairement à l’UE, la Russie ait accepté de nombreuses exportations ukrainiennes que l’UE refusait – et à synchroniser sa sécurité avec l’OTAN.
La Russie avait demandé des pourparlers tripartites avec l’UE et l’Ukraine pour négocier un accord qui accommoderait les trois parties. Mais l’UE a rejeté d’emblée toute tentative d’un tel compromis. L’UE, dirigée par l’Allemagne, obligeait effectivement l’Ukraine à choisir entre l’Occident et la Russie. Viktor Ianoukovitch, le président ukrainien à l’époque, a décidé de rejeter l’offre européenne en faveur d’un accord de la Russie, consistant en un prêt de $15 milliards et une réduction des prix du gaz.
Les manifestations sur la place Maïdan à Kiev ont commencé pacifiquement à la fin de l’automne 2013. Elles exprimaient un désir de réforme et de rapprochement avec l’UE. Cependant, le 4 février 2014, une conversation téléphonique divulguée entre la responsable du département d’État américain Victoria Nuland et l’ambassadeur américain en Ukraine Geoffrey Pyatt a révélé que les deux discutaient de ce qui semble être un plan visant à utiliser les manifestations pour faciliter un renversement illégal du gouvernement démocratiquement élu de Ukraine.
Nuland et Pyatt discutaient de qui devrait devenir le nouveau Premier ministre ukrainien – et cet homme, Arsenii Iatseniouk, deviendrait, en fait, quelques semaines plus tard, le Premier ministre. Ce changement de régime, comme nous le verrons plus tard, se traduirait commodément par un gouvernement ukrainien qui soutiendrait l’agenda de Washington. Il convient de noter que Nuland a mentionné le vice-président de l’époque, Joe Biden, comme le responsable américain qui devait approuver l’action.
Dans l’intervalle, le mouvement de la place Maidan a été détourné par des forces ultranationalistes qui se sont servies de la violence, à partir du 18 février 2014, avec la marche dans la rue Institutskaya. Cet événement a d’abord été présenté comme une « offensive pacifique » contre le parlement ukrainien. Mais il y avait une incapacité, ou une réticence, de la part du reste du mouvement à maintenir le caractère pacifique des manifestations. Au cours des jours suivants, un massacre de policiers et de manifestant.e.s sur le Maïdan, initialement imputé aux forces de Ianoukovitch, a été perpétré par les ultranationalistes.
Ces mêmes ultranationalistes violents ont rejeté l’accord du 21 février, négocié par des représentants de la France, de l’Allemagne et de la Pologne avec le gouvernement Ianoukovitch. Cet accord prévoyait la résolution pacifique de l’impasse de plusieurs mois sur le Maidan, par mopyen d’élections anticipées, qui aurait entraîné le départ de Ianoukovitch avant l’expiration de son mandat initial, et une décentralisation du pouvoir.
Après l’installation du gouvernement créé par le coup d’État pro-occidental, des lois ont été adoptées pour interdire la langue russe (annulées par la suite), et des politiciens ultranationalistes ont obtenu des postes ministériels dans les départements de l’Intérieur et de l’Éducation. Iatseniouk a été nommé Premier ministre, et l’accord avec l’UE a été signé.
Les habitant.e.s du Donbass ciblé.es par une « opération antiterroriste » : la guerre civile commence
Les résident.e.s de certaines parties de l’Ukraine qui avaient des liens ethniques, culturels et linguistiques étroits avec la Russie, y compris le Donbass, ont été extrêmement alarmé.e.s par le changement illégal de gouvernement, ainsi que par la violence et la rhétorique anti-russe qui y étaient associées.
Le professeur Serhiy Kudelia de l’Université Baylor au E-U déclare, dans son étude approfondie des manifestations de Maïdan, que le nouveau gouvernement à Kiev a bien tenté de négocier avec les rebelles. Cependant, on peut se demander à quel point cela était censé être pris au sérieux par les rebelles, alors que l’un des deux hommes que Kiev a envoyés à cette fin était l’activiste néonazi Andriy Parubiy, qui avait participé aux violences du Maidan. (L’autre était Vice-Premier ministre Vitaly Yarema). Et cette tentative de négociation n’a pas été entreprise qu’après que les villes du Donbass de Donetsk et Louhansk aient organisé un référendum appelant à l’autodétermination, considérée comme une monnaie d’échange pour obtenir le plus d’autonomie possible.
Ces négociations ont échoué, et le gouvernement nouvellement installé à Kiev a décidé d’utiliser la force contre les rebelles du Donbass, déclarant une « opération anti-terroriste » contre la région. Mais la rébellion n’appelait à l’origine qu’à la fédéralisation, et seule une minorité appelait à un État indépendant, connu sous le nom de Novorossiya. Cet dernier appel augmenterait naturellement plus tard, après des mois d’« opération anti-terroriste » contre le Donbass, qui comprenait des bombardements de quartiers civils et le recours à de vicieux bataillons néonazis, nécessaire pour compenser le manque d’estomac pour cette guerre de nombreux conscrits de l’armée ukrainienne régulière. Ces attaques se sont poursuivies, bien qu’à un rythme moindre qu’en 2014-2015, après l’accord de Minsk de février 2015.
Selon les statistiques de l’ONU, environ 14,000 Ukrainien.ne.s sont mort.e.s dans le Donbass depuis le début de « l’opération antiterroriste » de Kiev contre eux et elles , avec environ 80% de ces victimes du côté des rebelles. Et il est intéressant de noter le contraste dans la façon dont ces victimes de la guerre – de nombreuses femmes et enfants pulvérisé.e.s – ont été traitées par les médias occidentaux - pas de hurlements d’indignation, de larmes de crocodile ou d’appels à « faire quelque chose » pour l’arrêter.
Il y avait à peine un coup d’œil des médias ou des responsables occidentaux et occidentales lorsque le président ukrainien Petro Porochenko a déclaré en octobre 2014 à propos de ses compatriotes ukrainien.ne.s du Donbass, en référence à la révocation par son gouvernement des prestations de retraite et aux bombardement qui les forçaient à se cacher des bombardements :
« Nous nous aurons des emplois - ils n’en auront pas. Nous aurons des pensions - ils n’en auront pas. [….] Nos enfants fréquenteront des écoles et des jardins d’enfants - les leurs se cacheront dans les sous-sols. »
Le gouvernement de Porochenko l’a clairement fait savoir, peu de temps après avoir signé l’accord de Minsk II en 2015 - qui appelait au dialogue avec les rebelles au sujet d’élections, à l’adoption d’une loi par Kiev qui accorderait un statut spécial aux régions rebelles, à l’amnistie et à la reprise de l’activité économique et des services sociaux – qu’il ne le mettrait pas en œuvre. Les ultranationalistes, qui ont un pouvoir disproportionné par rapport à leur pourcentage de la population, en raison de leur volonté d’utiliser la violence et de leur pénétration dans la police et l’armée, ont clairement indiqué que toute tentative de faire ce qu’ils et elles percevaient comme des concessions au Donbass ou à la Russie serait gravement dangereuse.
Volodymyr Zelenskii, acteur et comédien sans expérience politique, a battu Porochenko par une énorme marge lors des élections de 2019, en se présentant comme candidat pour la paix. Il ne lui a pas fallu longtemps pour se rendre compte également que les ultranationalistes feraient échouer toute tentative de paix qu’il ferait, ce qui nécessiterait de les désarmer.
Cela a été illustré lorsque Zelensky s’est rendu à Zolote, situé sur la ligne de contact dans le Donbass, pour exhorter les milices ultranationalistes, dirigées par le bataillon néo-nazi Azov, à se désengager. Les milices ont refusé, et Zelensky a été contraint de reculer, alors que d’autres extrémistes armés menaçaient de descendre dans la région si Zelensky promouvait l’idée.
Cela a rendu le processus de Minsk pratiquement mort, et Zelensky a rapidement commencé à coopérer avec les ultranationalistes, qui avaient été intégrés à l’armée ukrainienne. Il a également autorisé le ministère de l’Intérieur à déployer les brigades d’autodéfense composées d’ultranationalistes à travers toute l’Ukraine. Il a même présenté aux combattants ultranationalistes des prix d’État.
Il convient de noter que Zelensky et le bataillon Azov, ainsi que d’autres milices ultranationalistes, ont un bienfaiteur financier commun sous la forme de l’oligarque ukrainien Ihor Kolomoisky. Le bataillon Azov contrôle actuellement la ville de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, dans laquelle de lourdes pertes civiles sont signalées.
Adhésion de fait à l’OTAN
Depuis le coup d’État de 2014, soutenu par l’Occident, de nombreuses actions ont pu être perçues comme rapprochant l’Ukraine d’une adhésion de fait à l’OTAN. Rien qu’au cours des trois dernières années, la constitution ukrainienne a été modifiée pour codifier l’aspiration à l’adhésion à l’OTAN plutôt qu’à la neutralité. Plus d’un milliard de dollars d’armes ont été déversés en Ukraine depuis le printemps 2021. Les États-Unis et d’autres pays ont formé l’armée ukrainienne pour qu’elle puisse fonctionner directement avec l’OTAN. Davantage d’exercices US/Rouaume-Uni/OTAN ont eu lieu dans la région. Et les navires de guerre américains ont augmenté leur temps passé en mer Noire de 150 % entre 2020 et 2021. Il y avait aussi la crainte que des systèmes de missiles similaires à ceux stationnés en Roumanie et en Pologne – dont le gouvernement russe pense qu’ils ont une capacité offensive avec un changement de logiciel – pourraient être installés en Ukraine.
S’il est peut-être vrai que l’Ukraine n’allait pas être officiellement admise dans l’OTAN si tôt, il n’était pas exactement insensé du point de vue de la Russie de penser que l’adhésion de facto à l’OTAN devenait de plus en plus une réalité.
Comme l’a rapporté l’Associated Press le 30 novembre 2021, Poutine a déclaré lors d’un forum d’investissement en ligne qu’il s’inquiétait précisément de cela. S’adressant au forum, il a déclaré que l’expansion de l’OTAN vers l’est menaçait les intérêts de sécurité fondamentaux de Moscou. Il s’est dit préoccupé par le fait que l’OTAN pourrait éventuellement utiliser le territoire ukrainien pour déployer des missiles capables d’atteindre les centres de commandement russes en seulement cinq minutes.
« L’émergence de telles menaces représente une « ligne rouge » pour nous, » a-t-il déclaré. « J’espère que le bon sens et la responsabilité de leurs propres pays et de la communauté mondiale finiront par l’emporter. »
Poutine a exprimé des préoccupations similaires un mois plus tard dans un discours à ses chefs militaires :
« Au cours des dernières années, des contingents militaires des pays de l’OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire ukrainien sous prétexte d’exercices. Le système ukrainien de contrôle des troupes a déjà été intégré à l’OTAN. Cela signifie que le quartier général de l’OTAN peut donner des ordres directs aux forces armées ukrainiennes, même à leurs unités et escouades distinctes… »
En fait, Poutine a tenté d’expliquer, sur un ton visiblement frustré, à un groupe de journalistes occidentaux lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg en 2016 que les États-Unis et l’OTAN se livraient à des comportements provocateurs, qui menaçaient la sécurité de la Russie, et qu’il serait finalement contraint à agir :
« Je dois vous rappeler, même si vous le savez déjà, que des conflits mondiaux majeurs ont été évités au cours des dernières décennies grâce aux rapports de force géostratégiques, qui existaient auparavant. Alors, la menace iranienne n’existe pas. Mais les systèmes de défense antimissile continuent à être construit.
« Cela signifie que nous avions raison quand nous avons dit qu’ils nous mentaient. Je ne sais pas comment tout cela va se terminer. Ce que je sais, c’est que nous devrons nous défendre. Et je sais même comment ils vont encore emballer ceci : « l’agression russe. ». Mais c’est simplement notre réponse à vos actions. N’est-il pas évident que je dois garantir la sécurité de notre peuple ? Et pas seulement cela, mais nous devons essayer de maintenir l’équilibre stratégique nécessaire du pouvoir, qui est le point par lequel j’ai commencé...
C’est précisément cet équilibre des pouvoirs qui a garanti la sécurité de l’humanité contre les conflits mondiaux majeurs au cours des 70 dernières années. C’était une bénédiction enracinée dans une menace mutuelle. Mais cette menace mutuelle est ce qui garantissait la paix mutuelle, à l’échelle mondiale. Comment ont-ils pu le démolir si facilement, je ne sais tout simplement pas. »
Les avertissements de la Russie concernant les lignes rouges
La tournure tragique des événements qui a suivi le coup d’État de 2014 et les efforts accrus pour aligner l’Ukraine sur l’OTAN ont été prédits par des responsables russes, y compris par Poutine lui-même, cela à plus d’une occasion.
La première a eu lieu lors d’une réunion en 2006 avec la conseillère à la sécurité nationale de l’époque, Condoleezza Rice, au cours de laquelle Poutine a tenté de faire comprendre à Rice que les efforts visant à faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN seraient désastreux sur toute la ligne. Selon le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui était présent : « Poutine a expliqué ce qu’était l’Ukraine – au moins un tiers de la population est de souche russe – et les conséquences négatives qui pourraient survenir, non seulement pour nous mais pour toute l’Europe si l’Ukraine et la Géorgie étaient entraînée dans l’OTAN. »
L’ambassadeur américain Bill Burns, qui était avec Rice lors de la réunion, a déclaré que Rice avait répondu en déclarant que chaque nation souveraine avait le droit de décider elle-même des institutions ou alliances auxquelles elle souhaitait se joindre. Poutine aurait répondu : « Vous ne comprenez pas ce que vous faites. Vous jouez avec le feu. »
En février 2008, l’ambassadeur Burns a renvoyé un câble classifié à Washington, résumant une autre réunion avec le ministre des Affaires étrangères Lavrov au sujet de l’intention de l’Ukraine de demander un plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN sous le titre « Nyet signifie nyet : les lignes rouges de l’élargissement de l’OTAN de la Russie ». Les Russes avaient réitéré que l’Ukraine dans l’OTAN était inacceptable, citant entre autres la crainte que la question ne précipite la division dans le pays, conduisant peut-être à une guerre civile, ce qui placerait la Russie dans la position difficile de devoir choisir d’intervenir ou non - une décision à laquelle, il a été souligné, la Russie ne voulait pas être confrontée.
Tandis que l’OTAN s’élargissait, l’administration Bush II avait également décidé de se retirer unilatéralement du traité ABM en 2002, qui était considéré comme pouvant compromettre l’équilibre des forces nucléaires, en laissant les États-Unis et l’OTAN libres de poursuivre une capacité de première frappe grâce à la mise en place d’un bouclier antimissile balistique. Cela a permis le placement des missiles É-U/OTAN en Roumanie et en Pologne, ce qui inquiète le Kremlin quant à un placement futur similaire en Ukraine.
En plus des avertissements, sortis directement de la bouche du cheval, plusieurs expert.e.s américain.e.s au fil des ans ont prédit les dangers que les États-Unis et l’OTAN utilisent l’Ukraine comme un gourdin contre la Russie, notamment George Kennan, Stephen Cohen et John Mearsheimer. On ne peut pas dire que cela a été fait par ignorance par l’Occident des conséquences potentielles.
Conclusion
Les ultranationalistes ont été armé.e.s dans le cadre du programme de Washington pour enfermer l’Ukraine dans un camp occidental exclusif, qui comprenait la mise en œuvre de politiques économiques néolibérales et l’adhésion officielle, ou de fait, à l’OTAN. Il s’agit d’un programme familier de Washington, similaire à la façon dont les extrémistes violents ont été armés contre l’Union soviétique en Afghanistan et contre le gouvernement Assad en Syrie.
L’essentiel est que si l’Occident s’était vraiment soucié de ce qui est dans l’intérêt de l’Ukraine et de son peuple à long terme, il n’aurait pas exploité ses divisions pour obtenir un avantage géopolitique sur la Russie dans son propre arrière-cour. Il aurait plutôt veillé à ce que l’Ukraine soit neutre et ne puisse être utilisée, ni par l’Occident ni par la Russie, pour faire avancer un agenda géopolitique ; qu’elle aurait la capacité de mener des relations économiques avec les deux.
Et cela aurait encouragé une approche pluraliste de la gouvernance du pays, qui aurait pu fournir un espace à l’Ukraine pour développer sa démocratie.
À présent, l’Occident semble déterminé à attiser les flammes alors que l’Ukraine brûle. Avec des ami.e.s comme l’Occident, l’Ukraine n’a pas besoin d’ennemis.
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